jeudi 18 novembre 2010

multiculturalisme

Multiculturalisme

Le quartier est la Goutte d'Or, le lieu le carrefour entre la rue Polonceau et la rue des Gardes. Une voiture conduite par une femme de type caucasien pile devant deux petits Africains qui traversent la rue en courant. Derrière, un conducteur type Africain du nord, freiné dans son élan, klaxonne. Furieuse, la caucasienne sort de sa voiture et dit avec un accent canadien à l'Africain du Nord qu'elle a freiné pour éviter d'écraser des enfants, il voulait que je les écrase, peut-être? Le type Africain du Nord continue à grommeler. De l'autre côté de la rue, un type âgé, type Africain du Nord, dit "elle est raciste, cette dame". Un autre type, type Africain du Nord, lui dit qu'elle a raison, on n'écrase pas les enfants et c'est l'autre qui a tort. Un type, type Juif ashkénaze, dit au premier que c'est de la folie de traiter de raciste quelqu'un qui évite d'écraser des petits Africains. Il persiste: elle est raciste. L'autre dit non, elle n'est pas raciste. Il se fait engueuler par le premier qui a la sensation que son copain le trahit. Une femme type Africaine de l'Ouest, dit elle a raison. Le mec type juif ashkénaze dit que oui, elle a raison. Les voitures repartent, tout le monde se sépare en se disant bonsoir. C'était hier soir, à six heures du soir, à l'angle de la rue Polonceau et de la rue des Gardes.

mercredi 17 novembre 2010

salle de consommation

Edito alter EGO

Dans les petites unités industrielles, on ne voyait pas les familles qui travaillaient quinze heures par jour, hommes, femmes, enfants à partir de quatre ans. Ils dormaient dans les ateliers, invisibles au passant. Les nécessités techniques requérant de grandes unités, les ouvriers dormant dehors, mourant dehors d'épuisement, sont devenus visibles. Des mesures de réduction des risques ont été prises, sous la pression conjuguée des premières corporations syndicales et des indignations humanitaires : on interdit le travail des enfants, on réduisit les journées de travail, on construisit des logements et des hôpitaux.
Il y eut la misère. Quand elle devint trop visible dans les grandes villes, on décida la combattre en lui déclarant la guerre, en emprisonnant les pauvres dans des prisons ou dans des asiles où ils devaient travailler pour vivre. Sous la pression conjuguée des mouvements sociaux et des organisations philanthropiques, on inventa la protection sociale, les logements accessibles, les écoles gratuites, les assurances sociales, les dispensaires de soins.
Il y eut la drogue. Boire un petit coup c'est agréable. Le gris que l'on prend dans ses doigts et qu'on roule. L'opium se fumait dans des établissements fermés. Le cannabis dans des soirées festives, l'alcool dans les cafés ou dans les salles à manger. Puis des consommateurs qui n'avaient pas de travail et pas de logement se mirent à consommer là où ils pouvaient, dans la rue, dans les couloirs des immeubles, le long des squares, sous les ponts de chemins de fer. Ils devinrent visibles et on déclara la guerre à la drogue.
La drogue devint le lieu de tous les maux, de tous les vices, de toutes les difficultés. Elle envahit tout, détruit et corrompt l'humanité, elle est l'arme principale dirigée contre les sociétés occidentales. On déclara la guerre à la drogue. Les résultats en sont connus. des milliards dépensés en vain, la vente et la consommation ne cessent d'augmenter.
Il n'y a pas la drogue, il y a des drogues, et surtout il y a des comportements, des situations, des précarités, des misères, où les drogues jouent un rôle, mais rarement le rôle principal. Les résultats de la réduction des risques sont connus, il y a moins de morts, moins de maladies. Ils ne font pas disparaître les nombreux, les innombrables, les toujours renouvelés, facteurs qui conduisent à la consommation. Chaque fois qu'une mesure de réduction des risques nouvelle apparaît, hier la distribution de seringues, aujourd'hui les salles de consommation, les pouvoirs publics et l'opinion demandent à ceux qui la mettent en place de trouver aux consommateurs une santé, un logement, un emploi et une famille. Ceux qui sont aux premières lignes sont soumis à cette énorme pression et ils fatiguent parfois de ne pas pouvoir toujours transformer l'enfer en paradis.
Quand les misères, les douleurs, les souffrances, les d'angoisses, les précarités auront disparu, il n'y aura plus de drogue. Effectivement, on consomme moins au Père Lachaise que dans les squats.

vendredi 12 novembre 2010

chronique goutte d'or

Maurice Goldring, chronique d'un habitant de la Goutte d'Or
Selon les jours, le temps, les informations et les états de santé, l'humeur change. Il ne faut pas grand-chose. Le matin, avant dix heures, les rues sont propres, les marchands de drogues et de contrefaçons dorment encore, les commerçants ouvrent leurs rideaux et se saluent les uns les autres, un verre de café à la main. Des jeunes en bonne santé partent au travail, ils descendent de la butte ou de la Goutte d'Or, ils ont un passe Navigo et achètent Libération au kiosque où se vendent les titres nationaux, les titres étrangers, Le Guardian, le Herald Tribune et El Païs. On se croirait aux Champs -Elysées ou dans la salle d'attente d'un aéroport parisien. Des jeunes gens distribuent les journaux gratuits aux voyageurs pressés.
Ensuite arrivent les distributeurs de prospectus pour guérisseurs, rebouteux, chamans, sorciers, mages, marabouts. Leurs feuilles légères s'envolent et tapissent les trottoirs comme des pétales de fleurs qui accueillent les mariés à la sortie de l'église. Puis s'installent les vendeurs de vêtements, de chaussettes, de sous-vêtements, de ceintures, d'écharpes, de bijoux, de montres, jeunes, sportifs, il faut courir vite avec le baluchon sur le dos quand la maréchaussée s'approche. Puis les vendeuses de maïs chaud, souvent des Africaines, et les jeunes Maghrébins qui proposent des cigarettes Le trottoir n'est pas extensible, tout ce monde se dispute le territoire entre eux et avec les autres négociants légaux. La personne qui va faire des courses avec un caddy doit se frayer un chemin. La Goutte d'Or c'est la Loire en période de sécheresse, un mince filet de passants réussit à se faufiler entre les bancs de sable. Les usagers de drogue et les vendeurs se cherchent. Le soir, beaucoup plus tard, les prostituées s'installent aux carrefours.
L'habitant de la Goutte d'Or n'aime pas qu'on décrive son quartier comme s'il n'existait pas entre sept heures et dix heures.

mardi 2 novembre 2010

égalité

Dans un système aristocratique ou de caste, les carrières, les métiers, les pouvoirs sont déterminés par le lieu de naissance. Dans un système démocratique, il faut que des institutions accordent des légitimités de compétence qui fassent coïncider privilèges de la naissance et égalité républicaine. En France, ce sont les grandes écoles. Elles sont justes: les concours sont anonymes. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, c'est l'argent. Le système est injuste. Les entretiens d'accès ne sont pas anonymes, les études sont très chères. Au final: par un système d'aide, de bourses, de formation permanente, les classes populaires sont mieux représentées dans les grands établissements des pays anglo-saxons que dans la France républicaine. Ça pose un problème?
Jusque là, la gauche n'a jamais touché aux grands écoles, aux grands établissements. Claude Allègre a essayé. En vain. Les profs des classes de préparation sont descendus dans la rue parce qu'on voulait toucher à certains privilèges scandaleux, avec l'aide des républicains Finkelkraut et Régis Debray. Le projet fut abandonné. Le système est puissant. On ignore généralement qu'au plus fort du mouvement de mai 68, les concours se tenaient, assurés le jour par les enseignants qui luttaient le soir pour l'abolition des privilèges, et les étudiants les plus enragés n'étaient pas absents aux oraux de normale ou de polytechnique.
Je ne vous parle pas d'un détail. L'accès aux grands établissements assurent des privilèges pour la vie. Et même pour la mort. Voyez les nécros: jamais un mort n'est un ancien de l'université de la Paris ou de Toulouse, mais son corps froid est celui d'un ancien de normale ou de l'X. Ce système marque toute la société: il inclut à vie et il exclut à vie. La majorité de la société n'y accède pas et ne pourra jamais y accéder, car le système de formation permanente est notoirement inefficace. Il reste le sport et la chanson, et tant pis pour les maigrichons qui chantent faux. Ce système élitiste joue un rôle de premier plan dans le malaise social.
Comment faire? La révolution? c'est d'envoyer les riches et les mains blanches à la campagne ou dans des camps de rééducation, et de peupler les universités et les écoles des prolétaires. On a essayé, pas terrible. Le compromis social. Graduel. Soutenir ce qui se fait dans ce domaine (voir l'ena, la voie parallèle qui a provoqué tant de résistances) ou sciences po. Ne pas mépriser ces efforts. Le compromis social, c'est aussi regarder ce qui se passe dans les écoles de la Goutte d'Or.
Annoncer une volonté: c'est 1. Le pays ne pourra pas assurer la promotion démocratique des élites en généralisant le système des grandes écoles qui est le plus coûteux et sans doute pas le plus efficace en termes de formation de haut niveau. Donc répartir les ressources. En budget, dans le territoire. Ce qui signifie soutenir les filières sélectives au sein des universités.
2. montrer l'exemple. Le PS est le reflet fidèle du système scolaire élitiste. Assurer la promotion permanente des cadres issus des milieux populaires. En regroupant les ressources qui existent: fondations, contrats avec les universités, une école nationale de promotion. Un observatoire de la diversité sociale, indépendant, qui mesure les progrès. Ce qui suppose dans l'immédiat la renonciation au cumul des mandats, immense obstacle à la promotion de militants et des militantes;