samedi 21 juillet 2012

Biarritz vieillit


Biarritz vieillit


            A vélo jusqu’à La Barre. À partir du phare, une belle piste qui mène à Bayonne dans des conditions de confort et de sécurité exemplaires. Retour à Biarritz : l’entrée de la ville interrompt la « Vélodyssée ». Les voitures vous frôlent, vous bousculent, se garent sur les trottoirs. On pourrait imaginer pour le moins une piste qui mène à la Grande Plage.

            Sur la « Vélodyssée », joli nom, on croise des vélos au nom de Bayonne et d’Anglet. Aucun vélo ne porte le nom de Biarritz. Partout, les villes les plus inventives cherchent des solutions alternatives à la voiture individuelle, vélos, transports en commun…A Biarritz, la voiture étouffe la ville, chasse les piétons des trottoirs, les pousse sur la chaussée et quand ils marchent là où ils peuvent, la voiture klaxonne en leur demandant de dégager. Biarritz vieillit mal.

            L’attitude de la ville à l’égard de ce moyen de transport moderne et d’avenir est un révélateur. Est-ce une impression ? Le Festival du film latino est moins novateur, les films ont été montrés maintes fois dans d’autres festivals. Les films du FIPA ont parfois déjà été diffusés. Le monde bouge et ici on se traîne dans les embouteillages.

            Quand l’équipe du maire actuel Didier Borotra a pris la place de Bernard Marie, Biarritz était dans l’engourdissement. La nouvelle équipe a donné un coup de fouet, Biarritz s’est remis à vivre et à inventer. L’Atabal, la Cité de l’Océan, le Musée de la mer, l’ensemble de logements Kleber sont des étapes. Aujourd’hui, c’est la fin d’un cycle. Les jeunes sur la plage sont vus comme un risque, les fêtes comme des nuisances.

            Il ne faut pas compter sur la majorité UMP de la majorité actuelle pour relancer la ville. Son électorat ne rêve que de protection, de barrières, de de nouveaux parkings avec des palmiers artificiels.

            Biarritz n’est pas une ville de vieux. Biarritz est une ville qui vieillit mal, ce n’est pas du tout pareil. Il faut une nouvelle majorité, un nouvel élan, qui sera à Biarritz ce que Borotra et son équipe ont été en leur temps.

            Brigitte Pradier Maurice Goldring

danger de peur


Pendant les Fêtes de Bayonne, Casetas à Biarritz, fêtes de Mont-de-Marsan, des fêtards enivrés se noient dans un cours d’eau. Ça arrive aussi à Bordeaux, les fins de semaine, l’alcool et la Gironde sont des facteurs de risque. Des jeunes alcoolisés marchent sur les parapets des  ponts et des digues, tombent à l’eau et meurent.

            Ainsi se construit un nouvelle menace, de nouveaux risques : les soirées arrosées le long des quais, alcool et eau douce, alcool et eau de mer, jeunesse, rassemblements dangereux, mortifères. Les interdits se profilent à l’horizon.

            Tous les jours toutes les fins de semaine, des dizaines d’accidents mortels tuent sur les routes après consommation excessive. On n’interdit pas la voiture, on n’interdit pas l’alcool, on prend des mesures de réduction des risques. Contrôle, ethylotest, radars, navettes... Ça marche, ça réduit le nombre de victimes. Pourquoi des mesures de réduction des risques acceptées ? Parce que ne s’est pas construite une grande peur autour des accidents de la route, mais une volonté intelligente de réduire le nombre des victimes par des mesures efficaces.

            Le plus dangereux de tous les dangers c’est la peur.
            

dimanche 15 juillet 2012

vive le mauvais temps


Vive le mauvais temps !

Grâce au mauvais temps, les baigneurs hésitent et  le  nombre des noyés diminue.

Grâce au mauvais temps, les peaux sont moins agressées et le nombre des cancers de la peau est en baisse.

Grâce au mauvais temps, les musées et les salles de cinéma se remplissent et leur budgets s’équilibrent.

Grâce au mauvais temps, on apprécie mieux le soleil. 

mardi 10 juillet 2012

guerre et réduction des risques


Projet d’édito pour Alter EGO de septembre 2012.


            L’addiction à l’alcool et au tabac tue des dizaines de milliers de personnes en France. L’addiction à la voiture en tue des dizaines de millions dans le monde. L’ONU n’a pas déclaré la guerre à l’alcool ou au tabac.  Elle n’a pas déclaré la guerre aux voitures. Elle a déclaré la guerre aux drogues illicites. Une drogue illicite est une drogue sans carte d’identité. Une drogue sans papier. On l’interdit, on l’expulse, on l’enferme, elle revient. La guerre coûte cher et ne rapporte rien. D’autres morts, d’autres dérives.

            Par des mesures et des réglementations, la mortalité liée à l’alcool, au tabac et à la voiture diminue régulièrement. Les pouvoirs publics préviennent, répriment des usages non souterrains, accompagnent.

            Contre les drogues qui n’ont pas de papier d’identité, c’est la guerre. Les usagers peuplent les prisons, les malades peuplent les hôpitaux ou meurent dans la rue. Qu’importe. La guerre continue.

            Les associations dans le monde entier tentent d’intervenir dans cette folie par une politique de réduction des risques. Que signifie-t-elle ? Elle signifie que des soignants, des accueillants, tentent avec leurs moyens limités de redonner une carte d’identité à la drogue illicite et à ses usagers. De faire comme s’ils étaient des produits licites. Comme on limite les vitesses, comme on distribue des alcootests, on distribue des seringues, des kits bases, des préservatifs et des tampons, comme pour l’alcool et pour le tabac. On soigne les conséquences, on prévient, on accompagne les décisions de sevrage. On fait tout sauf la guerre.

            Mustapha est mort. Celui qui écrivait dans le numéro zéro d’alter EGO, mai 1990 « le monde n’est pas parfait, tout le monde le sait. La drogue n’est qu’illusion. La vie est un coin de verdure dans un dépotoir ».

            Il a été usager, puis s’est construit une autre vie, puis a replongé, s’en est encore sorti, du travail, une famille, des enfants, puis il est mort. Et dans la vie et la mort des gens, EGO se regarde. Mustapha encore : définit ainsi EGO : « une man tendue naturelle qui n’a pas d’hésitation, de l’amitié réelle, de l’amitié sans façon ».

            EGO ce sont des principes et des gens. Les gens sont des usagers et des accueillants, des soignants, des prévenants, des accompagnants. Des bénévoles et des professionnels. Et parfois, parmi ces gens, il y a des maladies, des accidents, des naissances et des morts. Et entre ces gens et les principes, le fil se tisse, se casse, se répare. La machine à tisser jamais ne s’arrête. Sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. À EGO on fait de la réduction des risques, pas la guerre.


mercredi 4 juillet 2012

contrat social


Chronique alter EGO



            Tout près d’ici, un jardin partagé, le Bois Dormoy, fruit d’un contrat d’une convention avec la ville de Paris depuis 2007. L’endroit était une décharge, l’association l’a nettoyé, tracé des sentiers, décoré les murs, installé des tables, organisé des jardins partagés, des concerts, des événements. C’est là tout près de la Goutte d'Or, souvent ouvert le dimanche.

            L’idée de départ était géniale et comme toutes les idées géniales, d’une grande simplicité. Une grande ville comme Paris contient des dizaines de milliers de mètres carrés en friche, en chantier, en jachère, qui attendent la construction d’un immeuble, d’une école. Les études sont longues, prennent parfois cinq ans ou dix ans et pendant toutes ces années, la surface reste inutilisée alors que des dizaines de milliers d’habitants recherchent des terrains pour planter, faire de la musique, se rencontrer autour d’un verre, observer les fleurs, prendre l’air avec l’enfant petit.

            Les associations demandent, la ville écoute, propose un contrat limité dans le temps et les activités commencent, selon les bonnes volontés des engagements associatifs. Ainsi parmi d’autres, est né le Bois Dormoy. Travail acharné et succès. Un lieu magique.

            Pendant que l’association du Bois Dormoy gère, la ville travaille sur le projet prévu : un grand bâtiment, au rez-de-chaussée, une crèche pour 25 enfants avec jardin, et dans les étages, soixante places d’hébergement temporaire médicalisé. La construction va commencer. Elle était prévue dans le contrat.

            Après cinq années d’occupation contractuelle, les militants et les visiteurs du Bois Dormoy se sont habitués et ils ont oublié le contrat. Ils lancent donc une pétition pour rendre pérenne leur présence. En oubliant le contrat, en ne respectant pas leur engagement, ils rendent un mauvais service à tous.

            Ils mettent face à face, comme s’ils devenaient des adversaires, les futurs parents et enfants d’une crèche, les futurs habitants précaires de logements d’urgence, et les usagers du lieu.

            Ils rendent plus difficile la signature de tels contrats, car s’ils ne sont pas respectés, la ville hésitera à en signer d’autres et ils mettent ainsi en danger un événement urbain exemplaire.  

            Dans cette histoire, personne n’est méchant. La ville qui met un lieu à disposition et qui construit une crèche et des lieux d’urgence. Une association qui a fait un travail admirable. Tout le monde est gentil. Le non respect d’un contrat va transformer tout le monde en méchants. 
            

mardi 3 juillet 2012

voyage en péniche


            Voyage sur la Charente. du 22 juin au 29 juin 2012.

            La gauche a gagné les élections.  Les conférences internationales occupent les ondes. L'assemblée se réunit et vote. Pendant ce temps, nous naviguons sur le fleuve Charente. De Jarnac à Cognac, de Cognac à Bourg-Charente, de la maison natale de François Mitterrand à Jarnac, et sa tombe et un musée et une bibliothèque. La région que nous avons traversée est celle des grands noms du cognac. Hennessy, Courvoisier. Ici, le raisin ne donne pas de vin, mais du Cognac.

            Mais rien n'est plus important que l'approche d'une écluse bouillonnante et revêche.Car désormais, il n'y a plus d'éclusier sur les écluses. les maisons de l'éclusier ont été achetées par des vacanciers français ou étrangers qui disposent ainsi d'une résidence de vacances face au fleuve et ils peuvent amarrer une petite barque pour aller pêcher, beaucoup de pécheurs sur ce fleuve si particulier, si tranquille, si paisible. Désormais, les passagers, les équipages, le capitaine lui-même doivent mettre la main à la pâte. Nous n'avons pu éviter les manœuvres répétitives que deux fois. Une première fois, des enfants, des adolescents, ouvrent les vannes à notre arrivée, les referment à notre départ, nous évitant ainsi des déplacements épuisants. Nous leur donnons une pièce, ils remercient, c'est une manière élégante et morale de se faire de l'argent de poche, en travaillant. Plus loin, c'est un vieux monsieur et des amis dans la mouise qui se collectent ainsi quelques pièces. Cette manière de faire me rappelle les places de Rome ou des quémandeurs d'argent s'attribuent le rôle d'assistants de parkings, ils vous indiquent une place libre, vous aident à manœuvrer le véhicule et vous donnez une pièce, c'est quasiment obligatoire, sinon, dans quel état vous allez retrouver l'essuie-glace ou le rétroviseur. c'est du racket. Inutile. alors que dans le cas d'une écluse, on peut dire que c'est du travail. Remarquez, ça se discute, tout se discute. Aider à se garer peut aussi être considéré comme un travail, voyons. Et les petits voyous racketteurs qui vous nettoient le pare brise à grand renfort d'éponge savonneuse que si vous dites non, vous restez avec un pare brise recouvert de mousse sur les bras, c'est du racket ou c'est du travail? Et sur les écluses, vous en vacances, vous avez dépensé bonbon pour louer la péniche, forcément, on donne quelques pièces, c'est une environnement propice au racket doux.  Comme nous sommes dans tous ces cas dans une zone de non-droit, on imagine aisément que la loi de la jungle s'impose, que d'autres bandes viendront racketter les racketeurs, ou prendre leur place,  à coups de savates dans le ventre ou pire  peut-être. mais l'atmosphère est tranquille. les enfants nous sourient, le vieux monsieur de l'écluse suivante déplore que des enfants viennent parfois abîmer le mécanisme ou le volant des écluses, ils devaient être saouls, nous dit-il, il est avec un ami et un jeune enfant et ils n'ont pas l'air du tout violent, car la Charente est un fleuve paisible et tranquille où un pécheur ne ferait pas de mal à une mouche.

            J'ai sauté des étapes. Avant de partir, il faut arriver. il faut se retrouver. La gare pratique la plus proche était celle d'Angoulême. Les points de départ sont différents et nous sommes quatre, deux connus, deux étrangers connus aussi, mais moins. Nous nous connaissons ou nous croyons nous connaître. A la sortie de la gare d'Angoulême, où j'arrive en avance, je regarde les voyageurs qui sortent. Certains sont seuls, pressés, ils courent vers la station de taxis et s'engouffrent sur le siège arrière et donnant une adresse et en consultant leur téléphone intelligent. D'autres sont des membres d'une famille, une personne âgée qui embrasse d'abord les petits enfants, puis les parents qui ont ainsi offert à leur parent le cadeau royal de la priorité des baisers enfantins. Puis c'est au tour des parents des parents d'embrasser les parents et l'on repère les couples recomposés à la gêne de l'intrus qui a remplacé le père génétique et se dandine, vont-ils l'embrasser aussi ou seulement lui tendre la main? Les adolescents ont voyagé seuls et évitent les effusions car à cet âge, on évite les effusions embarrassantes. Les voyageurs solitaires attendent leur correspondant, les uns avec confiance, car ils le connaissent et savent qu'ils peuvent compter dessus alors que d'autres sont inquiets soit parce qu'ils ne connaissent pas leur accueillant, soit parce qu'ils le connaissent trop et savent qu'il est toujours en retard ou même qu'il oublie complètement ses engagements et dans ce cas le malheureux commence à appeler comme un fou trois minutes avant l'heure prévue et crient dans leur portable tu m'as encore oublié, n'est-ce pas? Il y a les amoureux.

            Reconnaissables entre tous, sauf le cas particulier de la femme ou de l'homme à qui l'autre avait promis, après des années de clandestinité, de quitter enfin son foyer pour vivre avec toi, lui a-t-il promis, mais tant de fois il a promis sans suite. Ceux-là, on les reconnaît à leurs ongles rongés au ras de l'opercule, à leur mine défaite, leurs yeux mouillés, leurs chaussures grises couvertes par la poussière de l'attente. Enfin les rendez-vous aveugles, on les repère à l'encre d'imprimerie incrustée sous les aisselles d'une chemise en sueur, je t'attendrai avec El Païs sous le bras car si on glisse La Charente libre, comment reconnaître? Sinon, effroyable banalité, incroyable sourire de bienvenue pour un visage familier, paroles inouïes saluant une scène répétée, plaisir de la routine, pétillement de l'habituel, explosion du commun, entre deux personnes reliées par un fil invisible.

            Sur le parvis de la gare d'Angoulême, le soleil frappe. Les deux réunis cherchent un taxi. Trouvent un taxi. éprouvent du plaisir à trouver un taxi sans peine. Le taxi connaît leur hôtel et les dépose sur la place. Un hôtel est un hôtel. J'aime les hôtels, car on y trouve en pénétrant dans la chambre des petits savons enveloppés dans du papier cadeau dont je fais collection. Dont je faisais collection. Car les petits savons, c'est terminé. Oubliez les savons à emporter, désormais le savon est distribué en liquide dans des distributeurs fixés au mur. Du point de vue savonneux, ils se la jouent moderne. Mais en ce qui concerne les mœurs, les évolutions sociétales, les hôtels sont plutôt droite en campagne électorale. Imaginez que Monsieur Druche voyage avec Madame Troche, ce qui de nos jours est plus courant que le voyage commun de Monsieur et Madame Druche ou Monsieur et Madame Troche. Monsieur Druche arrive à l'hôtel, dit bonjour, la réservation est au nom de Monsieur Druche, dit-il. au comptoir de l'accueil, le concierge, ou le directeur, ou le gérant ou l'employé, selon les étoiles, tous comme un seul homme, diront: oui, la réservation est bien faite au nom de Madame et de Monsieur Druche. Si c'est madame Troche qui a réservé, car de nos jours, les dames prennent des initiatives, l'accueillant vous nommera Monsieur et Madame Troche. Il lui paraîtrait inconvenant, ça lui arracherait la gueule, de dire ou de penser que Monsieur Druche passe une nuit dans son hôtel avec Madame Troche. Dans un deux étoiles de province.

            Les restaurants brasserie sont fermés et ne servent plus après quatorze heures. Il ne reste plus à manger que des pizza, croque-monsieur ou des hamburgers dans des établissements de restauration rapide au nom étranger. Le soir, c'est la fête de la musique et nous fêtons aussi la fête de la gauche. Les députés pour qui nous avons voté, distribué des tracts, discuté le bien fondé, sont élus.

            Le lendemain, en route pour Jarnac pour prendre possession du Tamaris numéro 15. Un bateau pour quatre à six personnes, cinq mètres de long, deux mètres de large, faible tirant d'eau, deux cabines séparées pour les adultes, avec chacune toilette et douche. et si enfants, coucheront dans le salon, sur les canapés. Les coursives ont la largeur d'une semelle de chaussure taille 38, les escaliers polluent toute la surface et pour se déplacer de la proue à la poupe, le nerf sciatique comprimé entre la vertèbre R 35 et R 36 réclame sa portion de Dafalgan. Selon la hauteur de l'eau, sauter pour monter à bord, c'est à dire qu'il faut descendre pour monter, absurde, ou monter sur le quai pour descendre, c'est à dire qu'il faut monter pour descendre, incongruité. Un voyage en péniche nécessite une ouverture d'esprit qui accepte sans rechigner de telles incorrections. Il faudra apprendre aussi à utiliser à bon escient les termes bâbord et tribord, amont et aval. Au minimum. Coursives étroites, où il faut se contorsionner, douche minuscule, toilette sans espace, ô souffrances imposées, acceptées, revendiquées, ô vieillesse ennemie, vivre si longtemps pour tant d'infamie, pour simplement le plaisir de raconter l'improbable, l'exotique, l'étrangeté, en oubliant les dafalgan.

            Le vaisseau que nous avons loué comme les péniches des rivières peu profondes, comme les bateaux loisirs ou les péniches transports, comme les chalands ou les coches d'eau, les gabarres à fond plat, doivent tous avoir une quille menue. Ils ont une énorme surface de résistance au vent et une quille menue, un gouvernail réduit. Ils sont donc sensibles aux courants, au vent, aux marées, aux poussées de poids. A proprement parler, ces vaisseaux sont ingouvernables. Nous avions pourtant loué les services d'un capitaine expérimenté, qui avait passé une vingtaine d'années de sa vie à naviguer sur les tous les océans du monde, du haut de sa passerelle de commandant. Quand il a pris le navire en main, nous avons vu tout de suite que ça n'allait pas. d'autant plus qu'il avait invité à participer au voyage son épouse, femme de marin, confiante dans son capitaine de mari, qui conduisait les bateaux au milieu des tempêtes, et conduisait sa vie au milieu des tourments, et ne perdait jamais son calme, sa maîtrise, une barbe sel et poivre dans les embruns. Et là, dès la première sortie, elle s'est rendue compte que son capitaine de mari ne maîtrisait plus rien. Son inquiétude était contagieuse et nous avons tous commencé à paniquer dès la première sortie,  et nous nous sommes calmés à la fin de la semaine, quand le Tamaris fut à quai, retenu par deux bittes solides, ces poteaux d'amarrage où pleurent assises les femmes des marins en attendant le retour du chalutier.

            Pendant une semaine, en plus des contorsions pour aller chercher le dafalgan qui toujours était à bâbord quand nous étions à tribord, nous avons ainsi vécu dans une inquiétude que ne cherchait même plus à calmer le capitaine. Il nous expliquait ainsi ce qui augmentait les craintes. Imaginez, disait-il, un manège d'autos tamponneuses, mais au lieu de se déplacer sur terre ferme, elles se déplacent sur un lac ou plutôt sur une flaque d'eau peu profonde. vous tournez le volant de votre auto tamponneuse et elle ne répond pas. et bien, sur la Charente, c'est pareil. Le navire ne répond pas. Résultat, les passages des écluses nous ballotaient d'une muraille à l'autre, les pierres des rivages s'enfonçaient dans la structure du bateau, les balafres et les cicatrices tailladaient la coque, que ce soit le bordé ou les œuvres vives.

            Le Tamaris avait été repeint à neuf, et au retour, tout au tour de la coque, de l'étrave, il était couturé comme un vieux loup de mer, comme un pirate. la faute aux écluses.

            Une rivière monte et descend, d'où l'expression en amont, en aval. L'eau s'écoule parce qu'il y a une pente. Quand la pente est forte, les eaux sont impétueuses et utilisées par des nageurs ou des sportifs intrépides. quand la pente est faible, l'eau s'écoule lentement, paisiblement et les familles et les amoureux s'y promènent sans danger. quand la pente est nulle, il s'agit d'un lac ou d'une mare dont l'inconvénient est de permettre l'installation de colonies de moustiques dans les eaux stagnantes. Quand la pente atteint cent pour cent, une rivière devient une cascade, joie des yeux voyageurs émerveillés comme devant les chutes du Niagara ou de n'importe quelle chute. Rares sont les cours d'eaux qui permettent la navigation sans régulation. Pour rendre les rivières et les fleuves navigables, l' homme a inventé les écluses. Voici comment ça se passe. Vous pouvez vérifier par vous-même à Paris, il y a une très belle écluse sur le parvis de la Villette, métro Stalingrad.

            Jadis, les écluses étaient manœuvrées par des éclusiers. Puis elles ont devenues automatiques. On les commande à distance, ou un œil électronique repère les embarcations et commande les ouvertures et les fermetures. Parfois, on peut commander les ouvertures par téléphone. Sur la Charente, plus d'éclusier, pas de système électronique, les passagers doivent ouvrir et fermer sous l'autorité du capitaine. La péniche se présente à la porte de l'écluse. Un ponton l'accueille, pour débarquer deux membres de l'équipage, souvent la femme du capitaine et le nerf sciatique, qui rappelons-le, depuis le départ étaient tous une pelote de tension, un paquet de panique contractée. Restent à bord un membre de l'équipage et le capitaine, prêt à affronter les murailles tranchantes, les pierres invisibles, à coups de pieds, avec une gaffe, ou le dos arcbouté à la muraille, ou se tapant le front contre la pierre. L'autre membre de l 'équipage restée à bord prépare les rouleaux de cordage que bientôt il faudra lancer aux deux autres le long de l'écluse. Les deux membres de l'équipage descendus à terre ouvrent les venelles qui libèrent ainsi l'eau. Le niveau de l'eau monte, se trouve à égalité avec le niveau en amont. La péniche brinqueballe dans l'écluse, les cordes se tiennent à mains nues ou s'enroulent dans un œilleton ou autour d'une bitte. Lâchez tout quand l'eau est à niveau, ouvrez les vannes en libérant les venelles de l'autre côté, le niveau de l'eau descend, se trouve à égalité avec le niveau en aval, et vole la gabarre. Manœuvre inverse pour remonter la rivière.

            Quand le bateau est à quai, nous descendons les vélos pour faire les courses ou chercher un restaurant. Le long de la Charente il y a de nombreux restaurants genre carte avec prix pour l'homme et carte sans prix pour la femme. Les quatre membres de l'équipage forment un chœur de protestation contre ces mœurs d'un autre âge. Ensuite ils mangent.

            Quand ils en ont assez des écluses, ils font du vélo le long de la Charente. Chaque fois, ils apprennent quelque chose. Ainsi par exemple: le vélo de l'un est trop grand, le vélo de l'autre est trop petit, ils échangent leur vélo et tous deux poursuivent leur chemin dans le confort et le bonheur. Si l'on pouvait faire de même dans la vie. Le vélo est une leçon, il nous apprend toujours une chose ou une autre.

            Il nous apprend comment se tracent les chemins. Sur le chemin forestier poussent des orties qui projettent leur tige et leurs feuilles urticantes au dessus de la piste. Les passants, piétons ou cyclistes, font un détour pour éviter les piques désagréables. Peu à peu, le chemin se détourne en arc-de-cercle de sa rectitude originale. Avec le temps, les paysans plantent du maïs et coupent les orties. La boursouflure du chemin subsiste et les générations futures se demanderont pourquoi. Seuls les vieux du village se rappelleront la présence des orties, mais une fois disparus, aucune archive ne viendra rendra compte du détour et l'on s'étonnera, on inventera des explications, des légendes seront écrites.