dimanche 30 septembre 2012

Famines


Yang Jisheng, stèles, la grande famine en chine 1958-1962, paris, Seuil, 2012.


Libé 29 sept 2012. Recension de  Philippe Grangereau

            La grande famine en Chine 58-62 : inégalée dans le monde par son ampleur, bouleversante par ses actes d’anthropophagie et hautement criminelles car les campagnes ont été délibérément affamées par Mao Zedong. « Si nous laissons tous les paysans manger à leur faim…nous ne pourrons pas nous industrialiser, nous devrons réduire l’armée et ne pourrons bâtir une défense nationale ».

            36 millions sont morts de faim. Plus meurtrière que la seconde guerre mondiale qui a fait entre quarante et cinquante millions de victimes en Europe en Asie et en Afrique, sur sept ou huit ans. En Chine 36 millions sont morts sur une période de trois à quatre ans. Au pire de la famine, en janvier et février 1959 il y avait des réserves de céréales. La population campait autour des greniers : donnez nous à manger ! Les empereurs ouvraient leurs réserves en cas de pénurie. La direction du PC montait la garde autour des greniers. Le cannibalisme et la nécrophagie sont attestés par des rapports de police. Pour faire accepter cette politique, la violence de la répression était extrême : tortures, exécutions sommaires…

            La grande famine se met en place en 1958. L’objectif était de rattraper la production d’acier de la Grande-Bretagne. La population érige des millions de petits hauts fourneaux. Tous les  ustensiles de cuisine et les outils agricoles sont fondus ; Pour rien. Le métal est inutilisable. En même temps la petite propriété paysanne est abolie, les villages transformés en « brigades de production », les terres et le bétail sont saisies par l’état. Les habitants, expulsés de leur maison étaient regroupés en casernes, hommes d’un côté, femmes et enfants de l’autre. L’objectif était de détruire la cellule familiale. La cuisine individuelle était interdite.

            La grande famine reste encore un tabou en Chine. Le livre de Yang Jisheng a été publié à Hong Kong. Mais interdit sur le continent chinois. Officiellement : trois années de « catastrophes naturelles ». Mao est intouchable. Les manuels scolaires : parlent de « difficultés économiques ». Attribuées à des « erreurs de gauche ».

            Ça se passait entre 1958 et 1962. Six ans plus tard, votre serviteur recevait à dîner Maria-Antonietta Macciocchi, auteur de « De la Chine » qui donnait le modèle chinois en exemple pour la construction du socialisme. Six ans plus tard, votre serviteur donnait des cours   sur la Grande Famine en Irlande, dans les années 1840, la comparait à d’autres famines européennes ou africaines, mais pas à la famine en Ukraine des années 1930 ou en Chine du Grand Bond en avant.

vendredi 28 septembre 2012

amnistie et amnésie


            Sur le parvis de la Gare du Midi, chaque année au mois de septembre, le festival du film latino-américain de Biarritz attire les foules. Chaque année, un comité de solidarité pour les prisonniers basques manifeste pour la libération des prisonniers, demande le rapprochement près de leur famille, leur libération pour raisons sanitaires. L’automne, pour moi, c’est ça. Ce n’est pas la chute des feuilles, les nuages gris et les vents mauvais. C’est le festival latino et la manifestation des patriotes basques. Cette année, 2012, je m’étais préparé. Sur une feuille A4, je m’étais fabriqué une petite affiche, glissée dans un classeur transparent pour la protéger de la pluie et des frisages. La voici :


Oui au rapprochement, oui aux libérations anticipées. Les prisonniers basques ont droit à la justice et à l’humanité que l’ETA a refusées à ses victimes

            J’entre dans la salle du festival et j’en ressors vers dix-neuf heures. Ils sont là, sur les marches, des grandes affiches qui servent tous les ans et un manifestant avec un masque blanc couché sur le sol pour demander la libération des prisonniers malades. Je sors mon affichette et je me range à côté des manifestants. Pendant un long moment, rien ne se passe. Les passants ne lisent pas mon texte, ils me rangent parmi les patriotes basques. Puis une dame prend mon texte en photo. Une autre le lit et s’étonne. Enfin une manifestante s’approche, me regarde sans sympathie, un autre manifestant s’approche, lit mon texte, me demande fermement de dégager, comme je ne dégage pas, il m’arrache mon affichette. Je lui cours après, je crie à la censure, Moscou, Pol Pot, fascistes, heureusement que vous n’êtes pas au pouvoir, la manifestation bien calme jusque là s’échauffe. Des gens s’approchent et m’expliquent que je ne suis pas à  ma place avec ce texte. Puis Gaby Mouesca et Zigor, figures connues du nationalisme basque, militants de la première heure, prisonniers, des amis avec qui je me dispute depuis des années, viennent me protéger. Ils sont politiques et savent que surtout, il ne faut pas que je devienne une victime. Parce que ça ferait tout basculer. Les victimes, c’est eux. Surtout pas moi. Donc ils vont rechercher l’affichette, me la rendent, disent que je peux continuer à manifester, mais que c’est une provocation. Une provocation ? Je leur réponds pas du tout : je demande comme eux le rapprochement, la libération des malades. Oui mais la dernière phrase est une provocation ? Ah bon ? L’ETA a accordé justice et humanité à ses victimes ? Je parle fort, bien sûr. Et je dis très fort, en répétant : amnistie, pas amnésie. C’est un bon mort d’ordre.

            Puis je vais boire un verre de vin avec des amis et je retourne dans la salle voir un film uruguayen sur un vieux bonhomme atteint d’Alzheimer. Il a complètement oublié que pendant trente ans, il avait terrorisé sa famille. 

racisme anti blanc


    Jean-François Copé a découvert le racisme anti blanc. Il existe. Je l’ai rencontré. À Harlem, dans les années soixante, je me promenais avec des enfants blonds et des enfants noirs leur crachaient au visage. Il y a cinquante ans. Déjà à l’époque, aux États-Unis, des politiciens conservateurs dénonçaient le racisme anti-blanc. Relisez les discours de Martin Luther King, de Nelson Mandela, qui leur répondaient et condamnaient toutes les haines raciales. Si Jean-François Copé à son tour veut nous dire que le racisme doit être combattu d’où qu’il vienne, cette découverte éblouissante mérite respect et applaudissements.  

            J’ai pourtant peine à placer Jean-François Copé dans la lignée des Luther King et Mandela. Mélanger les préjugés parfois meurtriers et les racismes institutionnels témoigne d’une grande confusion. Contre les racismes populaires, le combat doit être mené, mais il est long, pédagogique, policier si nécessaire. Il  ne peut pas être confondu avec les racismes institutionnels, le racisme d’État, le racisme comme moyen de mobilisation politique. Les Noirs aux États-Unis et en Afrique du Sud étaient des citoyens de seconde zone. En France, dans le domaine de l’emploi, du logement, des études, de l’accès aux métiers les mieux payés, aux fonctions les  plus prestigieuses, il ne semble pas que les hommes blancs soient les plus discriminés.

            Comme Jean-François Copé dispose des outils scientifiques et intellectuels pour distinguer les différentes formes de racisme, il n’y a qu’une seule explication à sa confusion : un regrettable penchant à la pyromanie.

dimanche 23 septembre 2012

ZSP


            
            Le quartier où j’habite porte le nom de la Goutte d'Or. Il a été classé zone de sécurité prioritaire (ZSP) par le Ministère de l’intérieur. Ce classement fait suite à une demande du maire, Daniel Vaillant, et de l’adjointe à la sécurité, Myriam El Khomri. Je n’ai personnellement rien demandé. Moi, personnellement, je ne demande jamais rien ou sauf le minimum vital, genre médicaments, soins médicaux, affection familiale et amoureuse, quelques moyens de transport  et un frigo en état de marche. Je demande aussi du chauffage en hiver et de la brise en été, du linge propre, un vélo aux pneus ronds et fermes, un trottoir propre, accessible, sans voitures et sans caddy. Je demande aussi une caissière souriante, des individus qui ne se jettent pas sous le TGV Paris Bordeaux quand ils décident d’en terminer avec leur existence, alors qu’il y a tant d’autres lignes de TGV, de TER, sans compter les tramways et les métros tout aussi efficaces comme terminateurs. Je demande que les voyageurs ne hurlent pas dans leur téléphone que si tu voulais de la mousse à raser, tu pouvais te l’acheter toi-même et que le dossier échographie est dans le premier tiroir. Je demande aussi personnellement que les personnes âgées prennent un peu sur elles et me présentent une image de mon avenir un moins déprimante que souvent. Rien n’empêche une blouse repassée, des chaussures cirées, un coup de peigne, une douche et un nuage de parfum d’un marin qui lance son sac sur l’épaule en quittant sa belle, col marin impeccable. Genre. Je demande que les vendeurs à la sauvette, les fourgueurs de drogue, les survivants du désastre, choisissent sur la carte de la ville de manière moins paresseuse. Ce n’est pas parce que la Goutte d'Or a une longue tradition d’alcoolisme, de misère de rue, qu’ils ne peuvent pas avoir l’idée de s’installer en dehors de ses murailles. Qu’ils explorent la ville, le monde. D’autres avenues sont plus larges, plus accueillantes, ils peuvent installer leurs cartons et leurs lingerie contrefaite sans gêner le passage des piétons pressés. Ici, les trottoirs sont étroits, les rues étriquées, les échoppes débordent et la ligne de débordement est atteinte. S’il y un couvercle sur le quartier, la cocotte aurait déjà explosé. Comme il n’y a pas de mur, par toutes les issues, la vapeur comprimée s’échappe, réduit la tension et c’est à ces endroits précisément que le chaos est le plus durement ressenti, à l’intérieur, on se rend moins compte. 

samedi 22 septembre 2012

dépendance


     Si je me place en dépendance – si j’attends des autres qu’ils se manifestent – je leur donne un pouvoir exorbitant. Si je n’attends rien des autres, si je ne compte que sur mes propres forces, mes seules initiatives, je ne peux être déçu que par moi. Ce qui m’accorde un pouvoir exorbitant. Et qui peut être plus terrifiant encore, car être déçu par soi est plus terrible qu’être déçu par les autres. 

vendredi 21 septembre 2012

queue de poisson


            Je roule à vélib, tranquillement. Une voiture me dépasse et se rabat brutalement pour tourner à droite. Elle me coupe la route. Elle m’humilie, m’agresse. Je réagis. Je crie « queue de poisson ! ». Le conducteur de la voiture queuedepoissonnante pense que je l’insulte. Que je fais allusion à sa virilité. Il me dit : répète un peu pour voir. Je répète « queue de poisson ! ». Il arrête sa voiture. Il sort de sa voiture. Il me regarde. Il me dit : « tu veux la voir, ma queue de poisson ? ». Je lui dis qu’il se trompe d’éléphant. Un attroupement se forme, à l’angle de la rue Jean Jaurès et de la rue Victor Hugo. Deux vies emblématiques pour finir ainsi en queue de poisson. Les piétons donnent généralement raison au cycliste quand ils ne conduisent pas et quand ils conduisent, donnent raison au chauffeur, mais alors, ils ne sont plus piétons. Je sens sourdre du groupe coagulé une sympathie à mon égard et j’en profite pour répéter « queue de poisson ! queue de poisson ! » En regardant le fautif. Il remonte dans son véhicule, la queue de poisson entre les jambes, et part en vrombissant pour montrer sa puissance chevaline. Je dis « merci les amis », et je repars vers de nouvelles aventures. 

mercredi 19 septembre 2012

fanatismes


Nous vivons dans un pays de liberté. Charlie Hebdo  a le droit de publier des caricatures (ne pas  dire "offensante", ce serait un pléonasme), des gens ont le droit de hurler contre cette publication, j’ai le droit d’écrire que Charlie Hebdo a fait une sottise en publiant ces caricatures. Personne n’a le droit de condamner à mort pour délit d’opinion. De mon temps, j’ai combattu ou partagé d’autres fanatismes. J’ai manifesté contre la pièce de Jean-Paul Sartre, Les Mains sales, dans le but d’interdire le spectacle. Puis j’ai contre manifesté, au théâtre de l’Odéon, contre d’autres fanatiques qui voulaient empêcher Les Paravents, une pièce de Jean Genet, pendant la guerre d’Algérie. Je n’ai pas manifesté conte La vie de Brian des Monty Python,  mais si j’avais été chrétien, j’aurais peut-être manifesté. Aujourd’hui, mon avis est qu’on ne combat pas les fanatismes en insultants les croyances. 

dimanche 9 septembre 2012

QPS


Je me réveille un matin dans un quartier classé sécurité prioritaire. Pas de voitures qui brûlent, pas de règlements de compte, pas de batailles rangées, seulement des vendeurs à la sauvette qui bloquent l’accès des bouches de métro et du marché Dejean, du deal, de la prostitution. Dans la pratique, des interventions plus régulières des forces de police dégagent les accès au métro. Je ne me plains pas de pouvoir circuler plus librement. Fallait-il une étiquette QPS pour obtenir deux voitures de police ?

Deux grandes questions dans la Goutte d'Or : éviter l’enfermement et dégager l’avenir des plus démunis. Donner des raisons aux couches moyennes diplômées de s’installer et de rester. Le classement du quartier en QPS est de ce point de vue une catastrophe. Il enferme davantage les habitants sans avenir, il fait davantage fuir les habitants qui maîtrisent le leur. Il y a de quoi être en colère. Le travail patient des élus, des associations, des professionnels de la santé, de l’éducation, de la prévention, tous ceux qui ont maintenu le quartier debout, ont agi pour qu’il ne soit pas un ghetto, détruit les taudis et reconstruit des logements sociaux, qui ont bâti des bibliothèques, des centres de musique, une rue de la mode, un institut des cultures de l’Islam, reconstruit le Louxor, ceux qui accueillent et soignent les usagers de drogue, tous ceux qui maintiennent les extrêmes à la marge, qui mettent à jour des priorités autres que la sécurité, tout leur travail est recouvert d’une sombre capuche sécuritaire.

Si l’on cherche des urgences, j’en vois quelques-unes : une réflexion active sur la ghettoïsation de l’enseignement. La reconstruction de l’ancien magasin Vano à Barbès. Une ouverture au métro Château Rouge toujours au bord de l’asphyxie, la réouverture de la bibliothèque de la Goutte d'Or fermée depuis près de deux ans. Des lieux de consommation de drogue à moindre risque.

La sécurité, c’est ce qui reste quand on a tout oublié. 

quartier de sécurité prioritaire

Je me réveille un matin et j'apprends que mon quartier est classé zone de sécurité prioritaire. Pas de règlements de compte,

mercredi 5 septembre 2012

dimanche

Dimanche 2 septembre. La ville est à nous. Les quais du canal de l’Ourcq appartiennent aux piétons, aux cyclistes, aux pousseurs de bébé, aux glisseurs sur planches, aux rouleurs sur patins, aux joggeurs. Et le long de la Seine, entre dix heures et dix-neuf heures, c’est pareil. Un enfant casqué roule à gauche et la foule sportive le sermonne devant le père rouge de honte. Un pigeon écrasé rappelle la brutalité de la voie rapide. Il gît en galette emplumée comme un épouvantail efficace : les oiseaux ne reviennent pas le dimanche, il faudrait plus de temps pour qu’ils reprennent possession des lieux. Bizarre cet autoroute qui devient jardin de glisse, promenade pour familles recomposées, couples homos ou hétéros, patineurs malins. Comme si un quartier de haute sécurité six jours par semaine devenait le septième jour un centre de loisirs. Sans qu’on ait lessivé les murs, sans qu’on ait balayé le sol. Une fois par semaine, Long Kesh deviendrait le Club Med et Sing Sing une salle de sports.

Ce n’est qu’un dimanche, un jour par semaine. Mais je vous en prie, faite le voyage. Passez à pied ou à vélo devant l’île Saint-Louis, l’île de la Cité, les quais de la Seine, la Conciergerie, le musée d’Orsay, débouchez sur la Concorde à l’heure où les touristes  piqueniquent sur les murets comme une nuée de moineaux.

L’été est le paradis des vélos. Des cyclistes. Des vélibistes. Il y en a partout. Les stations sont fournies. Les postes libres sont légion. Les voitures jouent à tamponne-car sur les autoroutes. Paris est à eux. Paris, c’est bien quand les Parisiens sont partis.

Quand tout le monde est revenu, les vacanciers et les expulsés, les salariés et les chômeurs, les locataires, les propriétaires et les squatteurs, Paris se crispe sur les courants quotidiens. Plus de place dans le métro, dans les bus, les poussettes disputent l’espace aux caddies, les téléphones aux baladeurs. Le matin après neuf heures, les stations vélib sont vides. S’il reste un ou deux vélos, c’est comme le marché aux célibataires : s’il est encore seul et pas pris, c’est qu’il a défaut. En arrivant à destination, c’est le contraire, plus une place disponible. Pour s’en sortir, le secret est de prendre deux abonnements, ou de nouer une relation durable avec un partenaire qui n’habite pas Paris, qui vient de temps en temps, mais pas trop souvent, et qui vous laisse son abonnement quand il ou elle n’est pas là. Avec vos deux cartes d’abonnement, vous pouvez jouer à sortir un vélo, à le remplacer par un autre et ainsi le temps coule moins vite. Attention ! Quand vous avez déjà un vélo, et que vous en sortez un autre, prenez garde au voyou qui glisse son vélo dans l’espace ainsi libéré et risque de vous laisser avec deux vélos sur le dos au lieu d’un. Les Mormons et les Musulmans polygames se retrouvent parfois avec cinq ou six  vélib sur les bras. 

jeux de mots, jeux de vélo


    Pour s’affirmer, ne jamais raser les murs, roulez au milieu et si possible devant. Prenez la tête de la circulation. A l’arrêt, dépassez les véhicules immobilisés par les feux rouges et placez-vous en tête du cortège, si possible avec un drapeau rouge.

Hier samedi, du Château rouge à la Fontaine au Roi. Consultez l’application vélib sur votre téléphone intelligent, Samsung ou Iphone, peu importe. L’écran vous interroge. Quelle ville ? Paris. Les arrondissements défilent. Des vélos face au 36 de la rue Cavé, douze vélos. En état de marche. Ils sont là, effectivement, en chair et en os. Aucun pneu crevé, aucune chaîne décrochée, aucun guidon tremblant, aucune fixation de selle brisée. Vous posez la carte sur la lumière verte, le verrou se libère, le vélo est à vous. A tu et à toi.

            Prenez la rue Cavé et la rue Saint Luc en sens interdit. Contournez l’église Saint-Bernard devenue lieu de pèlerinage pour les sans-papiers, tournez à droite rue Stephenson jusqu’au boulevard de la Villette, traversez le terre-plein et prenez une piste cyclable protégée, en site propre, jusqu’à la Chapelle. Malgré le petit muret qui indique la frontière, des voitures stationnent de temps en temps. Mais peu. Aux feux, les piétons considèrent que la piste n’est pas concernée par les pastilles de couleurs et attendent leur tour planté sur votre territoire. Pardon, merci, ceci est une piste, rien de tragique. A la Chapelle, placez-vous en tête, toujours. Quand la circulation s’arrête, tournez à droite avenue de Flandres puis à gauche vers la piste protégée qui longe le canal. Vous êtes à peu près tranquille jusqu’à la République. La piste s’arrête avant la Fontaine au Roi, placez-vous dans la file de gauche, tournez à gauche, le bras gauche penché vers le sol, l’index indique le bitume. Montez la Fontaine au Roi jusqu’à la première station et renfilez votre vélib. Le reste à pied. Sur le trottoir de gauche, car le trottoir de droite est souvent occupé par des SDF qui dorment sur un matelas relatif. Notez qu’à la différence des voitures, les SDF sont des piétons, souvent assis ou couchés, mais des piétons. Ils ont parfaitement le droit de dormir ou de manger ou de discuter sur les trottoirs de la Fontaine au Roi. Comme le trottoir est étroit et qu’ils sont allongés perpendiculairement au mur, pour avoir le spectacle de la rue en face d’eux, si vous remontez à pied sur le trottoir tribord, vous avez l’impression de traverser leur chambre à coucher s’ils dorment, leur salle à manger s’ils mangent, leur salon s’ils discutent. Par respect, il est donc recommandé de prendre la trottoir bâbord. Ces déplacements à pied prolongent un parcours cyclo, mais ne font pas partie du champ choisi des conflits urbains. Ils sont donc mentionnés ici pour ouvrir d’autres pistes de recherches. Il faut bien délimiter le sujet car sinon, pourquoi ne pas analyser la montée des marches dans les immeubles, la prise d’ascenseur, la coulée verte entre la Bastille et le Bois de Vincennes, le glissement des tapis roulants et le chuchotement des escaliers mécaniques ? Il y aurait beaucoup à dire et beaucoup à faire dans ces différents domaines. Et pourquoi pas non plus, tant qu’on y est, parler des vendeurs à la sauvette.

            Non. Le sujet est trop grave pour être dilapidé, pour se dissoudre dans d’autres sujets, certes importants, mais malgré tout secondaires. Regardons les choses en face. La présence massive de la bicyclette dans les déplacements urbains a déjà des effets qui dessinent ce que pourrait être une société humaine dans les grandes métropoles. Les vélos ralentissent les voitures et diminuent donc fortement le nombre d’accidents dont la majorité est due à une vitesse trop élevée. Economie pour la sécurité sociale, pour les hôpitaux débordés jusqu’à récemment  par les urgences routières. Economie d’essence : les voitures roulent moins vite, elles consomment moins. Economie de santé encore, car les voitures roulant plus lentement, elles polluent moins, les bébés sont plus roses dans leurs Lamborghini, les vieillards respirent mieux et peuvent donner davantage de conseils aux plus jeunes sans s’essouffler, l’intergénérationnel se développe, des mains se nouent, des regards se croisent, la vitesse tue moins et quand les statistiques d’une éloquence raide, disent que grâce aux cyclistes, deux cent morts par an ont été épargnées, je demande que ces deux cents morts qui n’ont pas eu lieu, quittent le domaine des statistiques et soient répertoriées afin que les familles qui n’ont pas subi de tels drames puissent célébrer l’absence de tragédie dans des fêtes retentissantes. On pourrait imaginer qu’on invite à ces fêtes un cycliste aléatoire pour qu’il soit publiquement remercié : grâce à toi, ô Antoine Belvédaire, mon fils Armand est toujours vivant, sois-en remercié. 

mardi 4 septembre 2012

sondages et durée


L’instant et la durée

Nous savons, qui ne le sait pas, que les vraies mesures politiques n’auront d’effet que beaucoup plus tard. Il faut combien d’années pour former des enseignants ? Et des policiers ? Combien d’années pour changer les mentalités profondes dans la justice, la santé, les soins, la répression ? Combien d’années pour que les efforts et les investissements en formation, en recherche, aient des effets sur l’emploi et le logement ? Mais chaque jour, les sondages mesurent la popularité des dirigeants. Il faut faire avec. Les pays sans sondages n’ont pas que des qualités. Dans ces pays, on méprise même les sondages grandeur nature que sont les élections.

Regardez mon quartier. Depuis qu’il est devenu quartier prioritaire de sécurité, la présence régulière de la police a chassé les vendeurs à la sauvette autour des stations Barbès et Château Rouge. Spectaculaire. Pour tout vous dire, je ne boude pas le plaisir quotidien d’accéder aux bouches de métro sans être bousculé. Les sondages approuveraient la présence policière à un fort pourcentage. Si on me posait la question : approuvez-vous la présence policière dans le quartier qui permet de se déplacer plus facilement Boulevard  Barbès ? Je répondrais sans doute oui.

Qu’est-ce qui est réglé dans la durée ? Rien. Les usagers de drogue n’ont pas été chassés, ce qui prouve une certaine discrimination positive dans l’action policière. Les vendeurs à la sauvette attendent que les uniformes s’en aillent. Ils reviendront ou ils iront ailleurs.

Les mesures durables ? La réflexion collective sur l’enseignement primaire et maternelle pour éviter une ghettoïsation rampante. La construction de logements sociaux et de chambres d’étudiants. Le centre Barbara qui est un lieu  de création artistique et musical en plein essor. Le nouveau centre Louxor qui créera un foyer d’animation. La construction d’un nouveau lieu de réduction des risques Boulevard de la Chapelle. Une réflexion en cours sur les centres de consommation propres qui répondraient à la fois aux aspirations des habitants et des usagers. Les urgences ? Reprendre le fonctionnement de la bibliothèque de la Goutte d'Or. Intolérable qu’un tel lieu aussi intensément fréquenté reste fermé pendant des années. Les urgences ? Que Vanoprix soit enfin reconstruit au lieu d’insulter les habitants et les passants par l’étalage d’une décharge publique.

Les sondages mesurent l’instant, l’urgence est la durée.
  

samedi 1 septembre 2012

merci


Pour s’affirmer, ne jamais raser les murs, roulez au milieu et si possible devant. Prenez la tête de la circulation. A l’arrêt, dépassez les véhicules immobilisés par les feux rouges et placez-vous en tête du cortège, si possible avec un drapeau rouge.

Soyez fiers. La présence massive de la bicyclette dans les déplacements urbains a déjà des effets qui dessinent ce que pourrait être une société humaine dans les grandes métropoles. Les vélos ralentissent les voitures et diminuent donc fortement le nombre d’accidents dont la majorité est due à une vitesse trop élevée. Economie pour la sécurité sociale, pour les hôpitaux débordés jusqu’à récemment  par les urgences routières. Economie d’essence : les voitures roulent moins vite, elles consomment moins. Economie de santé encore, car les voitures roulant plus lentement, elles polluent moins, les bébés sont plus roses dans leurs Lamborghini, les vieillards respirent mieux et peuvent donner davantage de conseils aux plus jeunes sans s’essouffler, l’intergénérationnel se développe, des mains se nouent, des regards se croisent, la vitesse tue moins et quand les statistiques d’une éloquence pudique, disent que grâce aux cyclistes, deux cent morts par an ont été épargnées, je demande que ces deux cents morts qui n’ont pas eu lieu, quittent le domaine des statistiques et soient répertoriées afin que les familles qui n’ont pas subi de tels drames puissent célébrer l’absence de tragédie dans des fêtes retentissantes. On pourrait imaginer qu’on invite à ces fêtes un cycliste aléatoire pour qu’il soit publiquement remercié : grâce à toi, ô Antoine Belvédaire, mon fils Armand est toujours vivant.

révoltes


     Les voitures sur le trottoir. On aura compris que je considère comme mes alliés les piétons et les cyclistes alors qu’une partie d’entre eux se conduisent comme des brigands. On aimerait  distinguer le piéton convaincu, endurci dans son piétinement et le piéton intérimaire, qui n’est piéton que dans l’intervalle de temps entre une course en voiture et un retour de vacances automobile. Le vrai piéton n’est pas celui qui se considère en apnée chaque fois qu’il ne conduit pas son engin meurtrier. Celui-là est un traître, il s’arrête au passage piéton pour laisser passer les voitures, il trouve des excuses aux infractions, aux dépassements, aux franchissements, aux stationnements même pour handicapés, car un jour, après avoir tourné pendant des heures, il a lui-même eu envie de se poser sur un fauteuil roulant. Quant aux cyclistes, certains se conduisent comme des coureurs de formule 1 et se vengent par leur agressivité des mauvais traitements subis dans la petite enfance. Leur vélo, en fait, ne sont que des divans à roulettes. En fin de compte, tous sont sont des frères, un peu tordus, mais des frères. Dans toutes les familles, il y a des malades ou des affreux, ils font quand même partie de la famille. La famille, c’est sacré. La Sainte Famille. La Sagrada Familia.

            Quand les trottoirs sont étroits et qu’on ne peut pas poursuivre la route parce qu’une voiture s’est garée et vous empêche de passer, que faire ? Vous êtes piéton, pas cycliste. Vous ne disposez pas d’armes à feu. Ni de bâton rayeur. Vous ne souhaitez pas subir ces colères rentrées causes d’ulcères à l’estomac ou d’eczéma entre les doigts de pieds. Etes-vous impuissants ? Non. Vous transformez ce conflit particulier entre un promeneur, vous, et un véhicule habité, l’autre, en mouvement social structuré par l’espoir d’un monde meilleur. Vous décidez de vous constituer en micro-manifestation, en parcelle de révolte, en atome de rébellion, en particule de soulèvement populaire. La révolution n’est plus à l’ordre du jour ? N’attendez pas, faites de votre vie une prise de la Bastille en boucle, une barricade en construction. Foncez. Rédigez un texte fondateur. « Si les voitures occupent le trottoir, les piétons occuperont la chaussée ». Pour le prix d’un billet de cinéma, vous commandez un tee-shirt avec cette phrase imprimée. Qui peut varier. « Trottoir occupé, piéton révolté ». « Voitures sur trottoirs, voitures sur chaussée, voitures dans mon lit, où est la place du piéton ? » « Si le chemin de Croix avait été une piste cyclable, Jésus ne serait jamais arrivé au sommet du Golgotha ». « Un pneu ça va, quatre roues, bonjour les dégâts ». « Vous vous garez où vous voulez, Je marche où je peux ». Réunissez ceux qui partagent vos combats et au cours d’une session de tourne-cervelle, lancez ainsi les slogans en l’air, prenez les plus courts, les plus percutants. Imprimez-les sur un tee-shirt et parcourez les pavés fièrement, les voitures ralentissent et lisent le texte choisi, certains conducteurs comprennent et se marrent, d’autres explosent leur moteur et écrasent leur sonnerie aux morts, en cas d’incendie, laissez passer les pompiers.