jeudi 26 janvier 2012

compétences ethniques

Réponse à Gaby Mouesca


Mon cher Gaby,

            Je lis dans Sud-ouest du jeudi 26 janvier 2012 que tu demandes aux journalistes « originaires du Pays basque » d’intervenir en faveur du rapprochement des prisonniers basques. Et plus généralement, de dire la vérité sur la situation actuelle au Pays basque.

            Je ne réponds à aucun de tes critères : je ne suis pas « d’origine basque », mes parents sont nés dans une lointaine province polonaise, dans un ghetto juif. Je ne suis pas journaliste. Il est donc parfaitement naturel que tu ne m’aies pas envoyé ton invitation à intervenir pour la paix au Pays basque.

            Mais je trouve la démarche troublante. Sur la base de mon travail universitaire, il arrive qu’on me demande mon avis sur le conflit au Pays basque ou la situation en Irlande du Nord. J’y ai passé du temps, j’ai beaucoup travaillé sur ces questions, j’ai écrit des articles et des livres, on me demande mon avis de chercheur. Normal. Mais comme mon nom n’a rien de gaélique ni de basque, je me demande maintenant si j’avais le droit d’intervenir dans ce domaine.

            Inversement, il arrive qu’on me demande de donner un avis sur le conflit au Moyen-Orient ainsi qu’à des amis qui ont des noms « arabes »  sur la base de leur « origine géographique ? Je n’y connais rien, mais mon origine géographique (Lublin en Pologne) me donnerait des compétences dans ce domaine. Ce qui semble aussi ton avis.

            Rassure-moi. Dans un Pays basque indépendant dont tu serais le lehendakari, est-ce que les personnes non-originaires du Pays basque auront le droit de vote ?

            Bien à toi.       

           





Maurice Goldring 38 rue Polonceau 75018 Paris tel 01 42 62 56 65 adresse électronique maurice.goldring@wanadoo.fr             

mercredi 25 janvier 2012

entretien

lire entretien dans sud-ouest du mercredi 25 janvier 2012 sur la comparaison entre processus de paix en Irlande du Nord et au Pays basque.

lundi 23 janvier 2012

mobilisation des larmes

               
                
               Quand les soldats partent à la guerre, ils sont accompagnés par les mères et les fiancées en larmes qui encouragent les futures victimes : allez-y, mes enfants, mon mari, mon frère, mon promis, faites votre devoir, défendez la patrie. Devant les monuments aux morts, on recommande des larmes discrètes parce que de bruyants sanglots  pourrait indiquer qu'elles regrettent le sort héroïque de leur fils ou de leur mari. En revanche, si les États  décident de retirer les troupes du champ de bataille, les larmes des mères et des fiancées noient les écrans, elles pleurent en disant qu'ils sont morts pour rien et leur larmes vont aider alors au rapatriement des troupes. 

jeudi 19 janvier 2012

salle d'attente

Salle d'attente, théâtre de la Colline, inspiré de Catégorie 3-1 de Lars Norén, mise en scène Krystian Lupa. Jeudi 19 janvier 2012

               Stockholm, un lieu où évoluent des drogués, des prostituées, des chômeurs, des alcooliques. Tout à la fois. Où les errances sont ponctuées par des shoots, seringues dans le bras, dans la cuisse, dans le sexe, dans les yeux. Et le cul, vénal ou affectueux. Suce ma bite, prend mon cul. Violence, surtout à l'égard des femmes. Les acteurs chuchotent ou crient, on les filme, ils sont filmés sur grand écran. Pendant la pièce, est-ce une pièce, c'est un spectacle dans un théâtre, quoi d'autre qu'un pièce? Pendant la pièce, à intervalles réguliers, les spectateurs refluent, s'habillent, quittent la salle, discrètement ou en tapant du pied sur les marches. Certains rient. La majorité se tait, profondément. Un petit temps de sommeil, mais quand même dans l'ensemble, on suit, intensément. Billets, plus repas dans le foyer, plus taxi de retour, une soirée à cent euros, faut pas dormir, gâcher de l'argent, un quart du RSA pour regarder des Rmistes. Satisfaction de ne pas être comme eux. De prendre une gorgée de bière en rentrant, de trouver un taxi, de poser la lourde veste sur le sol, de parler de la pièce, ou du spectacle, c'est plutôt un spectacle qu’une pièce. Qui est responsable? Ce que je vois, on peut le voir tous les jours dans les rues de mon quartier, dans les salles d'accueil, dans les logements d'urgence, et chaque fois on dit et on répète que le scandale est le drogué qui se voit, la prostituée sur le trottoir, la seringue dans le hall d'immeuble. Et donc, le scandale, c'est de mettre en scène ce qui en général ne se voit pas, de filmer, de retranscrire sur la scène d'un théâtre, ce qui est généralement invisible. Chez moi, le spectacle est gratuit, on retrouve les mêmes chuchotements, les mêmes promenades sans fin d'ici à là et retour. Va-t-en, viens, donne, prends.  Pique, repique. Je l'ai vu, rue Myrha, se piquer le sexe en plein jour, adossé à une vitrine, les passants détournent les yeux. Au théâtre de la Colline, les spectateurs ne détournent pas les yeux, ils ont payé pour voir. Ils ont mangé des raviolis forestières avant le spectacle, ils rentreront en taxi. Ça s'appelle salle d'attente

mardi 17 janvier 2012

combats

               Dans le métro, une patrouille de deux soldats avec  leur talkie walkie à fond. Je leur demande de baisser le son. Ils me répondent qu'ils ne baisseront pas le son, et qu'ils font ce qu'ils veulent. Je leur dis que les pays où les soldats font ce qu'ils veulent sont des pays abominables. En Syrie, je leur dis, les soldats font ce qu'ils veulent. Dans la voiture de la ligne 5, Place d'Italie à Bagnolet, les voyageurs m'approuvent.

               Ainsi, chaque jour, à chacune de mes sorties, je mène le combat pour la vérité et la justice. Chaque jour, quand je sors, je mets mon armure, je rabats mon heaume.  Je me bats contre les voitures aux passages piétons, je me bats contre les banques et les spéculateurs, les exploiteurs et les requins, les incivilités et les contrefaçons. 

samedi 14 janvier 2012

sorj chalendon

Sorj Chalendon, Retour à Killibegs, Paris, Grasset, 2011.

            Tyrone Meehan, le héros de ce roman, a été membre de l'IRA et il a trahi, il a fourni des renseignements aux Britanniques. Sorj Chalendon a été correspondant de Libération à Belfast pendant les "Troubles" et a soutenu le combat républicain en Irlande du Nord. Il s'est fait des amis, dont un dirigeant de l'IRA qui s'est révélé être un traître. Il cherche à comprendre.  

            De ce que révèle le livre sur ce territoire, on retiendra une vision guerrière et républicaine. Si des combattants se sont levés à la fin des années soixante, c'est que la guerre de libération nationale et sociale n'était pas terminée en 1923. La police protestante, les milices unionistes, soutenues par la police et l'armée britanniques ont mené une guerre sans merci contre la population catholique.  Ils les ont agressés dans les rues, tué à coup de bâtons et de pierres, incendié leurs maisons, les ont emprisonnés, torturés. Nécessairement, un jeune catholique ne peut avoir qu'une seule idée en tête: se venger, prendre les armes. Non seulement lui personnellement, mais toute sa communauté avec lui. La guerre se poursuit, inlassablement, dans les quartiers, dans les prisons. La politique se réduit à cet affrontement et tout est militarisé, y compris les amitiés. Dans ces conditions, les ruptures ne sont pas des accidents personnels, ce sont forcément des trahisons. Son père Peter Meehan le battait: Un ivrogne qui battait ses enfants. Pourquoi? Parce qu'il avait fait partie de l'IRA pendant la guerre d'indépendance. "L'Irlande était coupée en deux. Pat Meehan avait perdu la guerre. Il n'était plus un homme mais une défaite. Il a commencé à boire beaucoup, à hurler beaucoup, à se battre. A battre ses enfants" (18) L'enfant comprend très jeune que son père alcoolique et violent est en fait une victime de l'impérialisme britannique.

            Ce tableau n'est ni vrai ni faux, il est inventé, il est œuvre de fiction et la question de la vérité d'un roman ne se pose pas. IL s'agit de montrer l'environnement universel d'un combattant de l'ombre qui mènera un combat clandestin en posant des bombes. Ce qu'on appelle parfois des terroristes.

            Comme document, ce roman est un témoignage parmi d'autres de la fascination de l'Occident pour la terreur comme moyen d'action politique. Comment un homme attaché à la démocratie, est fasciné par un autre homme dont la conviction profonde est que la vérité est au bout du fusil. Comment cela se peut? Lisez Chalandon, pas pour l'Irlande du Nord, parce que de ce point de vue, c'est une histoire que même les républicains n'osent plus raconter à leurs enfants, mais pour comprendre ce qui se passe chez nous.

Maurice Goldring

mélenchon

               Mélenchon sur France 2 une émission politique "les paroles et les actes". Très fort. Chaque période, ancienne ou nouvelle, médias ou pas médias, journalistes ou pas journalistes, a ses champions. Sportifs, sociaux, guerriers. D'Artagnan, Zorro, Robin des Bois, Arsène Lupin, Jim Larkin, Che Guevara, José Bové… Mélenchon n'est pas l'un des moins doués, il se hisse sans effort apparent au niveau atteint naguère par Marchais, par Besancenot, par Cohn-Bendit narguant la police en 1968.

               De quoi s'agit-il? De montrer aux puissants que les petits peuvent remporter des batailles, qu'ils sont plus forts ou plus rusés, ou plus nombreux. Puis, après avoir bataillé dans les chemins creux, le champion finit par épouser la fille du roi ou du seigneur qui l'aimait en secret et termine sa vie comme intendant, ou bien il est écartelé et devient un martyr symbole de toutes les révoltes populaires.

               Dans cette série, Mélenchon tient sa place avec fougue et compétence. Aucun spectateur ne pourra bouder son plaisir. En tout cas, moi, j'ai apprécié.

               Puis je me suis réveillé et je me suis rappelé que dans les semaines qui viennent, nous attendent une élection majeure, un changement de pouvoir, des programmes réalisables, des alliances, un gouvernement. Et dans cette arène politique, je n'arrivais pas à trouver une place pour le héros d'un soir. 

jeudi 12 janvier 2012

débattre

Réunion des trois sections du 18ème arrondissement, mercredi 11 janvier 2012

                Je croyais que nous allions discuter de la campagne. Naïf.

               Jamais les discussions n'ont été aussi nécessaires. La crise, ses conséquences sociales, politiques, morales conduisent à la recherche de solutions simples, de colères salvatrices, de crispations identitaires. La préférence nationale, le protectionnisme menacent l'Europe.

               Devant nous s'ouvrent deux voies. Pas trois. Des réponses de droite, une austérité injuste, la crainte historique et hystérique de toute réglementation du capital, des mesures d'austérité imposée brutalement, un climat de brutalité calculée pour nourrir les peurs les plus conservatrices, les tendances les plus rétrogrades. Le climat actuel, les outrances de la campagne ne sont pas liées seulement à la crainte fondée de perdre le pouvoir. Elles sont un mode de gouvernement. C'est ainsi qu'ils conçoivent la vie politique.

               La gauche propose négociations, compromis, équilibre, justice. Des urgences pour assurer une paix sociale dont nous ne connaissons le prix que lorsqu'elle laisse place à la tourmente. La droite ne veut pas ou ne sait pas. La gauche sait faire et la campagne qu'elle mène préfigure un mode de gouvernement. Parler juste, refuser les hurlements claniques. Cette voie-là est plus difficile, la plus compliquée, la moins simple. Négociations, compromis, justice, équilibre, politique à long terme et refus des émotions. Ça peut marcher, ça marche, ça peut, à condition d'être dans un climat de discussion permanente sur l'horizon, sur les objectifs, sur la chasse aux injustices, aux privilèges, sur l'évaluation renouvelée de ce qu'est l'intérêt général. C'est ainsi que nos élus gouvernent les villes et les régions. C'est même ainsi que la droite gouverne en partie, parce que si les discours résumaient sa politique, il ne resterait plus dans notre pays que le face à face entre le Fouquet et les soupes populaires.

               La gauche extrême ne craint pas la révolution. Ce n'est sans doute pas le temps des polémiques. Il serait utile de rappeler qu'elle votera socialiste au second tour. Ce rappel est important pour toute la campagne, parce qu'il réfute dans la décision même l'argumentaire qui répète que gauche et droite c'est la même chose. Si c'est vraiment la même chose, pourquoi voter pour la gauche? En 1981, la consigne interne des communistes était de voter Giscard contre Mitterrand. C'est ce qu'on appelait le vote révolutionnaire. Mélenchon aime qu'on le compare à Marchais. Accordons-lui que sur ce point, il sera sans doute différent.

               Notre ligne suppose la réflexion et l'adhésion. Pour soutenir une équipe de foot, il faut crier des slogans et applaudir les buts. Pour gagner sur notre ligne, il nous faut des militants, pas des supporters. Il faut des idées, des confrontations, des débats, des discussions, des paroles efficaces. Où s'élabore cet argumentaire sinon dans des réunions de militants qui disposent chacun autour d'eux de cercles de confiance où leur parole est entendue? Si on ne discute pas, si la conviction ne s'installe pas solidement, ça ne marchera pas.
               Mercredi soir, j'aurais bien échangé la galette des rois contre un bon débat.

mardi 10 janvier 2012

budapest

Marine Le Pen n'est ni de droite ni de gauche, elle est à l'est. Elle a déjà pris le pouvoir en Hongrie.

voyage

            Je ne suis pas obligé. Je ne suis pas contraint. J'ai le droit de refuser les habitudes. De décevoir les attentes. Après chaque randonnée, une histoire. Après chaque histoire une autre histoire. Et bien, cette fois-ci, non, je ne parlerai pas. Je ne dirai rien. Ce voyage ne mérite que le silence. L'oubli. L'indifférence. Je n'en dirai pas plus. Je ne parlerai qu'en présence. On pourra me torturer, ça ne changera rien.
           
            Le seul, le vrai voyage fut sur la toile, pour choisir des lieux en fonction de critères divers qui tous ressemblaient à une piscine chauffée sous un ciel nuageux. Nous voulions fuir les fêtes qui ne tendaient plus les bras, les bras qui ne se refermaient plus sur d'autres bras, inutile de fuir, la réalité nous rattrape, on emporte sa névrose sous la semelle de nos souliers, elle colle aux pieds, elle colle aux mains. Petit déjeuner au bord de la piscine. Du poisson, du poulet riz haricots, daurade, accra de morue, ti punch.  Le préparer avec un quartier de citron vert, du sucre en poudre, faire fondre le sucre dans le jus du citron vert puis compléter avec du rhum Damoiseau si vous êtes à Grandes Terres ou Bologne si vous êtes à Basses Terres. Basses Terres, c'est la partie où il y a des montagnes et des routes sinueuses, Grandes Terres où sont les plaines, les plages de sable blanc sous les palmiers. En gros, car ce n'est pas toujours aussi tranché, aussi clair. Cette répartition déroutante des adjectifs d'altitude contre nature vient de ce que grand et bas sont fonction de la géographie, du territoire et non pas de l'altitude. Comme un enfant qui n'a pas appris à lire une carte dira que la mairie est à gauche et l'église à droite en regardant un plan, et non pas la mairie est à l'ouest et l'église à l'est. Puis il apprendra à désigner son itinéraire scientifiquement, s'il écoute bien à l'école. Dans certains lieux, l'école arrive trop tard, et on désignera la Tour Eiffel comme Basse Tour et le Panthéon comme Haute Tour, parce que le Panthéon est en haut de la carte et la Tour Eiffel en bas.

            Il ne suffit pas de partir, il faut arriver. Des passagers malintentionnés transportent des armes, des explosifs, des poisons en suspension, des germes foudroyants, de l'arsenic et de vieilles querelles, pour montrer au monde entier, en détruisant un avion et son contenu, qu'ils sont très en colère et que ça ne se passera pas comme ça. Pour contenir leur colère dans les limites du raisonnable, des mesures de précaution sont prises, dans les aéroports. Pas dans les gares, pas dans les stations service, uniquement les aéroports. Ces mesures de précaution méritent attention car elles allongent le temps d'attente, elles nous tirent vers les lieux d'embarquement plus tôt que le soleil, plus tard que les étoiles. Dès la première porte vers quelque part, un uniforme sévère nous demande un billet et une carte d'identification, identité ou passeport, et que les deux nous vous le souhaitons, convergent, le nom et le billet, car sinon, ce n'est pas la peine d'essayer de passer. Vous pouvez reprendre un taxi pour chez vous, pour la pluie, le froid, la neige, les embouteillages, les piscines municipales et les apéritifs habituels. Si vous possédez un billet au nom de De. (si vous vous appelez De), et un papier identifiant au nom de De, (si c'est votre nom), vous passerez la porte. Si le billet est au nom de Du et que vous appelez Dou, inutile d'insister. Il vous faudra changer ou de billet ou d'identifiant.

            Tout s'est bien passé. Vous êtes à l'intérieur d'un immense aérogare où des guichets vous font de l'œil, en bas résille et en chemisier décolleté, ils attendent le client, vous passez et repassez devant ces aguichants guichets et vous faites votre choix, comme au marché. Vous prenez le guichet qui vous plait. La transaction est simple: en échange d'une valise ou deux, vous obtenez une carte d'embarquement et désormais votre destin est lié à la concomitance entre le nom sur la carte d'embarquement et le nom sur votre identifiant. A chaque porte franchie, cette concordance sera vérifiée, pour déjouer les plans diaboliques des porteurs de dynamite en colère. La concordance ne suffit pas. Encore faut-il vérifier que malgré les apparences, vous ne faites pas partie des voyageurs en colère. Vos bagages seront scannés, vous devez passer sous un portique qui scintille et grogne quand vous portez un objet métallique, un poignard ou une poudre d'escampette, ou un fusil Lebel. Vous avez pourtant déposé sur un tapis roulant vos clés, votre ceinture, le téléphone portable, le portefeuille bordé de laiton, la prothèse en acier trempé, la plaque d'aluminium qui maintient votre coude, l'oreillette, le stent de l'aorte, les chaussures épaisses, la veste toute entière épluchée, le tout passe sous un tunnel pendant qu'un uniforme vous palpe sous les aisselles, entre les jambes, de manière conservatrice et ignorante de l'évolution des mœurs, puisque les femmes palpent les femmes et les hommes palpent les hommes comme si rien n'avait changé depuis les vérifications de l'octroi à l'entrée de Londres au Moyen-âge. Qui était l'un des lieux les plus sévères question sécurité. Sans ceinture, sans talons aiguille, sans clés de voiture, sans parfum, sans téléphone portable, sans tablette et sans ordinateur, il reste de pauvres fantômes invisibles, désemparés, ayant perdu leurs repères, pauvres spectres qui attendent de récupérer leur enveloppe charnelle.

            Après de nombreuse vérifications que les gens subissent en attendant sagement dans la file,  guère de resquilleurs, on n'est pas devant la caisse d'un grand magasin ou dans la file d'attente pour voir Les Indignés 3, le Retour, où les gens cherchent à gagner une ou plusieurs places, ici, tout le monde est conscient que c'est pour leur bien qu'on vérifie ainsi plusieurs fois les caches potentielles révélatrices de projets meurtriers. Assis dans la salle d'embarquement devant le numéro indiqué sur la carte du même nom, quand vient l'heure, une hôtesse, généralement du sexe, appelle les femmes et les enfants d'abord, ensuite les personnes qui ont du mal à se déplacer, à voyager, à voir, à entendre, à goûter, à sentir, et ensuite, ensuite seulement, vous, voyageurs anonymes aptes à voyager sans roulettes sous le fauteuil, sans lunettes noires, sans infirmier accompagnant, sans aide de vie serbo-croate. Et à nouveau, on vous demande un identifiant et une carte d'embarquement, qui vous indique votre vol et la place assise. Le numéro. Pendant que nous faisons la queue, les poussettes d'enfants sont rangées dans la soute, et repliées, elles se ressemblent toutes, ce n'était pas la peine de mettre un tel prix.

            Pour voyager en avion, il faut maigrir. Perdre du poids. Réduire la masse graisseuse autour de la taille et des fesses. Les fauteuils sont à la taille de personnes déplacées de retour des différents camps de la faim et d'extermination. Si votre masse pondérale dépasse les normes des constructeurs d'avion, il vous faudra vous tasser, replier les genoux sur l'estomac, vous mettre sur le côté, retenir votre respiration, verser la tasse de café sur la chemise propre, inévitablement. On vous expliquera si vous protestez que votre poids, votre surcharge, consomme et produit beaucoup plus de gaz carbonique à rejeter dans l'atmosphère que le petit bébé qui occupe un siège pas loin de vous mais qui peut-être un jour. Donc régime. Avant de voyager en classe économique: papier d'identité, passeport et régime. Sport, c'est inutile. Le sport ne fait pas maigrir. Seul l'abstention de l'ingurgitation fait maigrir. Dans l'avion, on nous distribue un repas chaud, un apéritif, un café, et avant d'atterrir un gouter. Au retour, même repas chaud, mais avant d'atterrir, un déjeuner, un petit déjeuner, car avec les décalages horaires, tout change. Je parlerai plus loin des décalages horaires.
            Pendant le voyage, compacté entre les bras du fauteuil, compressé contre le dossier avant, comprimé contre les revues publicitaires, vous avez le droit de regarder des films. Des séries. Des informations sur le vol. Les informations sur le vol sont plaisantes. Vous voyagez à douze mille mètres et la température de moins 53 degrés Celsius, la ligne que suit votre avion survole l'Océan atlantique. Les films sont visionnés sur un écran grand comme une tablette électronique, le son est celui des gares du temps des films de Tati, vous avez le droit de dormir ou de regarder, des vieux films, la planète des singes, Jane Eyre, la guerre des boutons, gratuitement, on n'entend rien, on suspend le temps du plateau repas. Jane Eyre tombe amoureuse, mais son maître a un lourd secret qui sera révélé au dessus du triangle des Bermudes. Les singes deviennent intelligents et vont se réfugier dans Central Park. Dormir.

            A l'allée comme au retour, les sorties sont plus aisées, car nous sommes sur territoire français, une même appartenance nationale unit les îles des Antilles françaises et le tarmac d'Orly, les formalités sont minces, les regards sur votre photo légers. Je continue pourtant d'être heureux de posséder à la fois une carte d'identité, un passeport, un permis de conduire, un carte bleue, une carte Vitale. Je pousse les rectangles décorés sous le guichet, regardez mon portrait s'il vous plaît, et chaque fois j'exige qu'on me regarde, que l'on compare la photo insérée avec mon visage réel, qu'on vérifie mon existence en passant la carte sous un lecteur laser, qu'on me répète ainsi que j'ai le droit d'être ici.

            Avant de quitter l'avion, ou pendant les formalités, ou en attendant les bagages ou juste avant de prendre livraison du véhicule de location, chacun décide du moment, mais chacun doit le faire, mettre la montre à l'heure locale. Changer l'heure en fonction du décalage horaire. Plus vous mettez de temps à remonter la petite horloge, plus le décalage horaire est grand et plus le voyage est exotique. Certains voyageurs paient la peau des fesses pour un décalage de douze heures, décalage maximum permis. Pour un décalage horaire de 24 heures, l'aiguille ne doit pas être déplacée. Vous perdez juste une journée de vie. Le décalage est une notion importante dans tout voyage car il permet de mesurer l'ampleur des déplacements et d'impressionner ainsi vos auditeurs indécalés. Vous disserterez d'un air dégagé sur les difficultés d'adaptation du sommeil selon le sens du décalage. En Guadeloupe, le décalage est de cinq heures de moins. Nous l'avions découvert déjà à Paris et à Biarritz en téléphonant au propriétaire d'un gîte rurale perdu dans la montagne des Basses Terres à six heures du matin heure locale alors que chez nous, il était onze heures, confusion et excuses, on ne s'était pas rendu compte. On disserte sur ce qui est le plus fatigant, perdre cinq heures ou gagner cinq heures, partir à huit heures du soir et arriver à dix heures du matin après un voyage de huit heures, vous vous rendez compte, ou au contraire, partir à midi, voyager dix heures, arriver à vingt-trois heures et prendre un bain de minuit alors que chez vous il est treize heures. Depuis mon voyage, j'ai les paupières lourdes et quand je m'endors, je dis que c'est le décalage horaire. Pour le prix d'un abonnement assez cher, vous aurez le droit de faire le déplacement quatre ou cinq fois dans l'année avec un billet moins cher et ainsi faire la sieste au travail en mettant l'assoupissement sur le compte du décalage horaire. Ou aussi, rentrer au foyer à cinq heures du matin et expliquant que nous ne pouviez pas dormir à cause du décalage horaire.

            Un studio avec piscine, un conseil. Dîner chez Alexandra qui vient de Colombie. Le ti punch monte à la tête. L'effet de l'alcool est divers. Pour les uns, il débride, dénoue, rend de bonne humeur, libère les tensions, active les pieds, réveille les neurones, agite la générosité. D'autres seront tristes jusqu'à plus soif, nerveux, bavards, insultants, crispés, noués, revendicatifs. Le ti punch est donc toujours un risque à courir.

            Nous avons tout visité. Les plages de sable blanc et noir, nous nous sommes baignés sous les palmiers, la température de l'eau est égale à la température de l'air, nous avons visité la mangrove et pris des photos des racines des palétuviers, nous avons admiré les paysages, les routes de montagne, les grains qui vident les plages, Paul et Virginie se sont noyés dans les déferlantes, nous avons marché dans les parcs naturels et les réserves biologiques, visité des vieilles distilleries des rhums Bologne et Damoiseau, les serveurs nous ont appelés cousins cousines, dans une petite anse de Basses terres, la police a arrêté des passeurs de clandestins et ont brûlé leur embarcation les restes calcinés sont encore visibles sur la plage. Mais plus que les clandestins, les passeurs passent la drogue et on brûle aussi leur bateau. Les averses brisent l'ennui et la monotonie. Il n'y en a pas assez. Le mauvais temps est bienvenu parce qu'il brise l'ennui de ces paysages plus beaux et encore plus beaux, parce que si en plus il n'y avait que le soleil, l'ennui du beau temps s'ajouterait à la mauvaise conscience de voyager aux guides, mais là non, les grains très forts, très venteux, très mouillants, empêchent de s'enfoncer dans la guimauve est îles.

            Le marchand n'avait pas de cannes, mais il a proposé un parapluie pour marcher et ça marche. Je l'ai offert comme cadeau du jour de l'an. Dans le bus qui nous descend à la plage de Grande Anse, face au restaurant la Case Créole et le Coquillage, des écoliers en uniforme donnent chacun cinquante centimes ou moins. Nous avons chanté des chansons de Brassens. Accompagné par un guitariste.

            Puis le retour. Qui présente d'autres problèmes  à résoudre. D'abord les papiers. Voyager aujourd'hui bouffe du papier. Nous achetons les billets en ligne, nous réservons les logements en ligne, chaque fois, nous imprimons les réservations, les numéros de dossier, les références des billets, les accusés de réception, les lieux de rendez-vous, très vite, le dossier s'épaissit. Deux écoles s'affrontent. La première consiste à tout garder tout le long du voyage, on ne sait jamais, et on garde tout après le voyage parce que ça fait des souvenirs et ça permet de se rappeler les différents endroits. On ajoutera au dossier les tickets d'entrée au musée, au parce naturel, les additions du restaurant, les factures des gîtes, les formulaires de location, les constats d'accident de voiture et les billets de bus. Plus quelques photos imprimées sur papier. La deuxième école jette au fur et à mesure. Le numéro du billet aller, le billet aller, l'assurance du voyage aller, se jettent dès que nous avons quitté l'aéroport. Dans la corbeille aboutissent les billets aller, les cartes de débarquement, les reçus de récépissés, les accusés de réception, les courriels de facture, les soldes, les photocopies des chèques provision, les messages de confirmation. Une fois la location réglée, droit dans la corbeille le reçu provisoire. Si on conserve tout, c'est comme souvenirs, ou comme précaution, au cas d'une prime à l'assurance où il faudrait donner la preuve que nous avons bien voyagé là où nous disons avoir voyagé et les photos ne sont pas une preuve peut-être? Nous voici photographiés sous l'arbre du voyage, près du figuier maudit, à côté de la mangouste, penchés sur une tortue, en plein de la mangrove, suspendus à une passerelle dans les cimes des arbres, couchés sur un banyan et vous nous dites que ce n'est pas une preuve?

            Le deuxième problème est la récupération des bagages. Où faut-il se placer pour être les premiers à les repérer? Où est la bouche qui crache les valises? Si nous ne sommes pas les premiers, les taxis seront pris d'assaut, tout le monde sera devant nous et avec le décalage horaire. Ensuite, plus tôt nous saisissons les valises, plus tôt disparaîtra l'angoisse de l'absence. Combien de valises ont été égarées, se sont retrouvées dans d'autres capitales, sur d'autres vols, et comment se laver les dents demain matin. Et ce parapluie que j'ai offert, on me dit qu'il est livré à une autre ligne de bagages, avec les poussettes d'enfant et les niches à animaux vivants. Quel rapport je vous demande?





samedi 7 janvier 2012

beaucoup, ce n'est pas assez

Le jeudi 5 janvier, Nicolas Sarkozy s'adressant aux enseignants leur dit qu'ils devront passer plus de temps à l'école, mais en contrepartie, leur rémunération sera considérablement augmentée. Le mot considérablement est intéressant. Il en jette sans coûter un sou. Fortement est un autre adverbe austère. Largement est un synonyme grippe-sou.  
               Quand le président offre des cadeaux fiscaux aux plus risques, il ne dit pas: des cadeaux considérables, de fortes réductions, des réductions importantes, de larges déductions. Il signe des chèques. Quand il a augmenté le salaire du président, il a dit 115% d'augmentation. IL n'a pas dit augmentation considérable.
               Au supermarché, j'ai réglé avec un chèque et dans la case "euros": un nombre considérable", on me l'a refusé.