samedi 31 août 2013

admirables révoltes

Yannick Haenel, Les Renards pâles, Paris Gallimard, 2013-08-31
J.M. Coetzee, Une enfance de Jésus, Paris, Seuil, 2013.

Le personnage central des Renards Pâles est un chômeur chassé de sa chambre pour défaut de paiement du loyer. Il dort dans la voiture et rencontre d’autres galères, d’autres errances, des émigrés africains qui nettoient la ville, des artistes désargentés, des livres (Beckett, en attendant Godot), les œuvres de Karl Marx (La Guerre civile en France). Les errances lui font rencontrer des masques, des rituels, des manifestations dites des « Renards pâles » qui manifestent en brûlant les voitures.

Dans Une enfance de Jésus, J.M. Coetzee décrit les errances de deux personnages chassés par les guerres on ne sait où : un homme qui traîne derrière lui un petit garçon qui a perdu sa mère et à qui il a promis de la lui retrouver. Les pages sur l’accueil dans les camps de réfugiés sont terrifiantes. Plus que la guerre, qui jusque là n’a pas de réalité, de visage.

Coetzee ne relie pas ses personnages à une quelconque situation politique ou conflictuelle. Pas d’histoire, pas de géographie. Pas de papiers. L’homme gagne sa vie en transportant des sacs de grains, blé, riz, on ne sait pas, mais l’échelle est rude, la passerelle branlante. Yannick Haenel place son personnage en France, la date est celle de l’élection de Sarkozy en avril 2005, il ne vote pas, il finit par brûler sa carte d’identité. Il parle de Tarnac, des émigrés et de leurs cérémonies.


Coetzee ne place ses personnages nulle part. Pas d’administration (défaillante, pas de chambre, pas de nourriture ou si peu), Les responsables adminsitratifs ont la pâleur et la transparence des personnages de Kafka. Yannick Haenel est délibérément politique : il y des propriétaires qui expulsent, des policiers, des RSA qui se terminent par négligence, des émigrés noirs, une répression pour ébriété sur la voie publique. Admiration pour les laissés pour comptes qui laissent aux autres le soin de les administrer, de les nourrir, de leur fournir du travail parfois. Il boit beaucoup, mange peu, va parfois à l’hôtel pour consommer une rencontre. Pour que ces personnages existent, il faut une société dont ces personnages se détournent. Ils laissent le soin aux privilégiés, plus ou moins, le soin de les soigner, de les nourrir, de les punir. Ils sont donc admirables. Quand les pauvres veulent s’occuper de politique, prétendent participer à l’administration des hommes, ils sont beaucoup moins admirables et personne n’en parle. Seule la révolte est superbe. 

téléréalité

            L’armoire à pharmacie explose de cachets, de gouttes, de sachets buvables ou de pilules sécables. Dans les transports en commun, la canne soulève d’autres fesses qui libèrent la surface où poser les miennes. Dans les transports particuliers, on m’offre la place du mort. Quand l’avenir individuel est sombre, l’avenir collectif importe moins.

            Un chômeur de 56 ans rencontre le ministre du travail et lui narre ses galères en direct. Demain, il aura une offre d’emploi. Une chômeuse a interpellé le Président de la République. Elle a obtenu un CDI. Exemples spectaculaire du degré zéro de la politique qui est choix, hiérarchisation des urgences, dialogues, négociations, décisions. Ici, mettez un problème devant une caméra et il est résolu.

            Dans les Zone de sécurité prioritaire, si les caméras marchent moins bien, c’est qu’elles ne sont pas visibles en direct. Si elles étaient toutes branchées sur les écrans privés, si tous les citoyens pouvaient observer leur quartier en permanence, les méchants se dissimuleraient, les citoyens sans reproche pourraient circuler sans peur.

            Si une caméra me filmait en permanence, en direct, est-ce que j’irais mieux ?

             

lundi 26 août 2013

militer à gauche

         Comment faire de la politique aujourd’hui  quand on a le cœur à gauche, formaté pour la justice sociale, les libertés individuelles et collectives,  aspirant à lutter contre le racisme et les exclusions ?

         Quand on est dans l’opposition, c’est relativement facile. On s’oppose à une politique libérale qui considère que ce qui est bon pour les puissants est bon pour la société toute entière. Plus les riches sont riches et moins les pauvres seront pauvres. Plus l’accès aux privilèges sera difficile et plus les efforts des défavorisés seront facilités. Plus les forts seront soignés et moins les faibles seront malades. On regroupe les exclus dans des zones barbarisées et les privilégiés dans des zones barbelées.

         Relativement facile, mais pas trop. Facile pour l’opposition éternelle, qui renonce à gouverner. Moins facile pour une opposition qui aspire à gouverner. Une opposition qui aspire à gouverner paiera toujours le prix d’un discours irresponsable quand elle viendra au pouvoir. Nous y sommes.

         La clarté n’ayant pas été faite dans l’opposition, les électeurs, les militants socialistes, pédalent dans une semoule que le parti socialiste a épaissie depuis des années, à force de manque de clarté et d’alliance avec n’importe qui.

         Un certain nombre de militants socialistes continuent de prendre au sérieux les discours programmatiques d’hier et les confrontent aux réalités gouvernementales. Les ressentiments, les colères, les frustrations font les carrières, les sondages et les popularités. Malheureusement, ils portent plus sur les confusions d’hier que sur les choix de demain.

         Est-ce une fatalité ? Sans doute. Un régime et un fonctionnement démocratique supposent d’immenses failles entre les programmes et leur mise en œuvre. Seuls les régimes et les partis totalitaires mettent en œuvre de manière systématique les discours annoncés. S’ils rencontrent des oppositions, ils connaissent les moyens de les surmonter. L’annonce par le Chavez de droite, Jean-François Copé de six mois de gouvernement sans débat parlementaire est un avatar de ce rêve d’une redoutable efficacité.

         En attendant ? On reconnaît un militant socialiste à ce qu’il participe à l’administration ou au gouvernement et s’il n’en fait pas partie, se demande en permanence si la politique de son gouvernement est vraiment de gauche. Sur les retraites, les politiques migratoires, les rythmes scolaires, à peu près sur tout, sauf sur le mariage pour tous.

         Qu’ils se calment. Un jour ou l’autre, la droite reviendra au pouvoir et ils retrouveront des raisons de s’opposer.

Maurice Goldring membre du PS (Paris Chapelle Goutte d'Or)

        



mardi 20 août 2013

slogans

si des personnes crient ensemble le même slogan, c'est une manifestation. si elles crient ensemble des slogans différents, c'est une discussion.

mercredi 14 août 2013

dons d'organe

     Nous avons une chance énorme: le don d'orgasmes est gratuit dans notre pays. Il dépend de la sécurité sexuelle (SS) ou des mutuelles complémentaires, comme la Mutuelle des Activités Intenses des Foufounes (MAIF). Imaginez que ces dons soient payants, comme dans certains pays, les trafics qu'engendreraient le profit, les crises financières en cas de montée de la libido, les faillites en cas de défaillance. Nous vivrions alors dans un monde dangereux. Dans ce domaine comme dans d'autres, il faut être vigilant et se battre contre la droite qui veut privatiser les dons d'orgasme, contre les religions qui veulent les interdire et contre  les intégristes qui veulent étatiser le marché. 

lundi 12 août 2013

ZSP 12 août

A la suite de mon blog précédent, plus réactions ont décrit des situations insupportables. Ma première réaction : quand une situation telle qu’elle est décrite s’installe, rien n’est plus urgent que de trouver des solutions. Des solutions, pas des explications ou des souhaits, des solutions. Pas facile. J’habite un immeuble rue Polonceau avec un jardin. Petit immeuble. Il y a quelques années, des fumeurs de crack ont pris l’habitude de venir consommer dans le jardin. Les habitants  leur demandaient régulièrement de partir. Ils partaient. En grommelant, mais ils partaient. Puis nous avons installé une porte à claire-voie derrière laquelle ils ne pouvaient plus se cacher. Ensuite s’est installé dans l’immeuble un trafic de drogue : un jeune dealait, les consommateurs venaient à tout heure du jour et de la nuit. Ils tapaient sur la porte d’entrée quand elle était fermée, essayait de la défoncer. Les habitants ont invité le jeune dealer avec sa famille, sa mère, son grand-frère. Le marché proposé était simple : ou bien le trafic cessait, ou nous le dénoncions à la police. La famille s’est engagée à faire cesser le trafic et le jeune est allé vivre ailleurs.

Ceci pas pour donner des exemples à suivre, chaque cas est particulier. Mais quand on vit des situations particulièrement difficiles, se réunir, parler, trouver des solutions, peut sortir des peurs et des colères particulières. Je signale aussi, (mais vous le savez sans doute), que l’association EGO (01 53 09 99 49) répond aux appels d’immeubles squattés par des usagers de drogues et a aidé dans le passé à dénouer des situations difficiles.

Ces remarques ne m’empêchent pas de conserver un jugement politique sur le classement de la Zone de sécurité prioritaire Goutte d'Or. D’abord, la rue des Portes Blanches ne se trouve dans le périmètre de la Zone de sécurité prioritaire et il y a sans doute un effet report déjà constaté dans le métro (de Château Rouge à Marcadet Poissonniers). La solution, s’il y en a, car la drogue ne disparaîtra pas de notre horizon, ce sont les salles de consommation. Difficile, comme le montrent les réactions des riverains du local envisagé. Ils préfèrent que les usagers de drogues restent rue des Portes Blanches.


Je refuse l’alternative Zone de sécurité prioritaire ou angélisme. On me dit que je ne me rends pas compte, que je vis dans une zone protégées, etc. Je vis ici, à la Goutte d'Or. Mon expérience n’est pas celle de tous les habitants, mais elle en fait partie. Je suis convaincu que des patrouilles de police régulière, des médiateurs, des accueillants, coûtent moins cher et sont plus efficaces que le déploiement actuel qui apparaît exactement comme ce qu’il ne faut pas faire : rassurer les peurs au lieu d’apporter des solutions. Est-ce qu’on se rend compte qu’en un an de Zone de sécurité prioritaire, vingt mille policiers ont été déployés dans la Goutte d'Or. Oui, vous lisez bien, vingt mille. Un par habitant. Pour quels résultats ? Les marchés sauvages sont plus sauvages, les trottoirs sont devenus des parkings, les policiers sont en terre inconnue (il suffit de leur adresser la parole pour s’en rendre compte), et toutes les réunions de concertation avec les habitants se sont transformées en compte-rendu de mandat des forces de police face à un bureau des plaintes. La Goutte d'Or mérite mieux que ça. 

samedi 10 août 2013

ZSP

Samedi 10 août. 16 heures. Un camion de gendarmes au coin de la rue Poulet/Bd Barbès. Tout autour, la cohue, l’impossibilité de passer, les vendeurs à la sauvette qui se rapprochent toujours plus. On se pousse. On s’invective. On se bouscule. A la prochaine réunion sur la Zone de sécurité prioritaire, le préfet et le procureur nous donneront d’autres chiffres, de prostituées interdites, de nouvelles arrestations de dealers, de marchandises confisquées, des chiffres qui sont vrais et qui indiffèrent ceux qui ont de plus de mal à accéder au métro Château Rouge. Un jour prochain, il y aura une vaste opération, « pour montrer nos muscles » dira le commissaire et le lendemain tout recommencera. Un petit orage est plus efficace que mille policiers pour libérer la chaussée.

Hier, avec la fin du Ramadan, le nombre de mendiants avec enfants avait triplé. Ils stationnent sur les marches du métro, et empêchent les voyageurs qui ont besoin de la rampe de l’utiliser. Les gendarmes et les policiers veillent.

Tous les jours, les passants font l’épreuve de l’inefficacité des forces de police, de la vacuité des discours chiffrés, de la démoralisation des fonctionnaires –il suffit de leur adresser la parole.

Je demande à nouveau, poliment, la déqualification de la Goutte d'Or, qu’elle redevienne un quartier ou les priorités ne sont plus sécuritaires. Qu’un nombre de policiers divisés par dix passe régulièrement, tous les jours, tout le temps, en patrouilles, pour que les vendeurs ne s’installent pas. Une fois qu’ils sont installés, c’est trop tard.

        Je le redis sans me lasser. Les tensions actuelles sont potentiellement dangereuses pour le devenir de la Goutte d'Or. Quartier en équilibre instable, mais où les politiques, les associations, les administrations, maintiennent une stabilité relative. A force, le quartier finira par devenir l’étiquette qu’on lui a imposé. 

mercredi 7 août 2013

bonjour

Dans mon quartier, bonjour se dit "malborough, malborough". Si on vous dit "Malborough", répondez poliment Malborough".

mardi 6 août 2013

bénévole et salarié

La différence entre un bénévole et un salarié. Le bénévole n’est pas payé, le salarié touche son salaire. Si un conflit éclate entre le salarié et son employeur, le conflit sera traité au tribunal des prud’hommes, l’employeur devra monter un dossier, expliquer qu’il a invité le salarié à un entretien pour tenter de régler le conflit, lui a expliqué les motifs de ses remontrances. Le salarié aura droit à un avocat.

Si un conflit éclate avec un bénévole, le bénévole sera congédié, radié des cadres sans aucune explication, sans dossier, sans jugement. Il n’aura droit à aucun entretien, à aucun avocat, il ne pourra pas se défendre.


Le respect et l’humanité sont donc du côté des relations financières et des contrats pourtant souvent dénoncés par Marx comme inhumains. Rude leçon pour un révolutionnaire. 

lundi 5 août 2013

différence

      -Moi, je suis pour l’interdiction du voile. Quand on visite ces pays, on me force à porter le voile, alors je ne vois pas pourquoi...


     -Justement, c’est ça la différence. 

samedi 3 août 2013

taxi mondialisé


Le chauffeur de taxi est algérien. Il en veut aux Maliens du foyer de la rue de la Fontaine au Roi qui font frire des poissons et empestent tous les voisins. En outre, dit-il, la plupart des chambres sont sous louées illégalement  par des Africains qui passent leur temps au pays et ne reviennent en France que pour toucher leur aide sociale. En plus, dit-il, on a retrouvé à Tombouctou des vélibs. Que va faire un vélib à Tombouctou ? En outre, dit-il, les Roms eux aussi volent des vélibs pour récupérer le matériel. Et vous savez combien ça coûte de fabriquer un vélib ? Et en plus, dit-il, ils sont fabriqués en Chine, pour trois fois rien, mais quand on les vend sur le marché français, on matraque. Et en plus, à Belleville, les Chinois, ils ont tout pris, les restaurants, les boutiques d’informatique et même les prostituées. Dehors, il fait 39 degrés.

Il déteste aussi les flics qui lui ont collé une amende et retiré trois points de son permis parce qu’il téléphonait en conduisant. Il dit qu’en débarquant d’Algérie, il voit une voiture de police avec trois noirs dedans. Quel effet ça peut faire sur les touristes, hein, je vous demande, les gens qui débarquent, ils vont se croire à Bamako ?

Première remarque, interne. Quand on déteste tout le monde, on n’est pas raciste. On est seulement misanthrope. Mon chauffeur de taxi déteste l’humanité.

Mes réponses. Je réponds souvent au taxi. Je lui dis : 1. Quelle chance nous avons, nous qui vivons en France, de vivre dans un pays qui attire les gens du monde entier. Etant donné qu’il y a des pays riches et des pays moins riches, rien ne peut empêcher les gens d’aller chercher ailleurs ce qu’ils n’ont pas chez eux. Heureux ceux qui trouvent chez eux ce dont ils ont besoin. Heureux ceux qui doivent affronter les inconvénients de mouvements de population. Ça prouve qu’ils vivent dans la partie riche du globe.

2. Quelle chance nous avons, nous qui vivons en France, de vivre dans un pays où la police fait son travail.