jeudi 31 janvier 2013

réduction des risques


Quand vous déambulez dans les musées européens, l’une des scènes les plus reproduites est celle de la crucifixion. Une torture et un châtiment fort répandus dans l’Europe antique et connus surtout pour le succès mondial qu’a connu l’un des crucifiés. Rapprochez-vous, je vous prie et vous verrez que dans la plupart des tableaux, les mains et les pieds sont cloués à la croix et le poids du corps déchire les chairs. Dans quelques rares cas, les bourreaux, pour atténuer le fardeau plaçaient un bloc de bois sous les pieds, ce qui soulageait les souffrances du malheureux.

Tel est le premier exemple avéré d’une politique de réduction des risques. 

vendredi 25 janvier 2013

terreur en corse


Vu au Festival international des productions audiovisuelles (FIPA) où je dispose d’un passe qui me permet de voir les films que je veux quand je veux grâce à mes relations dans le milieu politique de la ville de Biarritz, donc vu Anonymes un film de fiction qui relate l’enquête après l’assassinat du préfet Erignac à Ajaccio en 1998.

            Ce film est un film très politique qui montre que l’engagement militaire avec des objectifs politiques dans une société de droit chasse la politique. Personne ne sait plus vraiment pourquoi ce groupe de Corses illuminés veut frapper « un grand coup », pour réveiller le peuple corse. Au lendemain de l’assassinat, de grandes manifestations pour condamner le recours à la terreur, des divisions accrues au sein des organisations nationalistes, sont le résultat de ce « grand coup ».

            Quand  un groupe armé reçoit un soutien même minoritaire d’une partie de la population, l’état fait face à un problème politique. Dans la mesure où ce « grand coup » ne provoque que colère et condamnations, il ne reste plus qu’un problème de police. Une mafia, du grand banditisme, avec ses traîtres, ses repentis, ses policiers qui peuvent mener l’enquête sans rien savoir de la situation dans l’île parce que ce n’est tout simplement pas le sujet.

            Il reste donc un film policier, un film noir. Anonymes. Un film politique qui est à la Corse ce que le Parrain est aux États-Unis. Un film courageux, parce que le miroir qu’il tend aux partisans de la terreur est une terrible condamnation de leurs actions. 

économies


Contraints de réduire les dépenses publiques, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, tranchent dans les budgets de santé et les effets se font sentir rapidement pour les secteurs de la population les plus précaires, les plus fragiles, ceux qui sont déjà éloignés des réseaux sanitaires.

            Du point de vue moral, de telles coupes sont monstrueuses. Du point de vue politique, elles sont désastreuses, du point de vue financier, elles sont catastrophiques.

            Du point de vue politique, frapper les plus démunis sape ce qui est au cœur de nos sociétés développés, la capacité de protéger ceux qui sont les plus démunis de toute protection. Ces coupes sont ressenties comme une immense régression. Moralement, elles renforcent le pessimisme et les replis égoïstes.

            Le calcul sans âme peut recommander de laisser faire la nature. Les nouveaux-nés disparaîtront sans couveuses de luxe, les sans-abris mourront dans le fossé, les vieux iront disparaître dans les montagnes désertes et les hépatites pourriront dans un squat. Mais nos sociétés occidentales, riches, égoïstes, inégalitaires, sont rongées par le remords du à leur culture judéo-chrétienne et d’autre part soumises à des mouvements sociaux de grande ampleur qui ont conquis des systèmes de protection sociale auxquels il est difficile de toucher.

            Soumis à ces tensions contradictoires, la nécessité de réduire les dépenses, l’obligation de protéger la veuve, l’orphelin et l’usager de drogue, des gens pourtant intelligents semblent avoir avalé leur calculatrice. Si on diminue les logements d’urgence, il faudra payer des chambres d’hôtel beaucoup plus cher. Si on diminue les préventions, il faudra payer des frais d’intervention et d’hospitalisation beaucoup plus cher. Une seringue propre coûte dix centimes. Un abcès coûte mille euros,  à soigner. Le VIH coûte  des dizaines de milliers d’euros à soigner. Nous vivons dans des sociétés contraintes de soigner l’abcès et les maladies graves, mais où il est possible de rechigner pour des actions de prévention qui empêcheront de creuser davantage les budgets de santé.

            Bien évidemment nous prêchons pour notre paroisse. Notre travail à EGO est un travail d’accueil et de prévention qui économise beaucoup plus que ce que nous recevons. Il y a deux endroits en France où se conjuguent morale et comptabilité : la Cour des Comptes  et les associations d’accueil des usagers de drogue. 

mercredi 23 janvier 2013

ZSP




Courrier
            Notre groupe a reçu un échantillon de lettres des habitants de la Goutte d'Or, soigneusement anonymisées. Le vendredi 18 janvier 2013, nous discutons de ce courrier. Certains réagissent de manière vive, comme si tous ceux qui se plaignent étaient des ennemis de l’Eldorado. Des prostituées ? Où ça ? comment les reconnaît-on ? Elles ont un grand P cousu sur leur poitrine ? Des jeunes inquiétants ? Il suffit de leur dire bonjour, ils vous embrassent. Regard violent sur ceux qui considèrent qu’ils ont le droit de critiquer parce qu’ils ont investi. Parce qu’ils ont acheté, parce qu’ils ont loué. Parfois cher.  Regard affectif sur le courrier, regard qui mène à l’impasse familière : il y a plusieurs quartiers dans la Goutte d'Or et seuls ceux qui adhèrent à l’une des visions sont légitimes. Les autres sont des étrangers. Pas légitimes. Ils voient des prostituées partout et tous les jeunes les inquiètent. Les critères qui divisent peuvent changer et les frontières sont mouvantes. La présence de la police est l’un de ces critères. Pour les uns, elle est nécessaire, jamais suffisante, toujours en retard, pour les autres, elle est arme de guerre contre les pauvres, les sans-papiers, les malheureux qui tentent de survivre en vendant des babioles sur le trottoir. Ces réactions ne mènent nulle part, elles bloquent la réflexion. Certains se sentent bien dans ce quartier et en louent les qualités. Leurs réactions doivent être admises, comme les réactions de ceux que beaucoup d’aspects de la Goutte d'Or indisposent gravement.

            L’une de ces visions s’appuie sur l’idée que la mixité sociale est en fait la guerre aux pauvres. (citation d’une affiche collée sur les murs du quartier). Le quartier cosmopolite et multiculturel, refuge des pauvres et lieu de solidarité, est menacé par les opérations de rénovation qui servent des intérêts privés et sous couvert d’un objectif d’intérêt général : la mixité sociale, mène la guerre aux plus pauvres, aux marginaux, aux immigrés, pour laisser place nette à une population parisienne aisée, diplômé, salariée.

            Cet objectif a comme moyen privilégié la sécurité. Assurer la sécurité du quartier, c’est d’abord la tranquillité de ceux qui ont les moyens de l’habiter, de s’y investir. Certains habitants le disent clairement dans leur courrier. Un propriétaire écrit : j’ai payé mon logement six mille euros le mètre carré et à ce prix, il me faut un quartier propre, tranquille, bien entretenu. Les habitants dont les appartements donnaient sur le Bois de Boulogne ne disaient rien d’autre sur la prostitution. On peut s’indigner de cet égoïsme qui voudrait qu’une population intégrée socialement et culturellement achète à prix raisonnable un logement dans un quartier difficile en faisant le pari qu’à force, ce quartier difficile deviendrait une nouveau Marais. Il faudrait aussi nuancer : d’une part, les efforts pour « gentrifier » la Goutte d'Or ne cessent pas depuis une trentaine d’années, avec des résultats mitigés. Les gens s’installent puis comme ils constatent que le quartier prend du temps à se stabiliser, à se tranquilliser, ils déménagent. Surtout quand il y a des enfants et qu’ils grandissent. Les écoles et les échecs à les déghettoïser jouent un rôle majeur dans défaite relative de la gentrification.

            Une autre vision, non moins  politique que la première, considère que les efforts des nouveaux arrivants pour maintenir le quartier à flot, avec l’aide des pouvoirs publics, ne servent pas seulement des intérêts égoïstes, mais permettent le maintien et le développement d’institutions publiques (éducation, culture, santé, aide sociale) qui profitent aux plus démunis. Ils permettent aussi à une petite (et moins petite)bourgeoisie commerçante de poursuivre ses activités, à s’intégrer davantage et de moins déserter le quartier dès que possible, car quand même, la Goutte d'Or c’est le quartier de leur galère. Du coup, le quartier qui ne sombre pas continue de jouer à attirer les nouveaux arrivants à la recherche de réseaux, de ressources, de solidarité.

            Concrètement : le comité de suivi de la Zone de sécurité prioritaire est composé pour partie d’habitants et de commerçants en colère, qui sont invités à collaborer, à indiquer les zones chaudes (prostitution et buveurs pisseurs, commerce illicite et ses nuisances) et à créer ainsi un climat général qui va renverser la vapeur. Au lieu de sentir en insécurité, ce sont les marginaux, les sans papiers, les commerçants à la sauvette qui vont se sentir menacés, poursuivis. Les voyous ne feront plus la loi, ils la subiront. Pour « calmer cette colère », pourquoi ne pas faire participer les habitants les plus énervés, les plus militants, (associations droit au calme, chateaubouge). Ces habitants les plus militants ne sont pas toujours d’accord entre eux, car les intérêts divergents. Action Barbès est une association qui sort de la Goutte d'Or et donc n’accepte pas volontiers que le balai policier repousse la poussière sous les tapis du bd Magenta. Mais dans l’ensemble, les lettres se tiennent. Pas de stigmatisation ouvertement ethnique ou raciale. Les jeunes voyous, les bande de racailles, les buveurs pisseurs, pour qui traîne un peu dans les rues du quartier, ont généralement une origine visible, mais ils se sont pas stigmatisés, ni dans les réunions ni dans le courrier, pour leur appartenance ethnique.

                Avant de s’irriter du classement de la Goutte d'Or en ZSP, se poser la question de l’effet à moyen terme. Si les colères les plus extrêmes se calment avec ce classement, peut-être, soyons optimiste, ce calme permettra de politiser les interrogations sur le quartier. Actuellement, cette politisation peut conduire à droite, à l’extrême droite ou l’extrême gauche, investisseurs contre prophètes.

            Le suffrage universel n’a pas supprimé le suffrage censitaire. Ceux qui votent, ceux qui décident, sont toujours propriétaires de quelque chose. Soit de biens matériels, logement, commerce, soit de leur environnement, du territoire, de leur avenir ou de ceux de leurs proches. Ceux qui ne sont propriétaires de rien ne votent pas. Faire de la politique consisterait pour un parti de gauche à rendre propriétaire de quelque chose ceux qui n’ont actuellement rien, ni papier, ni travail, ni logement, ni avenir. Il ne faut pas stigmatiser l’engagement de ceux qui sont propriétaires, il faut rendre possible l’engagement des autres. 

mardi 22 janvier 2013

Ecoles



            Notre système d enseignement est élitiste. Au sommet les grandes écoles et les lycées qui préparent aux concours. Les profs les mieux payes, dans notre système scolaire, sont les profs de prépas. Ce modèle se diffuse dans toute la hiérarchie scolaire. Il faut le plus tôt possible, le plus jeune possible, se préparer a ces concours difficiles. Si l'on réussit, c’est pour la vie et pour la mort. Dans les nécrologies, on reste ancien de Polytechnique ou de Normale Sup. Quand on échoue, c’est pour la vie. Difficile, voire impossible de se rattraper. Donc les parents cherchent la voie qui va mener le plus loin. Des la maternelle, on cherche la meilleure. Une bonne école est un argument important dans le choix d’une adresse. Les carrières futures en dépendent. Personne n’échappe  à la stratégie de l’évitement, les enseignants comme les cadres politiques, et on ne voit pourquoi ils seraient de plus mauvais parents que les autres cadres du pays.

            Quand la droite au pouvoir avait défait la carte scolaire et permis les migrations scolaires qui ont aggravé la situation, je n’ai pas souvenir de mouvements de grève chez les enseignants pour protester. La gauche au pouvoir tente de réformer prudemment ce système et se heurte à des réactions qu’il ne faut pas appeler corporatiste, mais je veux bien qu’on me suggère un autre nom. Demain, les profs de prépas feront grève parce qu’un prof de fac viendra faire quelques heures de cours dans leur pré carré.

            Ce système est irréformable par le haut parce que le pays se partage en deux : ceux qui sont les mieux placés dans la course et ceux qui aspirent à l’être. Comment faire ?

            Encourager toutes les expériences, et elles ne manquent pas, où des enseignants, à tous les niveaux, cherchent à rattraper les exclus et réussissent. Multiplier les passerelles entre ce qui fonctionne aujourd’hui comme des tunnels. Les projets actuels vont dans la bonne direction.

            Et donner l’exemple. Au sein du Parti socialiste, créer des centres de formation de haut niveau, regroupant les centres de recherche, les réservoirs à penser en partenariat avec les universités, pour permettre de diversifier socialement les cadres du parti qui se recrutent, comme partout, parmi une élite auto reproduite. Favoriser le brassage démocratique par le renoncement enthousiaste au cumul des mandats dans le temps et dans l’espace qui permettra aux nouvelles promotions de prendre des responsabilités.

            Quand nous donnerons l’exemple, nous pourrons mieux nous adresser à la communauté enseignante autrement que par des injonctions à faire ce que nous ne faisons pas.  

lundi 14 janvier 2013

ZSP


Zone de sécurité prioritaire



Le lundi 14 janvier 2013, rue Myrha, à l’angle du Boulevard Barbès, vers onze heures du matin, une équipe de jardiniers de la ville de Paris plante trois arbres jeunes là où il y avait une grille rouillée recouverte d’ordures. A l’angle Myrha Poissonniers, un agent règle la circulation pour permettre les travaux.

Le lieu est l’endroit exact où se rencontrent dealers et usagers de drogue. Plus loin, vers le métro Château Rouge, les courses continuent, les baluchons s’étalent et se replient au rythme des patrouilles bleutés. 

dimanche 13 janvier 2013

le divorce, voilà l'ennemi


Je lis les pancartes, les mots d’ordre : « la famille c’est sacré », un père et une mère, il n’y a pas mieux pour un enfant ». Et tout à coup, je comprends. Ça crève les yeux. Il ne s’agit pas ici du mariage entre personnes du même sexe. La campagne des églises et de la droite figée est dirigée contre le divorce, c’est le divorce qui réduit la famille à un seul père ou une seule mère, qui disloque les familles, qui désorganise la société. C’est le divorce qui a profondément changé nos sociétés. Avant, entre le père au bordel et la mère à la cuisine, les enfants coulaient des jours heureux.

Dans l’intérêt de l’enfant, il faut interdire le divorce. 

mardi 8 janvier 2013

lutte de classes


Mercredi 9 janvier 2013. Troisième jour de grève à France Inter. Certains disent pour redéploiement, d’autres pour licenciements, de quatre techniciens. Des millions d’auditeurs privés d’information pour quatre techniciens licenciés ou redéployés.

En 2012,  des millions de lecteurs ont été privés d’information pour  redéploiement de quelques dizaines de syndiqués du livre.

En décembre 2012, les employés de la bibliothèque Hermel ont utilisé leur droit au retrait et fermé l’établissement parce que le thermomètre avait baissé. La bibliothèque de la Goutte d'Or est fermée depuis plus d’un an et les affamés de lecture traversent l’arrondissement dans la tempête pour trouver porte close sans un mot d’excuse.

La dictature du capital donne un pouvoir exorbitant aux propriétaires des moyens de production et aux financiers  qui ne se préoccupent que de leurs intérêts égoïstes. La dictature du prolétariat donne un pouvoir exorbitant à des salariés qui occupent des positions stratégiques et ne se préoccupent que de leurs intérêts égoïstes.

Entre les deux, il y a le dialogue, la négociation, la recherche de l’intérêt commun, les réformes, les avancées, les piétinements. Entre les deux, il y a le socialisme.

Mais si le socialisme reste muet et ne dit rien sur ces trois conflits, il reste l’affrontement, l’incompréhension, les colères, les frustrations, les crispations. 

jeudi 3 janvier 2013

voyage madrid





Madrid 2012-2013


            À quoi bon voyager ? Plus on voyage, plus on se pose la question, forcément. Déplacer la vie quotidienne dans l’espace d’une valise à roulettes où doivent tenir le linge de corps, sous-vêtements et survêtements, le linge de cœur, produits d’hygiène buccale, pastilles, linge de l’âme, téléphone portable, livre imprimé, un appareil photo. Dans le train qui nous attend à Irun, nous posons nos articles vitaux et le siège se replie. Les voyageurs nous regardent comme si nous n’avions pas le droit d’être ici, Pour autant que je sache, autant qu’eux.

            Arrivée à Madrid, à la gare Chamartin, excentrée, alors que la gare Atocha est tout près du Musée du Prado, mais on ne choisit pas. Le chauffeur nous regarde avec respect quand nous lui indiquons l’adresse, mais s’il voyait la taille de notre chambre, il nous aurait regardés autrement. La caisse commune paie la course, nous nous regardons en souriant, personne d’autre ne paie que la caisse commune, c’est une invention personnelle, aussi ravageuse financièrement que l’exil fiscal complètement légal. Personne ne paie, c’est la caisse, et plus vous mettez d’argent dans la caisse commune, plus vous échappez aux nécessités fiscales.

            Du point de vue politico-sociologique, il n’y a pas grand-chose à dire car la lecture assidue, avant le voyage, des tarifs du Prado, du Musée Thyssen et de la Reine Sofia, ainsi que des statistiques du chômage qui nous informent qu’un Espagnol sur quatre n’a pas d’emploi. Ou plutôt est inscrit dans un bureau de chômage, ce qui ne vaut pas dire qu’il ou elle ne travaille pas, mais qu’il ou elle travaille, si il ou elle travaille, je dis il ou elle parce que le chômage frappe plus les hommes que les femmes, les emplois dits masculins sont plus touchés par la crise : industrie, bâtiments, alors que les emplois traditionnellement féminins, emplois de soins et de service, sont moins touchés par le chômage. Heureusement qu’il y a ce travail au noir, sinon, si un quart de la population adulte se trouverait sans emploi du tout, ça se verrait dans les rues, six millions de personnes agglutinés devant les offres d’emploi, on ne pourrait plus se déplacer. Or, honnêtement, à passer ainsi trois ou quatre jours dans la capitale, Madrid, on ne remarque pas plus la misère qu’à Paris, ou il n’y a que dix pour cent de chômeurs, presque trois fois moins, et que la mendicité est plus spectaculaire qu’à Madrid. Je ne dis pas qu’à Madrid, il n’y a pas de mendicité, je dis qu’elle est moins spectaculaire. Nous avons pris le métro six fois à nous deux, c'est à dire chacun trois fois, ça fait bien six fois, non, nous n’avons croisé aucun mendiant dans le métro, ni aucun  chanteur ou musicien de la Manche. Nous avons croisé dans les rues beaucoup de violonistes, d’accordéonistes, de comédiens grimés qui imitent des nouveau-nés, des chiens, des chevaliers, des pères Noël, des anges, tendent les bras, se font photographier avec des tout-petits. Autre indication de la misère : les taxis. Il y a un grand nombre de taxis. Il y a plus de taxis à Chamartin que de voyageurs qui débarquent en provenance d’Irun ou de San Sebastien ou de Tolosa, ici à la gare de Chamartin, ce sont les taxis qui font la queue et pas les voyageurs, du point de vue des voyageurs, c’est une bonne chose, c’est sans doute moins bien pour les taxis, celui qui nous a pris a sifflé d’admiration quand nous lui avons donné l’adresse, mais nous n’allions pas lui expliquer que c’était un package, trois nuits pour une misère, associé au voyage Renfe et à l’entrée de quelques spectacle Flamenco. Je me rappelle Liverpool en crise, on levait la main pour se gratter la tête, à cause des pellicules, et quatre ou cinq taxis s’arrêtaient comme des agneaux autour de leur mère. Il est donc malaisé de se rendre compte de la crise, une personne sur quatre qui cherche du travail, c’est aussi abstrait que de dire une personne qui naît aujourd’hui est chinoise, ça ne vaut pas dire qu’un bébé sur quatre  a les yeux bridés dans les maternités parisiennes.

            Pour le reste, c’est pareil à pleurer. Les vendeurs à la sauvette ont des toiles en forme de filets de pêche, quatre œillets et des cordages, il suffit de tirer vers le haut pour que la toile tendue sur le trottoir devienne un baluchon, je n’ai pas vu ça du côté de Barbès ça me semble beaucoup plus artisanal, ils tirent à la main les quatre angles de leur toile et font un nœud, alors que le principe d’un filet de pêche, c’est beaucoup plus pratique. Il pourrait y avoir entre Barbès et Château-Rouge des vendeurs à la sauvette de baluchons automatiques en forme de filets de pêche, ça ferait un malheur. Quand des voitures de police apparaissent, les vendeurs à la sauvette tirent brusquement sur le cordon central rattaché aux quatre œilletons des quatre angles de la toile et en un seul mouvement, se retrouvent avec un baluchon légal négligemment replié sur l’épaule comme une veste un jour de soleil. C’est vraiment pareil à pleurer cette course éternelle, cette fuite devant les patrouilles de police qui de temps en temps saisissent la plume d’un masque de Noël ou une perruque d’un roux flamboyant. Ils se mettent à courir Plaza Mayor, Puerta del Sol ou Gran Via. Plaza Mayor, sous les arcades comme celles de la place des Vosges, les sans abris préparent leurs cartons pour passer le réveillon du jour de l’an. La différence ici est que les gens qui font la manche ou qui vendent à la sauvette sont moins étrangers qu’à Paris. Ici, ils sont foncés de souche. Je n’ai pas vu à Madrid le marché de la misère, les biffins, les marchands de cigarettes, les dealers. En revanche, oui, des Africains vendent des contrefaçons Vuitton Gucci, Dior, autant qu’à Paris, ainsi que des jouets d’enfants qui s’envolent dans les airs en sifflant et en clignotant.

            Deuxième différence, la vente est mieux organisée à Madrid qu’à Paris. À Paris, c’est l’offre qui crée la demande alors qu’à Madrid, dans les rues piétonnes du centre, c’est la demande qui crée l’offre, à une stupéfiante rapidité.  Les lois du marché s’adaptent aux calendriers, aux heures de la journée, aux modifications météorologiques. Plus on s’approche du réveillon, plus se vendent les perruques colorées brillantes, les chapeaux en guirlandes lumineuses, les lunettes clignotantes. On s’approche de minuit, on va manger la douzaine de raisins sur la Puerta del Sol, les marchands vous proposent sous cellophane des grains de raisins par grappes de douze. Il se met à pleuvoir, les vendeurs vous offrent des parapluies à trois euros. On imagine d’immenses ateliers clandestins qui basculent leur fabrication à flux tendu, la température baisse, voici des gants, il neige, voici des skis, le sida menace, voici des préservatifs.

            Madrid est une très belle ville avec des grands parcs dont le Retiro, très animé tous les jours par des animateurs, des guignols, (titeres), des fabricants de bulles de savon géantes. Nous visitons la ville et nous admirons les façades à partir d’un fauteuil de bus touristique, entre un parvenu russe et une jeune serbo-croate qui photographient à tour de bras et en se penchant pour éviter leur appareil, on voit bien comment c’est très beau.

            Trois musées principaux, le Prado, bien sûr, le musée de la Reine Sophia, le musée Thyssen. Le musée provoque du plaisir de la redécouverte plus que de la découverte, il faut bien le dire avec une certaine honte. On apprécie surtout de voir directement des œuvres très connues, les ménines de Velasquez, l’homme au mouton de Picasso, les nus de Goya, les chairs de Rubens, les canaux de Canaletto, j’ai déjà tout vu sur écran plat, au cinéma ou dans un autre musée, Guernica, par exemple, je l’ai vu à New York au MOMA avant que le tableau ne retourne en Espagne avec la démocratie.

            Le musée Thyssen est d’une inouïe richesse et mon plaisir est gâché par deux inconvénients. D’une part, ma sciatique est douloureuse quand je piétine et marche lentement devant des chefs d’œuvre, d’autre part, je me demande en regardant ces Cézanne, Courbet, Kandinsky, lesquels proviennent des ventes de l’Hôtel Drouot après saisie des biens juifs, et franchement, il y a prescription et c’est de mauvais goût,, mais autant je ne demande pas qu’on distribue des dafalgan en même temps que le plan du musée, je ne serais pas contre l’idée que sur les tableaux volés aux Juifs pendant la guerre, il y ait une petit mot d’information qui dirait simplement « tableau volé aux Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale » et racheté par la famille Thyssen qui n’a pas volé tous le tableaux de cette collection, parce que beaucoup de ces tableaux ont été achetés grâce aux bénéfices des tanks vendus à l’armée allemande pendant la guerre.

mercredi 2 janvier 2013

retour aux sources

"Il y a deux sortes de lois, les unes d'une équité, d'une généralité absolues, d'autres bizarres qui ne doivent leur sanction qu'à l'aveuglement ou la nécessité des circonstances" Diderot, Le neveu de Rameau.


"Dans les plus petites choses, la sottise est si commune et si puissante qu'on ne réforme pas sans charivari". Idem.