jeudi 27 décembre 2012

détournement

sans liberté de choisir, il n 'est pas d'orgasme flatteur

samedi 22 décembre 2012

ZSP


            La mort, les catastrophes naturelles, les tueries en masse, les guerres, le terrorisme, les épidémies, simplifient la vie. Il faut répondre à l’urgence. Ça arrive tous les jours sur le petit écran, dans la vie quotidienne, ça arrive rarement. Les événements qui simplifient la vie sont si rares que vivre au jour le jour devient très compliqué.

            Comme la pente naturelle est de rechercher le simple plutôt que le complexe, nous traquons avec avidité les éléments de notre environnement qui prennent un caractère d’urgence car ils nous permettent de dormir tranquillement sur les deux oreilles. Individuellement, la maladie, la drogue, la passion, imposent leur itinéraire lancinant. Collectivement, les révolutions, les guerres réelles ou symboliques sont des aimants qui ordonnent la limaille.

            Nous vivions dans la Goutte d'Or une situation d’une extrême complexité. Un quartier commerçant qui attire les foules du Bassin parisien vers un mouchoir de poche. Des habitants descendants d’immigration relogés sur place dont les enfants devenus français de souche scrutent l’avenir. Des habitants intégrés, salariés, diplômés  ont acheté en plein Paris un logement à un prix raisonnable. Des immigrants qui trouvent ici des réseaux d’accueil et de solidarité, des réseaux de vente de produits contrefaits ou volés, des réseaux de prostitution, des moyens primitifs de survie. Des usagers de drogues qui consomment dans la rue, dans les halls d’immeuble, qui sont accueillis et parfois soignés dans des établissements spécialisés. Des mosquées, des églises, des synagogues, des boucheries hallal, des restaurants kasher, des boutiques de téléphone et de coiffure, des vendeurs à la sauvette qui occupent l’espace déjà réduit, une station de métro au bord de l’asphyxie, des prophètes religieux et politiques qui annoncent des révolutions futures ou des bonheurs éternels. Des bibliothèques,  des centres culturels, des boutiques de mode et des friperies, des restaurants de tous les continents. Des crèches, des écoles, des collèges, des rues impossibles et des jardins protégés du bruit et de la fureur. Rêveur celui qui veut simplifier ces tourmentes, insensé celui qui ne cherche pas à les réduire.
            Le classement du quartier en Zone de sécurité prioritaire agit comme un Grand Simplificateur. La guerre est déclarée. Le territoire doit être reconquis. La police est en ordre de marche et les habitants doivent se mobiliser. Si Daniel Vaillant a demandé à Manuel Valls le classement en Zone de sécurité prioritaire, c’est que, dit-il, les habitants n’en peuvent plus, ils n’en peuvent plus des agressions, des vols à la tire, du bruit en bas de chez eux, des bagarres entre prostituées, de l’occupation de l’espace par la vente à la sauvette, les agressions. La sécurité, dit Daniel Vaillant, est la première des libertés. Qui peut lui donner tort ?
            Les habitants sont mobilisés. Le préau de l’école Pierre Budin est plein, il faut rajouter des chaises. Le public se compose de personnes de toutes les générations, de toutes origines, des élus de tous bords, Roxane Decorte pour l’UMP, Alain Brossat pour le PC, qui ne prendront pas la parole. Des militants associatifs, politiques, du Front de gauche. A la tribune, le nouveau commissaire de police, Nelson Noir ( ?), Dominique Lamy et Myriam el Khomri, élus socialistes. Dominique Lamy, dans ses conclusions, remarquera que depuis longtemps, les discussions n’avaient été aussi calmes sur le sujet de la sécurité. C’est peut-être l’un des effets du classement de la Goutte d'Or. On ne s’écharpe plus dans les réunions entre les peurs des uns, les colères des autres, les plaintes rejetées et les attentes toujours urgentes et légitimes.

Nous RAPGO, Stéphane, Virginie, Gilles, Maurice et Philippe, nous participons activement à la discussion et au théâtre. Quand les interventions fusent, nous connaissons les images. Les mots que disent les présents ne sont pas un décor construit pour un soir. Nous avons traversé la scène pour venir ici et nous la retrouverons à la sortie. Nous avons vu les forces de police présentes à Château Rouge, rue Myrha, un peu partout. Et le marché Dejean à moitié libéré –vers le métro- et l’autre moitié, vers la rue des Poissonniers, entièrement occupé par des camions et des vendeurs à la sauvette dont le regard se tourne vers la partie libre du marché comme s’ils étaient certains que les agents viendront de là-bas, alors qu’une camionnette de police stationne à l’angle Poissonniers Myrha. Nous poursuivons vers la rue Budin et nous longeons l’attroupement compact d’un marché biffin, les marchandises étalées sur le trottoir, devant le collège Clémenceau, le bruit monte, le trottoir est inaccessible. Au retour, des prostituées africaines racolent sans bruit au carrefour Doudeauville-Poissonniers et rue de Suez, nous passons devant un restaurant qui a été fermé. Injustement d’après la patronne, qui est là dans la salle, et s’explique longuement. Devant mon établissement, les Congolais ou les Maliens, je ne sais plus bien, boivent, parlent fort et stationnent jusqu’à trois heures du matin ou plus tard. Je leur dis, je leur demande, je les supplie de circuler. Ils ne bougent pas. Je leur dis que je vais appeler la police. Ils s’en fichent. Et finalement, la police ferme mon établissement et eux ils sont toujours là. Effectivement, à dix heures du soir, ils sont là, ils boivent devant le restaurant fermé, ils boivent à l’américaine, la bouteille cachée dans un sac en papier, ils parlent ou plutôt ils hurlent. Quand ils sont de bonne humeur, ils crient. Quand ils sont de mauvaise humeur, ils se bagarrent. Et il est évident que si vous habitez dans l’immeuble au-dessus, il ne vous reste qu’une solution, c’est de déménager. La police a fermé le restaurant, se plaint la patronne et eux ils sont toujours là.  Une dame se lève et d’une voix douce et ferme dit la même chose : vous me connaissez, elle dit son nom, je téléphone tous les soirs, toutes les nuits, entre onze heures et quatre heures du matin, je ne peux pas dormir, vous ne venez jamais, qu’est-ce que je peux faire ? Une autre dame habite bd de la Chapelle, elle décrit un immeuble squatté par une bande de jeunes dealers, c’est l’enfer, chaque fois qu’elle passe on la traite de putain, ils se bagarrent entre eux. De la salle, les questions fusent. Devant le collège Clémenceau, les vendeurs sont tranquilles. Devant la mosquée aussi. La prostitution continue. Ça se dégrade. Les services publics sont crades, le métro est crade, la charcuterie de la rue Dejean a fermé ; Un restaurateur : je ne peux plus travailler. Toujours le square Léon, les immeubles abîmés, les portes cassées. J’aime bien l’hiver, j’aime la pluie, dit une habitante, quand il fait beau, les groupes se rassemblent, boivent, crient, ça devient impossible de dormir. Et la saleté de la rue des Poissonniers, quand même...

Des plaintes de ce type, il y en a beaucoup. Elles proviennent de gens raisonnables, pas énervés mais qui n’en peuvent plus. Qui subissent  de plein fouet des dérèglements insupportables. D’autres interventions parlent de disfonctionnements, des bandes du square Léon, de la prostitution ou de la vente à la sauvette, mais en parlent comme des scènes déplaisantes, mais qui ne mettent en jeu leur vie quotidienne, qui ne l’a pas transformé en enfer. Pour ces cas d’extrême urgence, le classement en ZSP ne résout rien. La seule solution est-elle la fuite ? Impossible pour une bonne partie des concernés. Ils pètent les plombs, jettent de l’eau par la fenêtre, appellent la police impuissante. Certains ont essayé d’aller discuter, en vain. Plus généralement : les questions et les interventions portent sur l’efficacité de la police, on cite les stationnements de voitures de police à côté des vendeurs à la sauvette. On demande une police de proximité, des gens qui connaissent les commerçants par leur nom, qui connaissent les habitants.

D’autres cris véhéments qui n’ont rien à voir avec la Zone de sécurité prioritaire. Le métro, dangereux. L'arrestation de distributeur de tracts fait aussi problème, et sur ce point, aucune réponse du commissaire. Un militant qui parle Front de gauche est véhément contre la présence de la police, qui ne fait rien d’autre que de poursuivre l’œuvre de Sarkozy, de faire la guerre aux sans-papiers et chasser les pauvres qui vendent des boîtes de conserve pour survivre. Le principal problème du quartier, c’est la pauvreté

            Le nouveau commissaire présente un bilan comptable de l’action de la police. Des dizaines de commerces ont été verbalisés pour occupation illicite du trottoir, manque d’hygiène ou vente illégale d’alcool. 300 PV pour épanchement d’urine. Sur mille commerces recensés, trois cents ont été contrôlés. Une douzaine de fermetures administratives ont été prononcées. Quand les prostituées sont contrôlées, elles sont verbalisées et interdites de séjour dans le quartier. Si elles reviennent, elles risquent la prison. Des réseaux de trafiquants de drogue et de contrefaçon ont été démantelés. Tous les jours, une demi-compagnie de CRS, le samedi, une compagnie complète. Des policiers dans les stations de métro. Une procédure simplifiée pour la saisie des objets vendus.

            Le groupe « Chateaubouge » est ravi. Enfin cesse ce qu’ils ont toujours dénoncé : la drôle de guerre qui ne mène à rien. La vraie guerre commence. Mais il faut mobiliser les habitants. Tous doivent se battre contre les consommateurs d’alcool, les buveurs pisseurs, le marché à la sauvette, le vol à l’arraché. Tous ensemble. La police ne peut pas agir sans les habitants. Encore moins contre eux. Bombardons nos élus de courriels et de pétitions. « Feu à volonté ». Feu sur le quartier général. Envoyons des courriels, des lettres, téléphonons au commissariat, offrons de collaborer avec la police. Qu’on permettre aux habitants et au conseil de quartier de donner un avis sur les licences de boissons alcoolisées, les permis d’ouverture tardive, l’installation de terrasse. Déposons des mains courantes, des plaintes contre les buveurs pisseurs, contre les vendeurs à la sauvette, les toxicos. Chateaubouge propose une collaboration active : surveiller les scènes de buveurs pisseurs, filmer les scènes pour fournir des « preuves filmées » des infractions des boutiques qui sont des lieux de boisson, qui déposent leurs ordures dans la rue, de dealers qui vendent ouvertement. Ces « caméras privées » sont plus efficaces que les caméras de surveillance. « Nous sommes prêts et organisés ». la balle est dans le camp de monsieur Clouzeau, l’ancien commissaire. On peut rire, reprocher, condamner, combattre ces tentatives de constituer des patrouilles de vigile citoyenne à la mode anglo-saxonne, par loin de l’auto défense. Mais ces offres, ces énervements sont dans la logique du classement de la Goutte d'Or en Zone de sécurité prioritaire. D’abord la sécurité. Il faut des résultats visibles. Le reste peut attendre. D’abord la guerre à la prostitution, la guerre aux incivilités, la guerre à la prostitution. On prépare un questionnaire qui prendra mieux en compte les demandes des habitants. Le monde à l’envers. On agit d’abord, on réfléchit ensuite. C’est la prime à l’urgence, la prime au spectacle. Les patrouilles de soldats dans les gares ne servent à rien dans la lutte contre le terrorisme. Elles rassurent. Les questionnaires font partie d’une « enquête de victimisation ». le nom déjà. Avez-vous peur ? Avez-vous été agressé ? Faisons nous peur les uns les autres.

            On a nettoyé Stalingrad de ces fumeurs de crack. Pour Stalingrad, c’est bien. Les lieux de deal se sont dispersés dans les petites rues autour, y compris à la Goutte d'Or. Les lieux de consommation se sont multipliés. Si l’objectif était l’augmentation de la consommation de crack, il a été atteint. On chasse les dealers de cannabis, on emprisonne les usagers. Si l’objectif est de faire de la France le premier consommateur de cannabis, il est atteint. Quel est l’objectif des activités policières à la Goutte d'Or ?

            Une orientation se dessine. Myriam el Khomri insiste sur les actions non policières : actions de responsabilités des parents en cas d’absences scolaires répétées. Les travaux d’intérêt général pour les jeunes qui abîment les velibs. Mais à la différence des actions policières, ces actions ne sont pas comptabilisées, ne sont pas vraiment écrites. On a l’impression de souhaits auto-réalisateurs : il suffit d’en parler pour que ça existe. Mais aucun chiffre, aucun exemple. Myriam « croit » à ce dispositif. Au dispositif contre la traite des femmes. Chiffres, résultats, bilan : rien. Seule l’activité policière a droit à la parole. A l’évaluation, au bilan. Les autres services ne sont pas là, éducation, santé, culture, politique de la ville, sont muets ou absents. Pourtant Dominique Lamy montre les changements du quartier, les rénovations, l’éradication du saturnisme, les bâtiments culturels… Le quartier a changé. Les taudis éradiqués, des logements sociaux, des établissements culturels, d’autres en projet. Des solutions durables, pour assurer la mixité sociale. Des mesures qui ne sont pas pour le bobos, comme on dit parfois, mais des mesures d’abord pour les plus démunis, parce qu’ils sont l’affirmation visible, mesurable, qu’ils ne seront pas abandonnés dans un quartier galère, dans un quartier ghetto, dans un quartier à l’abandon.    Et puis maintenant ce progressif envahissement par des commerces illégaux, des ventes d’alcool, des trottoirs réservés au racolage. Un sentiment de régression. De ce point de vue, les efforts pour retrouver un quartier comme les autres sont bienvenus. Mais des habitants posent la question de l’après Zone de sécurité prioritaire : combien de temps va-t-elle durer ? Que se passera-t-il ensuite ?

            Mais n’oublions pas que les difficultés de la Goutte d'Or sont d’abord des difficultés internes : marché ethnique pour l’ensemble de la région parisienne, scènes de la drogue, prostitution ethnique, bibliothèque fermée trop longtemps, engorgement du métro château rouge, concentration de chômage, de difficultés dues à l’exil et à ses contraintes, ghettoïsation préoccupantes des écoles. Que ces difficultés n’entrent pas dans le concept de sécurité prioritaire. Et que pour apaiser les inquiétudes que ce mot provoque, il faut rendre visible, il faut faire connaître et partager, tout l’aspect invisible du classement en zone spéciale. Les forces de police sont là très bien. Nous voudrions connaître des dates pour la bibliothèque Goutte d'Or, pour le métro château rouge, pour la brasserie Barbès. Engager une réflexion sur les salles de consommation. Les actions d’insertion des jeunes, de reclassement des prostituées, Sans cette réflexion collective, sans cette pédagogie, nous nourrirons le fonds de commerce de ceux pour qui la politique se réduit à la construction de murailles de plus en plus hautes.

            On me dit, c’est un ensemble. Je ne vois que les uniformes. Qui parle dans les réunions ? : le préfet, le procureur, les magistrats, le commissaire de police. Faites le test : parlez aux policiers qui se promènent dans les rues. Bonjour. Bonjour. Qu-est-ce que vous faites ? Vous sentez-vous utiles ? Les réponses vont de non, à je n’ai pas le droit de vous répondre. Pas terrible.

            Si le travail d’ensemble est ignoré, s’il ne nous est pas clairement présenté, la recherche de sécurité ne sera plus complémentaire, mais contradictoire avec la recherche patiente de solutions durables.

            Je retrouve avec une certaine appréhension, sur le site dixhuitinfo.com, le compte-rendu d’une visite du ministre de l’intérieur Claude Guéant dans la Goutte d'Or, le 25 mars 2011. Depuis une dizaine de jours, une section de CRS patrouille tous les jours dans le cadre d’un « projet de sécurité renforcé ». Les policiers ont dit au ministre que les vendeurs à la sauvette avaient disparu grâce à ce dispositif.


mardi 11 décembre 2012

AG parti socialiste


Le député maire commence son intervention en disant son extrême fatigue, je ne pourrai pas rester jusqu’au bout, dit-il, parce qu’il a assisté à une réunion du conseil de Paris sur le budget, puis une commission municipale, puis demain c’est l’assemblée nationale, il est épuisé dit-il, il y a des limites à tout, hier, trois heures du matin, il faut que je dorme. Puis il parle sur la situation politique. J’interviens tout de suite après, aussi sur la situation politique, mais avant, je remercie le député-maire de son préambule, je lui dis qu’il nous a présenté une superbe et accablante condamnation du cumul des mandats. Tout le monde rit, sauf le député maire qui ne m’a pas dit au revoir, en partant, d’habitude il me serre la main.

Le secrétaire national, député et secrétaire national,  a présenté une défense de la politique gouvernementale intelligente et argumentée. Il dit que le refus du déficit et la défense de la compétitivité  ne font pas partie des gênes de la gauche, mais qu’ils sont vitaux dans la situation difficile du pays aujourd’hui. Il dit que la difficulté principale n’est pas dans les mesures prises qui séparément, sont bien accueillies, mais dans la cacophonie entre membres du gouvernement, entre gouvernement et élus, entre parti et gouvernement. On lance des pétitions pour le mariage pour tous, ou pour le droit de vote des étrangers non-communautaires. Une pétition contre qui ? le problème principal est donc la cohésion de la majorité.

Dans mon intervention, je critique le classement de la Goutte d'Or en Zone de sécurité prioritaire, et j’obtiens la même réponse : la première liberté est la tranquillité. Dialogue de sourds. 

dimanche 9 décembre 2012

veillée funèbre


La maman de Juliette est morte au Cameroun. Une messe et une veillée en son honneur se dérouleront dans une église évangéliste du 15ème arrondissement rue Quinault. Juliette est l’auxiliaire de vie de ma sœur Marcelle qui à 89 ans et a besoin d’une auxiliaire de vie. Juliette nous accueille quand je vais voir ma sœur et quand sa mère est morte, elle nous a envoyé une invitation, à moi et à Brigitte, en signe de sympathie à notre égard. Nous avons décidé de répondre à l’invitation car nous pensions cela lui ferait plaisir.

La soirée est prévue de 18 heures à 23 heures. Nous consacrons l’après-midi à la vision d’un film roumain, Au-delà des collines, qui dure deux heures et demi, un beau film sur la folie religieuse dans un couvent orthodoxe. En sortant du cinéma, nous nous dirigeons vers l’arrêt du bus 80. La Place Clichy est complètement bouchée, tous les véhicules sont à l’arrêt, aucun bus 80 à l’horizon. Nous attendons, nous discutons, faut-il prendre le métro ou encore attendre ? Nous n’avons pas d’heure fixe, la cérémonie dure jusqu’à 23 heures, nous attendons, dans le froid. Il ne pleut pas, nous avons de la chance. Au moment où nous nous lassons et nous dirigeons vers le métro place Clichy, la place se débloque et nous apercevons le numéro 80 sur un autobus double. Nous rebroussons chemin. Nous montons dans le bus. IL avance lentement, très lentement, descend la rue que j’ai connue jadis sous le nom de Leningrad et qui porte maintenant le nom de Saint-Pétersbourg comme si on pouvait effacer l’histoire. Pourquoi cet acharnement contre Lénine alors que le métro Stalingrad conserve le nom d’un homme qui a fait plus de mal que Lénine ? L’embouteillage permet le long déroulement d’une réflexion politique et historique. La gare Saint-Lazare se passe sans encombre, mais à l’approche des Champs-Elysées, décorés pour les fêtes de fin d’année, nous roulons au pas. Non seulement nous roulons au pas, mais quand l’une de notre groupe va vérifier sur la plan où se trouve la station Peclet, où nous devons descendre, selon l’invitation (ou station de métro Commerce), la personne désignée pour rechercher l’arrêt constate avec mélancolie que l’itinéraire affiché est celui de l’autobus 95 et non pas de l’autobus 80. Quelques paroles échangées nous mettent d’accord : il est évident qu’il y a eu détournement d’autobus, qu’à l’origine ce bus était un 95, un commando s’en est saisi, a affiché les chiffres 80 qui se commandent manuellement, mais n’a pas eu le temps de remplacer l’itinéraire par celui du 80 que de toute manière, il ne possédait pas, on ne se déplace pas avec des itinéraires de bus dans la poche, surtout pour les détourner. Confirmation de notre inquiétude. Avant même de traverser l’avenue des Champs-Elysées reine des lumières, paradis des appareils photo brandis à bout de bras pour apercevoir l’Arc de Triomphe souligné de leds clignotants,  le chauffeur nous annonce tout de go que le terminus du bus ne serait pas Porte de Versailles, cela nous le savions déjà, le terminus devait être Mairie du 15ème, mais qu’il ne serait pas non plus Mairie du 15ème, mais Ecole militaire. Et qu’à Ecole militaire il ferait demi-tour et que ce serait le terminus. Les passagers protestent, s’exclament, se plaignent, téléphonent à tout va pour dire leur déception, mais le chauffeur a le pouvoir et il le sait. Il répète, terminus, Ecole militaire. Puis sous la pression, il dit, bon d’accord, une station de plus, je vous amène à la Motte Piquet Grenelle, où se trouvait jadis le Vel d’Hiv que tout le monde connait. Ou connaissait. Ce qui nous rapproche de la station Peclet et de la rue Quinault. Nous avons quitté le cinéma des cinéastes à 19 heures 15, il est vingt et une heures, une heure trois quart de bus 95 déguisé en 80. Je consulte sur mon téléphone intelligent l’itinéraire pour se rendre rue Quinault et le trajet se dessine, rue de la Croix Nivert, à gauche, puis à droite. Malgré la netteté de la carte, nous nous arrêtons plusieurs fois pour demander notre chemin car nous avons du mal à imaginer qu’un petit écran sans prétention puisse à lui tout seul, sans aide extérieure, nous indiquer le chemin. Mais l’écran avait raison. Nous nous trouvons devant le 6 de la rue Quinault devant une porte qui reste fermée malgré les tambourinements d’un couple avec enfant qui désire comme nous participer à la veillée funèbre en l’honneur de la maman de Juliette. Je téléphone à Juliette avec mon téléphone intelligent et elle me dit qu’il faut rentrer au numéro 4. Le mystère s’épaissit. Pourquoi envoyer une invitation à l’adresse du 6 rue Quinault alors que l’entrée est au 4 ? Pourquoi nous transporter dans un bus 95 qualifié de 80 ? Juliette nous accueille, nous dit qu’elle est ravie de nous voir, nous entrons dans l’église où des gens chantent des cantiques que ma compagne reconnaît car entre protestants et catholiques s’est constitué malgré les haines et les guerres de religion un terreau culturel commun qui permet aux et aux autres de chanter ensemble ou de mourir ensemble quand ils s’entretuent. Le pasteur dénonce vivement Nietzsche qui avait écrit que « Dieu est mort ». Nous nous levons et nous rasseyons, nous nous levons pour chanter, et nous nous rasseyons pour écouter le sermon. Je pourrais me dispenser de me lever puisque je ne chante pas les cantiques, mes cantiques à moi ne correspondent pas, ceux que j’ai appris dans ma jeunesse, se levaient les partisans dans l’ombre immense de Lénine, et la Jeune Garde sur le pavé, le sang des prolétaires, nous ne sommes rien soyons tout, aucun de ces cantiques ne figure dans la brochure distribuée aux présents. L’église n’est pas chauffée, les pieds se glacent les chants s’en ressentent. La cérémonie se termine avec « plus près de toi seigneur » dont mon accompagnatrice me rappelle qu’elle figurait dans le film Titanic et que tout le monde, catholiques et protestants chantaient ensemble en sombrant dans les eaux glacées du calcul égoïste.

Le repas fut convivial et nous fûmes traités comme des invités d’honneur en l’honneur de la couleur de notre peau, je ne vois aucune autre raison. Mais si les blancs sont positivement discriminés dans un enterrement noir, et que les noirs sont négativement discriminés dans les société blanches, comment arriverons nous à l’égalité entre les hommes ?  

vendredi 7 décembre 2012

proverbe ukrainien

Qui commence sa vie avec une bouillotte la terminera avec une poupée gonflable. (proverbe ukrainien)

jeudi 6 décembre 2012

les grandes peurs


Des paroles et des actes France 2 avec manuel vals. 6 dec 2012.

Il en va de la sécurité comme il en va de la drogue. La peur s’installe et chasse la pensée. Les gens deviennent fous de sécurité. Nous sommes entourés de menaces terrifiantes, de terroristes barbus qui vendent des cigarettes empoisonnées, de serbo-croates qui contrôlent les réseaux de prostitution, des vendeurs d’armes de poing à la sauvette. Comme nous (les gens), n’avons ni le courage ni les compétences pour nous protéger de ces terribles dangers, nous faisons appel à des professionnels de la protection. Ils viennent avec leurs chiens renifleurs fouiller les cartables d’écoliers, installent des néons bleus dans les halls des gares pour que les injecteurs ne puissent plus distinguer leurs veines, des sifflets à ultrasons dans les centres commerciaux qui doivent résoudre l’impossible objectif d’attirer les jeunes consommateurs de produits légaux et de repousser les mêmes lorsqu’ils consomment des produits interdits.   

Comme les professionnels de la sécurité ne peuvent pas être partout, certains prennent en main leur destin, sortent la carabine et tirent sur des jeunes qui font du bruit ou massacrent la famille en train de fêter un anniversaire parce qu’ils n’aiment pas la Compagnie Créole.

La chasse à la protection construit des résidences protégées par des gardes armés, des murs élevés surmontés par de délicieux tessons de bouteille, des fils de fer barbelés qui empêchent l’accès des barbares. Chaque fois que la peur l’emporte sur la réflexion s’élèvent des murs qui emprisonnent autant qu’ils protègent. Murs de Belfast, murs de Palestine, murs de Berlin, murs des clubs de vacances dans les pays où le climat est clément, la mer bleue et où rôdent la mendicité à main armée et les agressions de grand chemin.

Quand la peur s’installe elle chasse la pensée, elle bouche l’horizon, elle enfume les têtes et les cœurs. Ce n’est pas une menace pour l’avenir, c’est une réalité d’aujourd’hui. Quel que soit notre lieu d’habitation, les règlements de compte des quartiers marseillais ou du maquis corse, les émeutes des quartiers, les vols de bijouterie, sont proches de nous, à la distance qui sépare notre fauteuil de l’écran plat. Une tâche de sang sur la chaussée et apparaît le Grand Protecteur qui rassure, qui promet, qui nettoie.

Les maladies, les accidents, les agressions, les brutalités, sont des réalités. Si elles nous empêchent de vivre, elles deviennent un cauchemar. 

ZSP


Retour de Biarritz, dimanche 2 dec. Nous rentrons tard, il fait sombre, il fait noir. Les rues sont propres. Beaucoup de monde dans le métro. Pas de vendeurs à la sauvette. Pas de consommateurs de drogue. C’est l’heure et le climat ? Le lendemain, vers midi, même chose. Ce n’est plus l’heure. Le climat ? Les usagers sont de retour. Les mendiants, mais sans les enfants. Est-ce une intervention de la police ? Plus d’enfants, ni Boulevard Barbès, ni rue des Poissonniers. Des dames qui faisaient la manche avec des enfants tout jeunes, parfois des nouveau-nés, et là, elles ont laissé leurs enfants. Où ? Ça continue, lundi, mardi, mercredi, à toutes les heures. Les trottoirs ne sont plus occupés par les ventes à la sauvette, ni à Château Rouge, ni à Barbès. Il reste la mendicité, les usagers qui parlent et échangent, des distributeurs de tracts pour les téléphones, des broutilles. Même à l’intérieur du métro, plus de vendeurs à la sauvette, plus de bousculade, une sage file d’attente devant les machines à billets. A droite, direction Porte d’Orléans, un groupe de trois policiers. On se rend compte que la bousculade est due pour une grande part aux fraudeurs, qui sautent par-dessus les guichets, et les dérèglent, d’où une foule grossissante. Des uniformes partout, à l’angle Myrha/ Poissonnière, Léon/Myrha, Doudeauville/Poissonnière.

En ce qui concerne les aspects les plus visibles, les plus contraignants, la présence policière régulière transforme la Goutte d'Or en quartier comme les autres. Ce qui est terrifiant, c’est que ça marche.

D’autres moyens ont été utilisés et ont montré leur efficacité : dans les lieux où se rassemblent des jeunes, sifflets à haute intensité perceptibles uniquement par des oreilles adolescentes. A Marseille, autour de la gare, scène de drogue, la SNCF avait envisagé d’installer des lumières de néon bleu. Ces lumières rendent les veines moins visibles. Les usagers vont ailleurs chercher la lumière qu’il leur faut. L’exact contraire de la réduction des risques. (Le projet n’a pas abouti et le maire d’arrondissement a demandé son abandon). Est-ce que tout ça ne ressemble pas au déploiement des forces de police ? Pour rendre le quartier normal, des ultra sons, des néons bleus, et des uniformes de même couleur. Ce qui est terrifiant, c’est que ça marche. Ça marche en fonction d’une hiérarchie des nuisances, une hiérarchie des dérèglements, des disfonctionnements, en fonction d’une vision de la société qui mérite pour le moins d’être discutée.

L’idée serait que n’existe dans la Goutte d'Or qu’une délinquance d’importation. La drogue, la prostitution, la vente à la sauvette, viennent d’ailleurs.  La preuve : la police, qui agit comme des ultra sons et des néons bleus, chassent cette délinquance et il reste un quartier qui fonctionne normalement, agréablement. La Goutte d'Or, sans cette intrusion, est un bon quartier, un joli quartier. Les difficultés scolaires des habitants, les discriminations dans l’emploi, les difficultés d’intégration dues aux discriminations dans l’emploi et le logement, l’usage invisible des drogues, la prostitution, sont balayées de la réflexion puisque tout se remet à marcher normalement. Ça correspond aux vœux de ceux qui nous élus. Les plus en difficultés ne votent pas et ne réclament rien.

La question politique : comment ouvrir l’avenir de ceux qui n’en ont pas ? Comment attirer les gens qui maîtrisent le leur ? Le choix est-il entre ghetto concentré de misère ou la transformation de la Goutte d'Or en Place des Vosges ? Jusque-là, la politique de la ville consistait à tenir les deux termes, difficile, mais avec des succès. Logements sociaux,  logements étudiants, rénovation, constructions, bibliothèque, centre barbara, rue de la mode. Le classement en ZSP ne va pas modifier cette politique, mais elle risque de faire basculer la réflexion. Et la réflexion, le dialogue, la pédagogie et la recherche, c’est ce qui nous assurent de maintenir notre influence durablement. Ce que j’appelle de la politique durable.

Classons le quartier zone d’écoute prioritaire, zone de réflexion permanente. Zone d’évaluation permanente, zone d’action permanente. Pas zone de sécurité prioritaire.