vendredi 29 septembre 2017

différences


Quand on évoque les crimes de l’ETA, les abertzale répliquent par les GAL, ces hommes de main recrutés par le gouvernement de Madrid pour assassiner des etarras réfugiés en France. Il y eut une trentaine de ces crimes.

Hein, ça vous ferme le clapet, n’est-ce pas ? il y a eu deux camps, des victimes de part et d’autres…

Pourtant la différence est éclatante. Les hommes de main du Gal ont été jugés et emprisonnés. En été 1998, un ancien ministre de l’intérieur, Jose Barrionuevo, a été condamné à dix ans de prison. Et personne n’a organisé de manifestations de soutien, pas de demande d’amnistie, d’aucune parti politique, d’aucune association Pas de cérémonies de bienvenue à la sortie de prison. Pas de parades sur les estrades des meetings.

Alors que les assassins de l’ETA condamnés pour leurs crimes ont bénéficié de tout ça : manifs, fêtes de libération, demande d’amnistie, parades dans les meetings. Avec l’appui et la complicité de Vincent Bru, Colette Capdevielle, Michel Veunac, Jean-René Etchegarray, Frédérique Espagnac, Max Brisson, élus LR, PS, LREM. Bras dessus dessous avec les patriotes.




jeudi 28 septembre 2017

catalogne pays basque


Dossier sur la Catalogne dans libé 28/09/17.

Une province déchirée, plus de la moitié des citoyens est contre l’indépendance. Mais ils se taisent tant est violente la campagne séparatiste. Les écrivains, les artistes, les élus qui prennent position contre le referendum sont vilipendés. Traités de traîtres, de vendus à l’Espagne…

Au Pays Basque français, EH baï et les abertzale modérés, dans enbata, citent tous la Catalogne comme exemple à suivre.

Demain, la communauté d’agglo basque va les relayer.

Au Pays Basque, quand je dénonce les grotesques cérémonies en alliance avec les assassins de Yoyès et de Blanco, parce que ça peut mener à une situation à la catalane, on (tout le monde) me dit que ça ne sert à rien, que je me taise, je vais me faire insulter pour rien.

Au Pays Basque français, quand je dénonce la dérive nationaliste, on me dit que mes craintes ne sont pas justifiées, que nous n’en sommes pas là.

Mais sans j’en juge par le silence unanime de ceux qui n’ont pas aimé l’opération de Louhossoa, je crains hélas que nous en soyons là.

nationalismes


Québec, Irlande, Ecosse, Catalogne, Kosovo, Pays Basque, Corse, Kurdistan…Les nationalismes sont en première page. Historiquement, le nationalisme est un mouvement social, politique, culturel, militaire ou pacifique, qui vise à obtenir l’indépendance et un gouvernement qui correspond à une communauté de langue, d’intérêt. Le nationalisme se développe quand les citoyens de cette communauté sont exclus des avantages et des privilèges garantis par l’état où ils vivent. Le cas le plus simple est celui de l’Irlande. Dans le Royaume-Uni, les catholiques, majoritaires en Irlande, étaient des citoyens de seconde zone dans tous les domaines, économiques, électoraux, religieux. L’indépendance était pour eux accéder aux droits déniés.

        Les contours de cette communauté construite par l’histoire peuvent être territoriaux, linguistiques, religieux. L’important n’est pas tant leur réalité que leur mobilisation par la communauté qui s’estime opprimée et discriminée. Quand la langue, la religion, la terre, deviennent des facteurs politiques, peu importe leur réalité. Ils sont vrais parce qu’ils sont reconnus comme tels par le mouvement national.

        De cette liste apparaîtra une différence notoire. L’emploi de la violence armée ou le recours uniquement à des moyens pacifiques, manifestations, pétitions, et naturellement, le vote. Le Québec, l’Ecosse, la Catalogne, n’ont pas eu recours à la lutte armée. L’Irlande, le Pays Basque, la Corse, ont été marqués par l’émergence d’armées clandestines. En Irlande, aux premières élections générales à la sortie de la guerre de 14-18, la majorité a été accordée aux candidats qui s’étaient engagés à ne pas siéger au parlement de Westminster, à constituer un parlement à Dublin (le Dail), un pouvoir non reconnu par Londres, mais légitimé par les urnes. Il est résulté une période de double pouvoir (Londres et le parlement dublinois), et des affrontements qui se sont développés en guerre anglo-irlandaise, terminée par un accord en 1921. Cet accord, accepté par la majorité du Dail et par la majorité des électeurs, fut dénoncé par une partie des républicains mené par De Valera, dont les paroles célèbres : « le peuple n’a pas le droit d’avoir tort » devinrent le slogan de toutes les avant-gardes révolutionnaires. Ce désaccord se transforma en guerre civile qui fit plus de morts que la guerre anglo-irlandaise.

        L’objet de ce texte n’est pas de décerner des bons ou des mauvais points. Il est possible (peut-être nécessaire) de relever que l’émergence de groupes armés n’était pas dû à l’écrasement d’une volonté majoritaire (comme en Irlande en 1919), mais d’abord pour remplacer la volonté majoritaire par le sacrifice d’une minorité. La théorie est la même partout : le peuple souffre, il est dans les chaînes, mais il ne s’en rend pas compte, il est endormi. Le sacrifice d’une avant-garde le réveillera. Etarras basques, Républicains irlandais, nationalistes corses partageaient le même diagnostic. L’idéal d’indépendance est minoritaire, il faut le rendre irrésistible par le sacrifice d’une avant-garde combattante. C’est une conception très religieuse de la politique dont le modèle, avant d’être celui Che Guevara, fut d’abord celui du Christ. Regardez l’iconographie de Bobby Sands, comme celle de Che Guevara et vous constaterez la transformation de ces martyrs en figures christiques. « En vérité je vous le dis » est ridicule dans une enceinte parlementaire, mais devient message universel quand ces mots sont prononcés sur la Croix ou depuis la geôle.

        Ça marche. C’est efficace. Les plus modérés ont tous condamné le recours à la lutte armée, ils doivent quand même reconnaître que ces sacrifices ont réveillé consciences. Ces avant-gardes ont partout été battues, mais elles continuent de fixer les ordres du jour. La question des prisonniers, leur réinsertion, se joue toujours sur le fond d’une légitimation de leur combat. Ces rencontres prennent parfois des aspects surprenants. Au Pays Basque, pour aider les derniers etarras à quitter leur repaire, des hommes de paix jouent à  la clandestinité, ils jouent à la guerre, déterrent des armes, se font arrêter, crient à l’injustice, ils sont des combattants d’opérette, n’empêche qu’ils entraînent la société basque derrière eux en une espèce d’hommage à ceux qui se sont vraiment sacrifiés.

        Encore faut-il s’entendre sur le sens du mot « sacrifice ». Il ne s’agit pas de gens qui se sont immolés par le feu. Ils ont tué, beaucoup, et il faut effacer leurs victimes pour honorer leur combat.

         

dimanche 24 septembre 2017

le bonheur de toucher le fond


     Chacun connaît le fond du trou, la lumière a disparu, les fenêtres sont colmatées, vous êtes seul avec une vie à trancher. Où sont les barreaux qui permettent de remonter ? Les échelles à grimper vers le soleil ? Les grappins où s’accrocher ?

     Oui, ça m’arrive, comme à chacun, comme à tous. C’est douloureux, mais gratifiant. Je me dis que le contentement béat devant un monde inégal n’est pas très bon signe. D’une certaine manière, je suis heureux d’être malheureux, parce que si j’étais content devant ce que je vois, je serais très mécontent d’être content. Voici donc le premier barreau : celui qui permet la jouissance extrême d’être au fond du trou, plus profond que n’importe qui, plus douloureux que toutes les douleurs, celui qui procure l’immense plaisir de n’éprouver aucun plaisir.

     Quand je suis ainsi au fond du trou, je me retourne et j’évalue. Après avoir été rouage d’une machine à broyer, j’ai rompu avec cette mécanique infernale et j’ai joué  un rôle modeste, mais réel, dans la destruction de ce monstre. J’ai poursuivi mon combat contre les théories léninistes et avant-gardistes, en Irlande et en France. En Irlande, j’ai contribué à l’émergence d’une histoire qu’on appelait alors révisionniste et qui consistait à remettre en cause les dogmes du nationalisme essentialiste et violent.  En France, par mes livres, articles, mes conférences et mes cours, j’ai contribué à diminuer l’influence des républicains irlandais en armes qui avaient un impérieux besoin d’un appui international que j’ai ainsi affaibli. Ces batailles sont désormais derrière moi. Georges Marchais et son bilan globalement positif des camps et des cimetières ont disparu. Restent des héritiers qui utilisent les mêmes mouvements de menton, les mêmes adhésions à des satrapes latins ou slaves, les mêmes bilans globalement positifs des dictatures. Mais ces avatars du communisme stalinien et léniniste ne font plus peur car ils n’ont aucun appui étranger. Quand Maurice Thorez déclarait qu’il accueillerait les troupes soviétiques comme des libérateurs, ça faisait trembler dans les palais et même dans les chaumières. Mélenchon ne peut pas appeler Raul Castro ou Maduro à la rescousse.

     Les hasards de la vie m’ayant installé dans le Pays Basque, j’ai découvert un nouveau terrain de bataille. Inspiré par mes combats contre les théories et les pratiques avant-gardistes, j’allais poursuivre cette bataille contre le nationalisme basque qui n’en finit pas de célébrer ses crimes passés, et contre l’adhésion quasi unanime de la société basque, politique et civile, à cette dérive. Contre une communauté d’agglomération sur une base identitaire, contre des manifestations téléguidées par les héritiers de l’ETA. Je fus déçu. Quand je bataillais contre le stalinisme du PCF, je disposais de deux ingrédients indispensables à toute bataille : des alliés et des ennemis. Les ennemis m’insultaient, les alliés me soutenaient. Dans mes batailles contre le républicanisme militarisé de l’IRA, j’avais des alliés et des ennemis. Bravos et injures tiennent un homme debout. Dans le combat contre le nationalisme basque, je n’ai ni allié ni adversaire. Les adversaires ne me répondent pas, ils me considèrent comme un extra-terrestre, les amis ne me soutiennent pas, ils me disent que le combat est inutile. Je me bats contre des moulins à vent, contre l’indifférence. Les sympathisants abertzale applaudissent, les républicains se résignent, les démocrates pensent que je surestime le danger nationaliste. Bref, je me trouve dans la position déplaisante du prêcheur dans le désert. Il ne peut même pas se taper la tête contre les murs, il n’y a pas de mur. Il donne un coup de poing et son poing s’enfonce dans la ouate.

     Je commence à comprendre les personnes isolées qui ont le sentiment d’un danger imminent mais qui ne sont pas prises au sérieux. Quelle terrible situation que celle de Cassandre qui pouvait prédire l’avenir mais que personne n’écoutait. Il y a de quoi s’énerver. Il y a de quoi être tenté par des coups d’éclat. L’immolation par le feu par exemple. Je sais d’avance que je ne m’aspergerai pas d’essence puisque j’ai arrêté de fumer, je n’ai sur moi ni briquet ni allumettes et je ne me vois pas, dégoulinant de super, demander à un passant s’il a du feu. Je ne le ferai pas d’abord par peur, car comme tout le monde, j’ai vu les souffrances de Jeanne d’Arc sur le bûcher. Et aussi par principe. Je ne peux dénoncer ce que les terroristes appellent la propagande par les actes et utiliser les mêmes méthodes. L’immolation est de même nature que l’assassinat : au lieu d’être une explosion, c’est une implosion. Mais la méthode est la même : contourner les difficultés politique par des coups d’éclat.

     C’est décidé. Je vais faire une pancarte. J’écrirai avec un feutre noir, le nombre 829. C’est le nombre des victimes de l’ETA. Et je me promènerai avec cette pancarte chaque fois que les abertzale et leurs amis manifesteront. Je demanderai à des passants de me prendre en photo. Je diffuserai la photo sur les réseaux sociaux et c’est tout. Pas de slogan, pas de démonstration que personne ne lira. Juste un nombre.

samedi 23 septembre 2017

la laïcité est un combat


« La manière que j’aurai d’aborder les débats ne sera en rien de dire que la politique a une prééminence sur vous » (Emmanuel Macron, devant les églises de France, 22 septembre 17)


« Le droit pénal est au-dessus du droit canon » (Enda Kenny, premier ministre irlandais, devant le Dail, le 20 juillet 2011)

évangélisez


Je vous fais parvenir une invitation. Imaginez si  « évangéliste » était  remplacé par « musulman », le tollé…
À l'occasion de la première journée d’études et de rencontre organisée le 26 novembre 2011, les Groupes Bibliques Universitaires lancent le « Réseau Évangélique des Professionnels de l’Enseignement » (REPE).


Ce nouveau réseau existe pour permettre à des chrétiens de rencontrer d'autres chrétiens engagés dans l'enseignement pour qu'ensemble, ils puissent :
·               élaborer une vision biblique de leur métier alliant transmission de savoirs et accompagnement
·               débattre des questions qui se posent à l'interface entre l’enseignement et la foi chrétienne
·               mieux articuler leur pratique professionnelle et leur engagement chrétien
·               s'encourager à être témoins de Christ dans leur milieu professionnel
·               rendre disponible au public une réflexion évangélique rigoureuse sur l’éducation et la pédagogie.


jeudi 21 septembre 2017

DDR






Désarmement, démobilisation, réintégration (DDR)



Le Foro social, à Aiete, déclare qu’après le « désarmement unilatéral de l’ETA », « en bon ordre », qui a été une réussite grâce à l’implication de la société  civile au Pays Basque français, la prochaine étape est la démobilisation qui doit se faire de la même manière grâce à la même société civile. Ensuite aura lieu la réintégration des prisonniers, des clandestins, des déportés…, dernière étape. (El diario Vasco, 21.09.17)

Ainsi est présentée la feuille de route pour les prochains mois.

Étaient présents Bildu et Sortu, plus la gauche radicale (IU). C’est tout. Cette feuille de route sera donc impossible au Pays Basque espagnol (ni PP, ni PSOE, ni Podemos, ni PNV n’étaient présents) elle devra à nouveau se réaliser dans le Pays Basque français.

Les faiseurs de paix soutenus par toute la société basque française qui a moins souffert que la société basque espagnole organiseront  une cérémonie de démobilisation négociée avec l’ETA, « en bon ordre ».  À Louhossoa ?

Ensuite, les élus, les partis, les associations, demanderont la réintégration des anciens etarras, sans demande de pardon, sans engagement pour l’avenir.

Ce qui n’est pas possible au Sud devient possible en France, et la communauté d’agglo du Pays Basque, les partis politiques, les élus, répondront présents au Foro Social.

Pour Xabi Larralde, « il n’y aura pas de paix au Pays Basque tant qu’il y aura des prisonniers (enbata, avril 2017). Nous voilà prévenus. Les blanchisseurs de terreur nous ont affirmé la main sur le cœur que l’opération du 8 avril serait la fin du conflit, la paix éternelle. Mais non, il n’y aura pas de paix au Pays Basque tant qu’il y aura des prisonniers. Il n’y aura pas la paix au Pays Basque tant qu’il y aura des etarras en fuite. Ou des etarras en exil. Pour qu’il y ait la paix au Pays Basque, il faut que tous les etarras soient réintégrés dans la société civile, au cours d’une grande cérémonie Place Saint-Esprit, à Bayonne.

Sinon, Xabi Larralde va reprendre les armes de Louhossoa.


monochromie monotonie


Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, sur la question nationale, le Pays Basque français est monochrome. L’unanimité s’est réalisée pour la création d’une communauté d’agglomération sur une base identitaire fondée sur la langue, le territoire, une histoire héroïque. Tous ensemble, patriotes et républicains honteux, réclament l’amnistie des prisonniers dits « politiques », négocient le désarmement avec l’organisation terroriste de l’ETA, officialisent la langue basque. Les voix dissidentes se fatiguent, elles finissent par se taire. Il y a désormais deux pays basques : le territoire ancestral et le Pays Basque du tourisme, qui fait encore partie de la république française. Les deux Pays Basque coexistent sans se parler. Le Pays Basque français considère le nationalisme basque comme un aimable folklore qui aide à vendre le pays dans les agences de voyage. Le Pays Basque patriote considère la République comme un gâteau qui disparaîtra à force de le grignoter.

Le recours à la terreur armée avait un avantage : chaque attentat, chaque assassinat, était suivi de discussions passionnées. Les condamnations ou les justifications clivaient les familles. Ces discussions se poursuivent au Pays Basque espagnol où le bilan de la terreur occupe le terrain politique, où les victimes, leur famille, les survivants, contribuent au bilan des années de plomb. Le roman de Fernando Aramburu, Patria, est un événement littéraire et politique. Des livres, des études, des monuments bouleversent les consciences, animent les débats. Vidas Rotas, qui recense les victimes de l’ETA, est un événement capital. Vittoria s’apprête à inaugurer un monument aux victimes. Du côté français, depuis que l’ETA a cessé le feu en 2011, les partis politiques, les syndicats, les associations n’en finissent de remercier les etarras d’avoir déposé les armes. Les élus et les associations négocient avec les quelques dizaines d’etarras en fuite la restitution des armes rouillées, donnant ainsi une visibilité et une légitimité surprenantes à une organisation terroriste. Des manifestations unanimes, patriotes, républicains, marcheurs, socialistes, verts, syndicats,  demandent le rapprochement des prisonniers, la libération des malades. Cette unanimité se fait au prix de la disparition des victimes. Elles ne sont pas invitées aux cérémonies de l’oubli, elles sont à peine évoquées dans cette vague de bons sentiments. Chaque fois que l’auteur de ces lignes rappelle l’abominable bilan de l’ETA, on lui reproche de saboter le processus de paix. Qui peut être contre la paix ? Pas un coup de feu n’a été tiré depuis 2011,  mais apparemment, la guerre se poursuivait. Grâce à la bonne volonté des etarras et des faiseurs de paix, les armes qui ont tué ont été déterrées. Tout le monde exulte : les etarras et leurs alliés ou sympathisants qui observent les foules déferlant dans les rues de Bayonne, les responsables politiques des grands partis républicains qui se présentent comme des faiseurs de paix dans un pays qui  n’était plus en guerre. Les négociateurs sont célébrés et le sang a séché. Et si l’on persiste à évoquer les victimes, les « blanchisseurs de la terreur » répondent qu’il faut penser aux victimes des « deux côtés ». Terrible expression qui met sur le même plan bourreaux et victimes.

Une nouvelle communauté d’agglomération du Pays Basque, créée en janvier 2017, accompagne le mouvement. Son président, le Lehendakari, participe activement aux négociations, aux délégations, aux rassemblements festifs et revendicatifs. Il est soutenu par les élus patriotes, par des républicains et socialistes, par confort (il est fatigant de prendre position), par calcul (toutes les voix sont bonnes à prendre) et par le silence des autres. Il n’y a pas de candidat abertzale aux élections sénatoriales du 24 septembre et enbata appelle à voter en faveur des candidats socialistes ou LR  qui ont été « à nos côtés » pour former la CAPB ou se sont mobilisés pour les presos.

Qui lit la presse locale (Sud-Ouest), les journaux plus engagés (Mediabask et enbata), sera frappé par l’unanimité des commentaires. Les prisonniers sont « politiques », les négociateurs sont des « faiseurs de paix », la présence des élus de tous bords dans les manifestations nationalistes est aussi naturelle que les fêtes de Bayonne. Aucun son discordant. Sur la question nationale basque, l’offre journalistique est aussi variée que la Pravda au temps de la guerre froide. Si on ne lit que la presse locale, un doux endormissement vous saisit, une acceptation molle du fait identitaire et si une voix différente se fait entendre, elle apparaît comme la sonnerie d’un portable pendant l’adagio d’Albinoni.

Il suffit de lire la presse d’outre Pyrénées pour se plonger dans le bruit et la fureur de la sortie d’un conflit meurtrier. Mais qui lit El Pais, El Diario vasco ? Qui sait que Otegi, récemment libéré, le chef des patriotes radicaux, célèbre les rassemblements « pour la paix » et salue l’unanimité des élus du Pays Basque français et demande que l’on suive cet exemple au Pays Basque espagnol ?

Pourquoi ne pas se laisser endormir après tout ? Comme en Corse ou en Irlande du Nord, les identitaires auront pris le pouvoir, les agences de tourisme font visiter les peintures murales et les prisons, les terroristes libérés jouissent de voitures de fonction et les victimes survivantes rasent les murs où des fresques et des peintures murales célèbrent leurs bourreaux.

Le danger d’une telle unanimité est connu. Partout où l’histoire des drames ne se fait pas, les héritiers et les complices les plus résolus sont portés au pouvoir. Plus généralement, toute société homogène dépérit, se dessèche. Plus de débat, plus de dialogue, le pouvoir se partage silencieusement entre clans et familles. Il est possible, tant que le Pays Basque français reste dans la République, que le Pays Basque soit un lieu où toutes les cultures sont possibles et aucune n’est obligatoire. Plus il est unanime, plus il se refermera et perdra sa vitalité actuelle. Il aura gagné des frontières et aura perdu son âme.






mercredi 20 septembre 2017

migrations


Moi, inlassablement, je dis regardez la carte du monde, regardez les pays, voyagez. Où préférerez-vous vivre ? Dans les pays d’où l’on immigre ou dans les pays que les migrants choisissent ? Je suis heureux à chaque minute de mes journées de vivre dans un pays qui attire les migrants. L’exemple le plus achevé de cette réalité est l’Irlande. La misère, le sous-développement, la famine, firent du pays une terre d’émigration massive. En un siècle, il perdit la moitié de sa population. Les Irlandais émigraient vers la Grande-Bretagne, vers les États-Unis, vers l’Australie, le Canada. Il exportait ses intellectuels, ses entrepreneurs, ses chanteurs, ses poètes, et ne restaient au pays que des prêtres sans culture, un clergé arrogant. Misère morale et misère matérielle. L’emprise de l’église catholique était totale. Puis l’Irlande s’est modernisée, hissée au niveau des autres pays européens, l’émigration changea de sens, elle attira les migrants de l’Europe de l’est, les migrants africains, les Indiens. Et le pays s’est laïcisée, le divorce fut permis, l’avortement accepté avec réticence, les prêtres et les évêques pédophiles furent poursuivis en justice. Je ne sais pas si les Irlandais d’aujourd’hui sont plus heureux que leurs ancêtres du Connemara. Les femmes sont plus libres, la censure et la chape de plomb cléricaux ont été levés, et la République a un premier ministre homosexuel. Et bien entendu, on regrette le passé, le temps où tous les habitants du village se levaient quand le prêtre arrivait. Le temps où l’on enfermait les filles–mères, comme on disait dans des institutions esclavagistes comme les Magdalena Sisters. Tout ça a changé, et le pays est devenu terre d’immigration. J’aime vivre dans une terre d’immigration et je n’aimerais pas vivre à Cuba, en Corée du Nord, au Venezuela, en Pologne, en Algérie, faites la liste des pays que les habitants veulent quitter et que personne d’autre que les touristes veulent pratiquer.



Il y a des Basques qui regrettent que les Basques quittent le pays et que trop de non-Basques viennent s’y installer. On les appelle abertzale.

samedi 16 septembre 2017

parti unique


La nouvelle communauté du Pays Basque. Six mois après sa mise en place, il s’est révélé impossible de se mettre d’accord sur la gestion de l’eau, du tourisme, des transports en commun, des services sociaux. Les seuls points sur lesquels la nouvelle agglo a pris des décisions : l’officialisation de la langue basque, la mobilisation en faveur des presos, la participation aux cérémonies de blanchissage de la terreur et de l’oubli des victimes. Le président de l’agglo s’appelle Lehendakari.

Mais non, la nouvelle communauté n’était pas une revendication identitaire. Puisqu’on vous le dit.

Le Lehendakari est soutenu par les élus abertzale de conviction, par les élus républicains abertzale de confort (fatigant de prendre parti), par les élus républicains abertzale par résignation, par les élus républicains abertzale par calcul (toutes les voix sont bonnes à prendre), par le silence de tous les autres. Impossible de dénoncer la dérive identitaire puisque pour un parti politique, il n’y a que des coups à prendre et des voix à perdre. Ce qui veut dire tout simplement que les abertzale ont déjà gagné.

Laurent Joffrin : « en remettant au sommet de l’échelle des valeurs la logique des racines et des origines culturelles, on finit par déprécier l’universalisme et l’on risque d’éroder à terme les défenses démocratiques qui s’opposent à l’extrémisme ».

capitulation


Pas de candidat abertzale pour les élections sénatoriales du 24 septembre 2017. Enbata le journal abertzale appelle à voter en faveur de Frédérique Espagnac (PS) ou Max Brisson (LR), qui ont été « à nos côtés » pour soutenir la communauté d’agglo basque, pour participer aux cérémonies de blanchissage de la terreur et de l’oubli des victimes, qui se sont mobilisés en faveur des presos.

Pour ceux qui vivent ailleurs : abertzale signifie patriote basque qui milite pour un Pays Basque indépendant et réunifié (nord et sud). presos signifie prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée, qui refusent de demander pardon et refusent de s’engager à renoncer à tout activité terroriste.

Frédérique Espagnac et Max Brisson sont des candidats socialistes et LR, qui bradent leur âme républicaine pour quelques voix abertzale.

apprendre à marcher


Vendredi 15 septembre 17. Réunion du comité de Biarritz de LREM (la république en marche). Une quinzaine de présents, dont Vincent Bru et des animateurs qui n’ont jamais été élus, qui ont été désignés par le référent 64 qui lui-même a été désigné par le national qui lui-même a été désigné par le président.

Qui a élu Emmanuel Macron président de LREM ? Personne. Qui l’a élu président de la république ? Les électeurs, le peuple, vous, moi. Entre les deux, un mouvement et une situation politique qui fait mentir la maxime de Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». LREM n’est pas né de la transformation des partis traditionnels. Ils ont sombré, ils ne se sont pas transformés. LREM s’est créé tout seul, en dehors du terreau politique. Généralement, les grands mouvements, les grands partis politiques, les grands leviers des transformations pacifiques ou brutales, se développent lentement, les historiens peuvent repérer leur naissance et leur itinéraire. Partis nationalistes, conservateurs, travaillistes, communistes, fascistes, ont une histoire. On a le temps de s’habituer, de les soutenir, de les combattre. LREM est apparu dans la vie politique il y a moins de deux ans, le temps de tout conquérir, la présidence, l’assemblée nationale, le temps d’écrémer les partis qui du jour au lendemain, ont pris des rides et des cheveux blancs. Ceux qui s’intéressent à la vie politique, qui militent, qui discutent, sont effarés. Tout ça va trop vite. Le succès de Mélenchon et de la France insoumise est pour une part dû à ce qu’il a su ramasser les pièces éparpillées d’une histoire ancienne, reconstruire un musée familier, où les mots d’ordre, les actions, les colères, fabriquent le seul univers connu dans un monde disloqué. Pendant mon périple aux États-Unis, nous allions visiter de surprenants musées où étaient rassemblés des meubles, des instruments de cuisine, des radios et des dentelles des années 1930. Les visiteurs se pressaient parce qu’ils voulaient savoir comment grand-mère faisait des confitures. Il en va ainsi de la France Insoumise, aussi populaire que les grottes du Larzac. Ils ont même réussi à reconstituer à partir de quelques ossements, l’Union soviétique des années de guerre froide qui s’appelle aujourd’hui le Venezuela.  

La rapidité est source de fragilité. Les militants expérimentés sont souvent conservateurs, mais ils assurent une certaine solidité, une certaine stabilité aux entreprises nouvelles. À cette vitesse-là, peut-on construire un mouvement s’appuyant sur des convictions, des engagements, des réflexions ? Je m’inquiète. Le mouvement créé par Emmanuel Macron doit se muscler, former des militants,  devenir une université de l’avenir où se mêlent formation et recherche. Je ne suis pas inquiet pour les députés nouveaux. Plongés dans l’eau, ils apprendront à nager. Je m’inquiète pour l’avenir de LREM qui est encore une grande bâtisse brinquebalante. Sans fondation, sans cave ni grenier. Ce n’est pas un hasard si dans les Pyrénées Atlantiques, le nouveau parti a été incapable de présenter des candidats pour les élections sénatoriales. Pour les législatives, les candidats ont été imposés d’en haut. Comme il n’y a pas eu de directives pour les sénatoriales, les militants du 64 n’ont pas su présenter un candidat.

         Travaux pratiques. Dans la réunion du 15 septembre, j’ai proposé ce que mes lecteurs connaissent déjà, une discussion sur la dérive identitaire au Pays Basque. Notamment la participation sans aucun esprit critique à l’entreprise de blanchiment de la terreur initié par des négociations entre des abertzale modérés et ce qui reste de l’ETA. Vincent Bru  a participé à ces agapes insultantes pour les victimes, avec les anciens députés socialistes. Je suis préoccupé de ces dérives qui s’ajoutant à un ralliement béat à une organisation identitaire du Pays Basque (la nouvelle communauté) risque de conduire à la prise du pouvoir local des nationalistes, comme cela s’est passé en Corse et en Irlande du Nord. Sur les trois cent mille  personnes qui habitent le Pays Basque, je connais au moins une dizaine de personnes qui partagent mes inquiétudes. Je travaille patiemment à doubler ce chiffre.

         La réaction à ma proposition confirme mes craintes sur le mouvement naissant. La réunion a pour but de mobiliser les marcheurs pour défendre les ordonnances. Bien. C'’est utile et nécessaire. Mais sur le Pays Basque ? C’est une question locale, donc il ne faut pas discuter. On ne discute que de questions nationales. Puis, est-ce que ça intéresse quelqu’un ? Puis, pourquoi en discuter à Biarritz seulement, puisque la question se pose à l’échelle du Pays Basque ? On me demande quel est mon objectif. Les réponses à ma proposition sont multiples, hésitantes, contradictoires. Mon objectif ? Il est tout simple : que le député qui me représente, participe au printemps prochain, avec une délégation du Pays Basque, à l’inauguration d’un monument aux victimes du terrorisme à Vittoria. Et qu’il fausse connaître rapidement sa participation, afin d’éviter l’accusation d’un ralliement aux thèses indépendantistes.

         Mais voilà, il n’y a pas sur ce sujet de directives nationales. Les responsables doivent décider tout seul. Ils sont donc un peu perdus. Donc ils vont discuter. Je vous tiendrai au courant.

mercredi 13 septembre 2017

anniversaire


Rafaël a soixante ans, il est le mari de la belle-fille d’un frère disparu dont le fils, donc son beau-frère, par alliance, est resté propriétaire de la grande propriété familiale nommé les Fouilloux et les soixante ans de Rafaël sont l’occasion, le prétexte, la nécessité, l’urgence, le plaisir, d’une réunion de famille.

Une partie de la famille vient de Paris, l’autre de Bordeaux, encore d’autres de Biarritz. Moi personnellement, je suis le compagnon, le partenaire officiel, l’ami de cœur, de la sœur du frère disparu, donc de la tante du propriétaire actuel des Fouilloux, donc l’oncle par compagnonnage du propriétaire et à ce titre, je suis invité à l’anniversaire des soixante ans de Rafaël, dont je suis le bel-oncle lointain et qui est mon beau-neveu symbolique. La famille est impériale, concluante, mais elle exige des preuves, des analyses de sang, des recherches d’ancêtres. Quand je fus invité aux 80 ans de Tony, seule l’amitié durable a expliqué cette invitation, je n’ai pas besoin d’expliquer généalogiquement, avec un arbre sur le tableau et ses ramures multiples, pourquoi je me suis trouvé à Liverpool. J’étais l’ami de Tony. Alors que je ne peux pas vraiment dire que je suis l’ami de Rafaël,  je l’ai croisé plusieurs fois aux Fouilloux et nous avons certes sympathisé, mais de là à tisser une amitié forte, non, je ne peux pas le dire. Je suis content de le revoir car il a un grand sourire accueillant et sa femme Danièle est chaleureuse. Ils ont des frères, des enfants, des cousins, des amis, des petits copains des enfants. Seront là aussi les neveux et nièces, les petits copains des neveux et nièces, parfois plus que des petits copains, des couples vrais qui vivent en couple et envisagent d’officialiser leur union dans un avenir proche. Il y a aussi des enfants de compagnons ou de compagnes qui comprennent plus rapidement où trouver la télécommande de la console de jeux que le lien qui explique leur présence dans ce pavillon de chasse.

Les trains sont remplis pour une grande partie par des voyageurs qui se déplacent pour des fêtes de famille, plus la famille est grande et plus les trains se remplissent. De ce déplacement ici décrit, un tiers s’est passé dans le train, un tiers aux Fouilloux, un tiers dans une chambre d’hôte.

Les Fouilloux se situent dans la Charente profonde, à une vingtaine de kilomètres de La Rochefoucauld, et une cinquantaine d’Angoulême. Il est possible d’atteindre La Rochefoucauld par train, en changeant à Angoulême. Mais déjà, depuis Biarritz, il faut changer à Bordeaux pour se rendre à Angoulême, car le TGV ne s’arrête pas n’importe où, il est direct de Bordeaux à Paris. Ensuite, pour éviter un nouveau changement à Angoulême, rendez-vous est pris dans la capitale de la bande dessinée où trône une colonne à la gloire de Goscinny avec une branche familiale très proche et propriétaire d’une voiture permettant de transporter cinq personnes.

Jusqu’à Bordeaux, tout est simple. Il suffit d’acheter un billet et de grimper dans un wagon du TGV 8534, à 9 Heures 49. Deux heures plus tard, nous sommes à Bordeaux. Nous, c’est moi plus la tante du propriétaire actuel des Fouilloux. Elle s’appelle Brigitte. Les choses se compliquent à Bordeaux, car pour atteindre Angoulême où nous sommes attendus, il faut prendre le TGV Bordeaux-Lille qui part dix minutes après l’arrivée du TGV Biarritz Bordeaux. Vous me suivez ? Or, depuis un incident que j’ai déjà relaté, mais je ne peux pas résister au plaisir de la répétition, à la gare Montparnasse, en route vers Biarritz, l’affichage du quai de départ s’est montré dix minutes avant le départ, alors que d’habitude, c’est vingt bonnes minutes, ce qui me laisse largement le temps, même si le wagon est le plus éloigné, genre dix-neuf ou vingt, même si je me déplace lentement depuis que ma jambe gauche a perdu de l’énergie marchante, en général, j’arrive à mon wagon sans ennui. Mais cette fois-là, dix minutes, ce fut très juste. Et comme la voie est courbe, le contrôleur ne me voyait plus en train de me presser pour arriver à mon wagon réservé. Il a sifflé et je me suis précipité, la valise en avant, pour empêcher la fermeture des portes, tandis que la tante du propriétaire des Fouilloux hurlait de terreur, mais finalement j’ai pu me glisser entre la porte du TGV et me retrouver à l’intérieur du wagon avec ma valise. Cet incident aurait pu rester sans conséquence, sans importance, mais il était la répétition exacte de la même scène dans un train italien, où là, il s’agissait de monter dans un wagon avec un vélo et la portière s’est refermée sur le vélo et sur ma hanche et la même tante du propriétaire des Fouilloux, qui à ce moment précis, était plus mon amie de cœur plus que tante du propriétaire des Fouilloux, hurlait de terreur à l’idée d’un découpage de l’objet de son affection. Depuis s’est installée une espèce d’inquiétude devant les correspondances étriquées, les quais déserts, les contrôleurs impatients, les rames en courbe. Je suis à Bordeaux, je dois prendre le TGV pour Lille, la ville où je suis né, il part dans dix minutes, je presse le pas, je vois la rame, elle est sur le quai d’en face, mais loin devant, les roulettes roulent, la canne canne et je vois devant moi le regard inquiet de qui vous savez, inquiète, apeurée.

À peine installés, il faut descendre. Calculez. En TGV, de Bordeaux à Angoulême, il faut trente-cinq minutes. Je lis une dizaine de pages de braises, un roman de Sandor Marai, et déjà on annonce l’arrivée à Angoulême.

J’ai oublié de dire que dans le TGV Biarritz Bordeaux, en prévision d’une correspondance austère, nous étions descendus dans le sas de sortie bien avant l’heure. Le spectacle qui s’offre est catastrophique. Une énorme valise bloque une portière. Trois cyclistes qui descendant aussi à Bordeaux préparent leur vélo. La situation est dramatique. Si la valise nous empêche de descendre, si les trois cyclistes insistent pour placer les vélos en travers, il est désormais certain que nous allons manquer la correspondance. Dieu merci, la valise se trouve du mauvais côté, je veux dire du bon côté pour nous et finalement, nous débarquons les premiers, le contrôleur nous a donné le numéro du quai, ce qui nous donner largement le temps de presser le pas vers le TGV pour Lille, la ville où je suis né.

À Angoulême, nous retrouvons la famille, les copains, les amis. À La Rochefoucauld, nous déposons valise et paquetage au Clos des Cèdres, rue de l’Aumônerie. L’hôtesse qui nous accueille, qui nous donne les clés accrochés à un pompon de foire, est accompagnée par un majordome qui porte les valises et la couve des yeux. Nous apprendrons plus tard qu’elle est la comtesse Santucci, elle a un délicieux accent italien. Comment une aristocrate romaine a-t-elle abouti à La Rochefoucauld ?

Nous ne le saurons pas. Mais nous l’avons deviné. La Comtesse Santucci a été très belle, très riche. Elle fut séduite un infâme aventurier, un chevalier d’industrie, qui l’a complétement ruinée malgré les mises en garde du majordome éperdument amoureux d’elle depuis qu’elle l’avait engagé et qui la servait nuit et jour avec une inépuisable fidélité. Ruiné par cet escroc, la comtesse a réuni ses derniers biens et a investi le capital restant dans l’achat d’une propriété en ruines, ce Clos des Cèdres de La Rochefoucauld, elle a passé plusieurs années à pleurer et à la remettre en état, l’a transformé en magnifique maison d’hôtes, avec piscine. Cette maison a gagné en 2016 le prix de la plus belle maison d’hôte. Le majordome la couve des yeux, il est resté fidèle et amoureux éperdu. Ils nous ont serré la main à l’arrivée et fait la bise au départ. Tel est le Clos des Cèdres à La Rochefoucauld.

L’anniversaire est mexicain, avec un groupe de mariachis du Lot. Ils portent l’uniforme, les grands chapeaux, les pantalons à galons dorés. J’offre à mes voisins de voler leur chapeau, vol récompensé par une somme de cinq euros. Personne ne se risque. De mon temps, pour cinq euros, on aurait traversé la Cordillère des Andes.

Le choix de lecture se limite à deux ouvrages : « Cinq leçons sur les controverses économiques »  et un manuel de japonais.

Nous avons dansé et chanté, bu et mangé, célébré le soixantième anniversaire de Rafaël. Le retour fut  sans incident.  

vendredi 8 septembre 2017

une manif mondiale


Je reçois ce texte de Daniel Junqua. Le voici et ma réponse.



Certes, selon les gauchistes d'ADT Quart monde, qui citent (disent-ils) les  chiffres proposés par le Programme des Nations Unies pour le Développement affirement que :
Plus d’un milliard d’êtres humains vivent avec moins d’un dollar par jour.
2,8 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale, vivent avec moins de 2 dollars par jour.
448 millions d’enfants souffrent d’insuffisance pondérale.
876 millions d’adultes sont analphabètes, dont deux-tiers sont des femmes.
Chaque jour, 30 000 enfants de moins de cinq ans meurent de maladies qui auraient pu être évitées
Plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à de l’eau salubre.
20% de la population mondiale détient 90% des richesses


... Mais ça va de mieux en mieux grace à la main invisible du marché qui fait ruisseler les richesses produites sur l'ensemble de la population. Certes, chez nous, avec Macron et les libéraux nous sommes résolument en marche vers plus de richesse et plus d'équité. A part les régimes communistes ou apparentés (minoritaires il faut bien le reconnaître, sauf si l'on compte la Chine...) et les nationalismes (à part le nôtre) et quoi qu'en disent les écolos, il n'y a pas de vrais problèmes dans un monde de plus en plus prospère et redistributif.
Cela n'empêche pas, Maurice, que tu gardes forcément une fibre sociale et démocrate et que tu tiens à conserver le modèle social à la française, aussi je ne peux douter une seconde que tu aies à coeur de soutenir l'appel à la manif du 12 septembre et à la construction d'une alternative de gauche répondant aux défis de notre temps.
Par conséquent ta signature au bas de l'appel qui vient d'être lancé dans ce sens m'a semblé aller de soi.
Merci pour ta contribution à cette démarche constructive. 
 ma réponse: 
Merci de ta proposition. Si la manifestation du 12 septembre prochain est contre la misère de la moitié de la population mondiale, contre la faim des enfants, contre l’analphabétisme, pour l’accès de tous à l’eau potable, je serai bien entendu au premier rang. François Ruffin nous propose de manifester aussi contre les vaccins et contre le voile. Mais il me semblait que la manifestation du 12 est d’abord contre les ordonnances du gouvernement, et que les organisations syndicales les plus représentatives n’y participeront pas. Tu voudras bien préciser les objectifs du 12 septembre avant d’ajouter mon nom.
Concernant ma fibre sociale et démocratique, tu voudras bien entendre, peut-être, que j’ai appris à me méfier des grandes déclarations, des dénonciations boursouflées de l’impérialisme, du capitalisme, dans les discours de la Place Rouge, de La Havane, où ces discours masquaient un mépris et une indifférence totale à l’égard des individus. Des grandes dénonciations du nationalisme, mais le refus de condamner les incendiaires abertzale d’une maison concrète.


jeudi 7 septembre 2017

blanchisserie des crimes


Bakebidea, une plate-forme pour la paix. A contribué au désarmement de l’ETA, en dialoguant avec l’organisation terroriste. Crée maintenant un groupe de travail sur les victimes. Le 9 décembre prochain, une manifestation à Paris sur la question des prisonniers : rapprochement des prisonniers, fin des mesures d’exception, libération des prisonniers malades.



Grande victoire : un groupe de travail sur la question des victimes a été constitué.



Sur la question des prisonniers : un manifeste a été approuvé par la majorité des prisonniers basques qui permettait désormais à un prisonnier individuellement, sans être considéré comme un traître ou un repenti, d’engager des démarches pour sa libération : en demandant pardon aux victimes, en s’engageant à ne plus recourir à la terreur. Des libérations ont eu lieu sur cette base. (voir Aurore Martin).



Bakebidea ne dit rien sur cette évolution et ne considère comme presos dignes de soutien que les éléments les plus radicaux qui refusent de demander pardon, qui refusent de s’engager à ne plus recourir à la terreur. Pourquoi ? Jamais ne sont invités d’anciens etarras qui regrettent les crimes de l’ETA, qui demandent pardon, qui s’engagent à renoncer à la terreur. Pourquoi ?



Bakebidea affirme créer un groupe de travail sur les victimes. Mais dans ses réunions, dans ses manifestations, jamais ne sont invitées les victimes du Pays Basque espagnol, pourtant actifs et bien organisées. Pourquoi ? Jamais ne sont invités les partis, les journalistes, les intellectuels, les élus, qui ont été considérés comme cibles légitimes et qui ne pouvaient pas sortir sans garde du corps. Pourquoi ? Sont présents sur les estrades de Bakebidea les anciens prisonniers libérés qui n’ont jamais demandé pardon à personne et qui paradent avec un grand sourire. Pourquoi ce choix ?



En attendant des réponses à ces questions précises, je persiste à considérer Bakebidea comme une blanchisserie de la terreur, une lessiveuse des crimes, une machine à oublier les assassinats.



Et tous ceux qui participent à ces manifestations comme des idiots utiles.

mercredi 6 septembre 2017

hypermnésie et alzheimer


Hypermnésie ou Alzheimer


 


Le passé resurgit régulièrement comme problème politique. Les Indiens d’Amérique demandent réparation des spoliations par les colonisateurs venus d’Europe.  Les Noirs demandent réparation des dégâts de l’esclavage. La Pologne demande réparation des destructions de l’occupation allemande.

Dans un domaine plus personnel, les victimes d’agressions sexuelles demandent que soit reculé le temps de la prescription, car les dégâts de ces agressions continuent de leur pourrir la vie longtemps après les faits.

Ces souvenirs individuels et collectifs sont d’importants sujets politiques. Ainsi des secteurs d’opinion parlent d’hypermnésie quand on parle des persécutions subies par les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et d’amnésie pour les massacres infligés par les conquêtes coloniales. Les manuels scolaires turcs ne sont guère prolixes sur le génocide arménien. Les descendants des esclaves réclament leur part de manuels scolaires.

Dans ces remous, les historiens défendent leur travail. Sur le nombre de victimes. Sur les responsabilités des uns et des autres. Sur le fait que des Africains, Arabes ou Noirs, ont eux-mêmes participé au commerce des esclaves. Que des conseils juifs dans les ghettos ont parfois facilité l’extermination. Sans parler des lois qui obligent à oublier ou qui obligent à se souvenir. Ainsi l’édit de Nantes interdisait qu’on rappelât  les massacres de la Saint-Barthélemy alors que d’autres lois interdisent qu’on oublie les massacres des Juifs.

Du coup, je ne sais pas si toutes ces situations peuvent se retrouver sous le parapluie d’un paradigme unique concernant la mémoire. Ce que je sais et que je tiens à partager concerne des situations concrètes. L’exemple majeur est celui de l’Allemagne nazie, où les historiens, les pouvoirs publics, les pressions des vainqueurs de 1945, ont forgé une mémoire des atrocités nazies qui rend difficile jusqu’aujourd’hui la renaissance d’un parti proche des idées hitlériennes.

Inversement, l’URSS, la Chine, tous les pays du socialisme, n’ont pas de politique mémorielle, ni monuments aux victimes, ni musée de la terreur stalinienne (avec une exception à Budapest). Staline et Mao conservent leur statut de sauveur et de patriotes. Les travaux des historiens sont entravés, parfois même interdits.

Les résultats de ces politiques contradictoires sont là : en Allemagne, l’émergence d’un parti héritier du nazisme semble malaisée sinon impossible. En Russie, Poutine, un ancien du KGB, peut célébrer sans dégât politique la grandeur d’une ancienne Russie stalinienne.

La question de la mémoire revient avec force à propos des situations de sortie de terreur : l’IRA en Irlande du Nord, l’ETA en Espagne et en France, le FNLC en Corse, les FARC en Colombie. Comment peut-on faire la paix si on se rappelle les atrocités commises ? Comment peut-on faire la paix si on les efface ?

Dans ces dernières situations, il ne s’agit pas seulement de mémoire, mais d’expérience. Les blessures sont fraîches, pas encore cicatrisées. Les survivants des attentats, les familles des victimes, sont vivantes, ils sortent faire des courses se trouvent nez à nez, avec un prisonnier amnistié qui a tué le fils ou le mari. Parfois, au Pays Basque ou en Corse, les sympathisants des anciens terroristes supportent mal la présence des familles de leurs victimes, comme un ancien kapo est gêné par un pyjama rayé, et la pression sociale du quartier s’exerce sur les victimes pour qu’elles déménagent. Le patron du café où se réunissent parfois les anciens combattants demande à la mère d’un fils abattu, s’il vous plaît, pourriez-vous prendre votre café dans un autre établissement, vous vous rendez compte, quand vous rentrez, tout le monde se tait, ça casse l’ambiance. De ces situations-là, aucune loi ne permet de se sortir facilement. En Irlande, en Afrique du Sud, au Pays Basque espagnol, des commissions de réconciliation permettent doucement, difficilement, avec un courage inimaginable, un engagement courageux, de renouer des fils, de relancer un dialogue. La condition pour que ça marche est la confession des crimes, le pardon demandé aux sacrifiés de l’histoire.

Autant la vérité sur les crimes commis permet de surmonter les rancœurs et les douleurs, autant est insupportable est la célébration des crimes, l’héroïsation des assassins, la célébration de leurs forfaits. Comment empêcher les manifestations de joie à la sortie de prison d’un criminel amnistié ? Comment empêcher ces danses de joie dans les cimetières ?  Pour les héritiers des années de plomb qui veulent se transformer en parti politique acceptable, il ne suffit d’amnistier, même si c’est parfois nécessaire, il faut oublier les crimes. Rappeler les crimes leur est insupportable, considéré comme une atteinte au processus de paix. Les anciens bandits corses, les etarras basques, les FARC colombiens, qui veulent se présenter aux élections sont pris dans un étau : ils doivent à la fois célébrer leur combat, le justifier, le glorifier, et en même temps faire oublier la réalité statistique des corps ensanglantés. De même que pour redonner vie au communisme, il faut oublier les millions de mort de la révolution culturelle en Chine, les victimes de Pol Pot, les famines en Ukraine. Dans tous ces cas, comme dans le cas du nazisme, le révisionnisme, c'est à dire la négation des crimes, est nécessaire pour qu’une grande lessive permette la réinsertion des responsables. Entre l’apologie ou l’oubli des crimes commis et la condamnation ou la mémoire des crimes subis, la bataille ne cesse pas.

La réponse n’est pas facile. On pourrait la résumer en une formule : amnistie n’est pas amnésie. On peut libérer un pédophile, on n’est pas obligé de lui fournir un emploi dans une colonie de vacances. On peut libérer un ancien terroriste sans transformer sa prison en École nationale d’administration.

lundi 4 septembre 2017

terrorisme et humiliation


Selon (Cyril Dion, libé 4 septembre 17), le terrorisme se nourrit de l’humiliation.

Le colonialisme, les conquêtes, les massacres, les différentes formes d’humiliation des peuples, telles sont les causes qui provoquent le terrorisme. C’est cet héritage du colonialisme qui explique, selon Cyril  Dion, qu’un jeune musulman loue un camion et fonce dans la foule à Londres ou à Nice pour tuer le plus de gens possible. Ou se promène à Madrid avec des sacs bourrés d’explosifs.  Ou détourne un avion pour tuer trois mille personnes dans les Twin Towers à New York.

La bande à Baader, c’était l’humiliation. L’IRA, c’était l’humiliation des catholiques par l’impérialisme anglais et l’ETA c’était l’humiliation des basques par les impérialismes espagnols et français.  C’est l’humiliation qui a rendu une partie de la population allemande perméable au nazisme, et rend une partie des musulmans perméable à l’idéologie de Daech.

Cette  hypothèse mérite examen.

Parmi les populations humiliées, on se souviendra des Noirs dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, des Juifs anéantis par les nazis, des Arméniens massacrés par Turcs. Liste incomplète. Or dans ces cas et dans beaucoup d’autres, les humiliés n’ont pas eu recours à l’utilisation aveugle d’un terrorisme sans morale et sans limite. Donc l’humiliation ne produit pas toujours le terrorisme. Cyril Dion pourrait répondre : oui, il y a de l’humiliation sans terrorisme, mais pas de terrorisme sans humiliation.

Encore un pas. Les terroristes sont généralement des hommes. Faut-il penser que les femmes sont moins humiliées que les hommes en situation de domination coloniale ? Pourquoi les mouvements féministes, pourtant issus d’humiliation meurtrière, ne recourent pas au terrorisme ?

Encore un pas. Dans tous les cas de terrorisme, les victimes visées sont majoritairement des personnes de la communauté qu’on proclame défendre. Les victimes de l’IRA étaient d’abord des catholiques, les victimes des paramilitaires protestants d’abord des protestants, les victimes de l’ETA d’abord des basques, et les victimes du terrorisme islamiste d’abord des musulmans. Les premières victimes de la terreur palestinienne  sont les Palestiniens. Qu’est-ce donc cette colère d’humiliés qui se retourne d’abord contre les humiliés et pas contre les humiliateurs ?

On peut alors avancer une autre hypothèse : le terrorisme (complétez avec l’adjectif que vous voulez) vise à prendre le pouvoir par les armes sur la communauté dont il est issu. Le terrorisme c’est d’abord le moyen d’accéder au pouvoir par le chemin le plus court : la terreur armée. Le terrorisme permet de contourner le long travail de conquête pacifique, il est plus rapide, plus efficace, demande moins de compétence et d’intelligence.

L’humiliation peut être un facteur qui explique l’acceptation de la terreur par un partie de la population d’où son issus les terroristes. Mais le terrorisme n’est pas issu de l’humiliation. Si c’était le cas, la planète serait partout à feu et à sang.












dimanche 3 septembre 2017

biarritz liverpool


Paris Liverpool août 2017


 


 


Depuis juillet 2017, le trajet Biarritz-Paris prend une heure de moins. Au lieu de déjeuner dans le wagon-bar qui en général nous donne des plats oubliables et souvent n’a plus rien à offrir que des cacahuètes, nous déjeunons avec Sophie dans une brasserie près de l’hôtel. Le soir un très bon moment avec le spectacle du Gymnase : « le gros diamant du Prince Ludwig. Collation après le spectacle, une soupe, n’était-ce pas ? Avec Miren et ses amis. Un ami de Miren, biarrot pur sucre, pense que les défenseurs de la plage Marbella sont un peu à la recherche de l’entre soi. Les vrais enfants du pays ont été chassés de la Grande Plage par les touristes, ils se sont réfugiés à Marbella et maintenant, on veut à nouveau les déranger. Leur disputer leur coin d’océan, le sable où ils sont nés.

Le lendemain, voyez nos deux grands voyageurs, ils en ont la carte, une valise à roulette tenue fermement par la poignée coulissante, un sac en bandoulière, parfois une canne. Ils poursuivent leur voyage vers Liverpool, la gare du Nord, Eurostar, le tunnel sous la Manche. Les inconvénients de ces déplacements sont bien connus. En voyage, le paysage est surprenant, les chaises plus dures, la douche moins bien réglée. Les trottoirs sont encombrés d’une foule inhabituelle. Pour vous dire la vérité, je trouve que les voyageurs sont mal traités. Que pour un voyageur qui mange sa route avec un bâton de pèlerin dans un chemin boisé sentant bon la noisette, où un lapin et une lapine et une famille de lapereaux jouent à cache-cache dans les herbes, dérangés parfois par une biche bondissante, tandis que le soleil de lève et que le paysan offre au cheminot un verre de vin rouge, un tranche de pain qui sort du four et du pâté de campagne, puis le voyageur reprend son sac et son bâton et là on peut dire qu’il est bien traité. Mais en général, la plupart du temps, il n’est pas bien traité. Il doit se plonger dans une forêt de roulettes et de poussettes qui lui mordent les mollets, il suit les pancartes, il est prisonnier de bandeaux qui lui interdisent d’avancer, de reculer, de franchir les limites, qui l’obligent à suivre ces rubans bleutés. Des uniformes lui montrent la direction d’un doigt impératif, d’autres uniformes plantent leurs doigts dans la vitre du guichet pour saisir votre carte d’identité ou votre passeport et aussi votre billet de transport que vous avez imprimé de votre ordinateur après des minutes précieuses de promenades sur la toile, une grande feuille A4, qu’il faut plier quinze fois pour glisser dans le portefeuille, vous vous rappelez le petit rectangle en carton qui se glissait sans effort dans la poche en cuir. Après avoir fait la queue entre les bandeaux, vous réussissez à atteindre le guichet, la Mecque des touristes, où est écrit Douane et Police.  L’uniforme appuie la carte d’identité sur une surface noire et glacée, protégée par un toit opaque, la carte a disparu, les doigts la serrent contre une surface reliée à un fichier inquiétant, puis l’uniforme vous regarde sans sourire, regarde le visage du document qui ne sourit pas non plus, car il est interdit de sourire sur une pièce d’identité, puis regarde votre vrai visage et efface votre sourire par un œil sévère, ne vous dit pas au revoir merci, bon voyage, que le ciel vous accompagne ou bon séjour à Londres, ils ne disent rien, mais on voit bien qu’ils se méfient, qu’ils ne vous font pas confiance et vous vous demandez pourquoi, la canne appuyée sur la valise roulante, mal à l’aise pour répondre au téléphone, parce qu’il faut poser la canne, stopper la valise mobile qui continue d’avancer sur son élan, remplacer les lunettes de vue lointaine par les verres de lecture pour lire qui vous téléphone, reprendre la canne, vous retourner avec irritation pour indiquer aux voyageurs pressés derrière vous qui vous poussent avec leur valise et leur poussette que quand même vous pouvez répondre, il n’y a pas le feu, le train attendra, il attend toujours, et d’accord c’était une publicité, un appel à cotiser pour une organisation humanitaire, mais c’eût pu être une parole angoissée d’un proche accidenté. Vous faites encore dix pas et à nouveau, le billet plié et déplié, le passeport à la main, vous passez sous un portique, les poches vidées de vos objets métalliques rassemblés dans un plat noir, en plastique laminé, tandis que le sac bandoulière et la valise immobilisée comme une tortue sur sa carapace, les roulettes en l’air, glissent vers la sortie du tunnel qu’on annonce régulièrement. Une affichette annonce en images les objets défendus : armes de poing, explosifs, crème à raser. Les différentes prothèses ayant déclenché l’alarme, un uniforme vous parcourt les formes avec un détecteur à métaux.

Dans la salle d’attente, vous déjeunez d’un croissant et d’un café assis sur une banquette en moleskine qui baigne encore du café précédent, recouverte des miettes de viennoiserie du train de 9.58. Une averse crève le toit de l’espace voyageur protégé par une bâche, des flaques d’eau reflètent le ciel gris. Des employés entourent les lacs d’indicateurs jaunes pour prévenir les glissades ; d’autres employés aspirent l’eau avec des serpillières. La file zigzague entre les points d’eau vers l’entrée des wagons de 1 à 10. L’Eurostar, ce n’est pas n’importe quel train, un groupe de jeunes parle à voix basse, on n’entend pas leurs tablettes, ils ne mettent pas les pieds sur les sièges. Je vous jure que c’est vrai.

Les valises ont été rangées, les journaux déployés, les feuilles à garder arrachées, la bouteille d'eau décapsulée, les vestes allongées sur le porte-bagages, nous sommes serrés comme dans un avion locauste et nous entendons un message urgent. D'habitude, on n'écoute pas les messages, qui vous disent le train où vous avez pris place se dirigent vers Saint-Pancras et mettez des étiquettes au bagage, depuis le temps qu'on voyage, on sait tout ça. Mais le message dit autre chose. Il dit que pour des raisons de sécurité, à la suite d'une "intrusion", tous les voyageurs, donc aussi Brigitte et moi, tous les voyageurs doivent prendre leur valise, descendre du train, ne rien laisser à bord, sortir du train, recommencer tout comme si on venait d'arriver, et qui est décrit plus haut, je ne vais pas recommencer, tout se passe une seconde fois, billets contrôlés, passeports aplatis, comme dans ce film avec Bill Murray, Un jour sans fin où chaque jour tout recommence pareil. Tout pareil.  Y compris un coup de téléphone avec arrêt. Sauf le petit déjeuner. Tout ça prend une heure et demi, une heure et demi de retard, on va avoir une sacrée compensation.

À partir de là, tout se déglingue. Arrivée à Saint-Pancras avec une heure et demie de retard, nous allons acheter des billets pour Liverpool à la gare de Euston. Environ un kilomètre de marche, le trottoir est en plus mauvais état que les trottoirs de Biarritz, mais Londres, c’est une capitale tout de même. Les roulettes se coincent, les poussettes dérapent, les chaussures trébuchent. Une demi-heure, le soleil brille. Nous demandons notre chemin vers la gare de Euston, les gens sont aimables et nous montrent la direction. Nous devions être à Liverpool à 19 heures pour un repas chinois. Le temps est mesuré. Nous ne pourrons pas manger le fish and chips dont je rêvais. Nous reprenons une place dans la queue pour les guichets sur un chemin marqué par des rubans bleus. Vingt minutes d'attente, canne et roulettes. L’employée du guichet nous explique que les trains de Londres à Liverpool et retour, selon l'horaire, selon qu’il est direct ou avec changement, selon la compagnie, le tarif varie de 80 livres à 600 livres. Vous avez bien lu. De 1 à 8. Donc évidemment nous prenons les billets à 80 livres, à ce prix, ce n'est pas direct, il faut changer à Statford. Le train part dans une demi-heure, sans déjeuner, à cause de l'intrusion Gare du Nord, sans doute un clandestin qui voulait se rendre en Angleterre. À lui tout seul, il a fait descendre près de mille personnes du train. On a les billets, on prend le train,  Mille personnes qu'il a dérangées ce jour-là. Malgré la perturbation, il me reste suffisamment de cœur pour penser à ce clandestin qui a dû maintenant quitter l’Eurostar pour le bitume de la Gare du Nord. Je ne vérifie pas la liste des gares, je regarde juste l’heure, il faut descendre à Statford. On prend le train, le train démarre, et nous descendons à Stegford parce que Statford n’est pas sur la liste des arrêts. On descend à ce qui est phonétiquement le plus proche, ce qui est d’une absurdité sans nom, et témoigne d’une certaine nervosité collective du groupe ensemble embarqué,  elle et moi, qui dans l’adversité tient bon, se tape sur l’épaule, mais comment peut-on descendre à une gare phonétique pour changer de train ? Stegford ou Statford. Pour aller à Vichy, descendez à Clichy. On se retrouve à Stegford, nous étions les seuls à descendre, Stegford est la petit gare d’un village desservi trois par semaine par une navette et c’est tombé sur nous. Personne ne descend avec nous qui aurait pu nous renseigner, pas une boutique à l’horizon pour une boisson et un biscuit, je rappelle au lecteur négligent que nous n’avions pas eu le temps de déjeuner en garde de Euston. Le quai est désert. Une rampe d’escalier aussi haute que les pyramides Incas est la seule issue. Brigitte monte les marches, je reste en bas avec les valises à roulettes immobiles. Là-haut, Brigitte discute avec un employé aimable, excité comme un pou, une telle aventure, une histoire qu’il pourra raconter le soir au pub, pendant des semaines, un couple de voyageurs égarés, affamés, à qui il a donné un verre d’eau, qui ont confondu Statford et Stegford. J’ai cherché sur mon ordinateur et j’ai trouvé un train pour Birmingham où ils devraient changer pour Liverpool et changer encore une fois à Statford. Ils ne seraient pas à Liverpool avant neuf heures du soir et pour le resto chinois, c’était râpé. Le monsieur disait à la dame, on s’est trompé de train et on aurait pu lire le sous-texte de ses paroles que la dame aurait pu mieux vérifier, ou bien qu’ils n’auraient pas dû descendre à Stegford et on pouvait entendre, tu t’es énervée et du coup on est descendu où il ne fallait pas, mais le verre d’eau a tout calmé et on sentait malgré tout, malgré un énervement passager (c’est le mot juste), malgré une irritation compréhensible, que entre ces deux-là, c’était du solide.  À Birmingham, le train pour Statford ne nous a pas permis d’acheter un paquet de biscuits, nous avons demandé au contrôleur si le train allait bien à Statford, cette fois, la prudence n’était pas excessive, il a regardé la liste et nous a d’abord dit non, et j’ai cru alors que ma compagne de voyage allait s’effondrer, puis il a vérifié encore une fois et il a dit, oui, effectivement. Vous changez à Statford, il faut prendre l’ascenseur et monter sur le quai numéro un, vous avez quinze minutes, vous n’aurez pas le temps d’acheter une bouteille d’eau et un paquet de biscuit, mais à neuf heures, nous dit le contrôleur à qui on a rien demandé, la plupart des hôtels servent une collation. Une petite gare de village, avec nos roulettes et la canne, et en reprenant un train pour Birmingham, on finit par arriver à LiverpooL. On a trouvé des places assises.

Comme nous sommes arrivés trop tard pour le restaurant chinois, nous avons mangé une soupe à l’hôtel, tous les hôtels servent des soupes à réchauffer. Le chauffeur de taxi était indien, le personnel d’accueil à Ibis Albert dock (Prononcez Aibis), était polonais, espagnol et lithuanien. Ils parlent tous anglais avec un accent d’Europe centrale ou italien ou espagnol d’Amérique latine, où est passé l’accent liverpudlien que l’on avait tant de plaisir à ne pas comprendre.

Dimanche 27 août. Petit déjeuner anglais, œufs contaminés et tranches de lard frit. La famille et les amis se dirigent à pied vers le port où nous attend une péniche de croisière qui va nous emporter pour une excursion sur la Mersey et le canal de Manchester. Le canal est bordé de friches industrielles, de tours de stockage de gaz et pétrole, coupé par des ponts de brique, de pierre, de fer, ponts fixes, ponts tournants, pont levis. Pendant six heures, une dame vivante, une commentatrice en chair et en os, pas une bande son, mais une voix convaincue et entraînante, nous donne des informations sur les friches, les ponts, les aqueducs, les viaducs, les bandes de revêtement des piliers de béton, des ponts de métal qui ont rouillé à force de ne pas tourner. Le commentaire ne s’arrête que lorsque la péniche stationne dans une écluse, une écluse gigantesque qui met un temps fou à se vider et à se remplir et pendant que l’eau s’en va et qu’elle vient, pendant qu’elle bouillonne et se calme, la commentatrice se tait et on perçoit parmi les excursionnistes une extase collective qui célèbre le silence. Au bar, il y a du stew.

Un autobus nous ramène à l’hôtel et nous reprenons un taxi pour un établissement nommé La Casa. Hope Street. La rue de l’espoir. Cette rue  relie deux immenses cathédrales, la plus ancienne, la protestante, la catholique plus moderne, chacune rivalisant en taille et en ampleur, chacune s’élevant toujours plus prêt de toi seigneur. Liverpool a hérité l’affrontement du 19ème siècle entre l’immigration catholique et la majorité protestante qui craignait le « grand remplacement ». Les partis politiques ont porté le nom de protestant ou d’unioniste, le parti travailliste était surtout catholique, les associations les clubs sportifs, les équipes de foot sont ainsi partagés. Il ne reste plus de cet affrontement que les deux cathédrales qui se font face, rue de l’Espoir.

La Casa est un club ouvrier, les personnages photographiés sur sur les murs sont des salariés, des dockers, des servantes, des métallos. L’orchestre joue des chansons latines, des chansons de combat, de Victor Jarra notamment, le chanteur chilien assassiné par les sbires de Pinochet. Tony réunit ici sa famille et ses amis, il fête ses 80 ans et fait un discours tout entier consacré à une argumentation serrée, passionnée, contre le Brexit. À partir des expériences de sa vie, la Seconde guerre mondiale, les premières images des corps empilés dans les camps nazis, la libération, les soldats américains qui jetaient des friandises dans la cour des écoles avant d’aller mourir sur les plages de Normandie. Il a été permanent syndicaliste, parcourant le monde pour organiser les marins, il a été membre du Parti communiste de Grande-Bretagne et il rappelle sa colère quand le journal communiste, le Morning Star, publiait sur huit colonnes, en gras, un appel à voter non au referendum d’adhésion à l’Europe « pour la grandeur de l’Angleterre ». Dès 1972, pourtant membre du Parti, il a voté oui à l’Europe. La sortie de l’Europe est un véritable crève-cœur et il demande à l’assistance de mener campagne partout où ils peuvent pour retrouver le chemin de l’Union européenne.

J’écoute le discours devant un verre de vin rouge et je pense la colère au ventre au front uni qui a salué la victoire du repli britannique, depuis les lepénistes jusqu’aux insoumis. J’écoute Tony et je me dis que le même combat nous rassemble partout, contre les replis identitaires lourds de menaces guerrières et le combat pour l’organisation de tous pour faire humanité. Happy Europe to you, Tony.

Après les agapes et les discours, on se retrouve au petit déjeuner au musée Walker. À nouveau, nous discutons de l’Europe, du changement de position du parti travailliste qui rompt avec l’ambiguïté et veut faire des prochaines élections une nouvelle étape vers la réintégration. La France rancie, de droite et de gauche, va crier d’une seule voix à la trahison, car ils savent mieux ce qu’est le peuple anglais que le parti travailliste, que l’ensemble des syndicats. Tous ceux qui veulent remplacer Macron par Maduro ou par Orban, et comme ces deux dirigeants modèles et sources d’inspiration, ils voudraient dissoudre l’Assemblée nationale et la remplacer par le vrai peuple.

L’exposition du musée Walker s’intitule « Coming out » et célèbre les cinquante ans de dépénalisation de l’homosexualité.  À partir de 1967, en Angleterre, ce n’est plus un crime d’avoir des relations sexuelles entre adultes du même sexe.

L’après-midi, visite du musée de l’émigration et le musée de l’esclavage. Le musée de l’émigration est un modèle de présentation claire, pédagogique, argumenté, historique. Les raisons de l’émigration, la répression, la misère, la recherche d’un autre avenir. La place de l’émigration dans la richesse du port de Liverpool, et la richesse de l’immigration pour les pays d’accueil.

Le musée de l’esclave est en revanche une installation foutraque qui vise la compassion et la colère, mais pas la réflexion. Mise en scène par des militants bien intentionnés, mais sans souci pédagogique ni politique. Quelle fut la place de l’esclavage dans l’économie des sociétés esclavagistes, les facteurs qui ont conduit à l’abolition, facteurs économiques, politiques, religieux ? Rien n’est expliqué.

Bank Holiday, c’est trois jours fériés samedi, dimanche, lundi. Trois jours de musique à Liverpool sur Albert Dock. Les anciens docks en perdition sont devenus des musées, des commerces, des restaurants. Pendant les trois jours de fête, tout le long des quais, des groupes pop, des chœurs de marins perchés dans les vergues, L’équipe historiquement catholique d’Everton a battu Arsenal 4 à 0. Pendant ces trois jours de fêtes, la foule déambule le long des quais, et pendant ces trois jours, nous n’avons vu aucun uniforme, sauf les gardiens de musée. Pas de policier, pas de mesure de sécurité particulière. Sont-ils inconscients ces Britanniques ou le sommes-nous trop ?

Dans la foule, d’un seul coup, une famille musulmane intégriste. La femme est cachée par une burqa intégrale, deux petites filles entre cinq et huit ans portent un voile serré et l’homme se promène en manche de chemise. Le spectacle m’a fait peur, toutes ces vies emprisonnées et fières de l’être.

Mardi 29. Visite de Port Sunlight, la cité modèle de Lever, le fabricant de savon. Rappelez-vous Sunlight. Pas du tout les phalanstères d’Europe du Nord, pas des maisons uniformes, mais des logements superbes, au style divers, correspondant aux différentes périodes de l’histoire anglaise, l’Angleterre du Moyen Âge, l’Angleterre élisabéthaine, les styles plus modernes. Le tout dispersé dans d’immenses espaces verts. Aujourd’hui, ce serait une résidence pour riches, pour très riches, avec des gardes armés à l’entrée. Mais il n’y a pas d’entrée. La cité est ouverte.

Au centre de la cité modèle, un grand musée, le musée de Lady Lever, où ont rassemblées les richesses accumulées par la famille Lever qui avait beaucoup d’argent, énormément d’argent. Ils achetaient des tableaux de toutes les périodes, Millais, Turner, Constable, des sculptures, des chinoiseries, de la porcelaine Wedgwood, des meubles anciens.

L’après-midi,  visite de la galerie Tate Liverpool, une exposition sur l’Allemagne 1919-1933, avec des photos de Sander et surtout cent cinquante œuvres majeures d’Otto Dix, qui décrivent une société disloquée mieux que beaucoup de livres d’histoire.

Nous sommes rebelles et insoumis. Partout, nous luttons. Dans les musées que nous avons visité, partout où il y avait une notice « do not touch », nous avons touché. À l’hôtel, pour protester contre l’absence de marmelade, à la question combien de petits déjeuners, j’ai répondu trois alors que nous en avons pris quatre. L’insoumission n’est pas une politique, c’est un état d’esprit. Les mains nues, sans argent, sans alliés, quand je vois une notice ne pas toucher, je touche.

Chien écrasé craint les chemins de fer. Depuis Liverpool, mille fois nous avons demandé si le train s’arrêtait bien à Statford. Puis nous avons demandé le chemin de Euston à St Pancras, traîné les valises à roulette sur un trottoir délabré, autant qu’à Biarritz, mais c’est la capitale quand même. Sur ce trottoir délabré, malaisé, poussiéreux, des milliers de malheureux tirent leur valise à roulette si pratiques sur une surface lisse et bien entretenue, mais ici les roulettes s’enfoncent dans la boue, patinent sur les cailloux, freinent dans la poussière. Par milliers, entre les deux gares, les voyageurs traînent leur valise en regardant avec envie les jeunes campeurs sac à dos et brodequins de marche qui traversent la ville sans roulette.

Retour en France, les taxis sont chers, les restaurants bruyants, les conversations inquiètes. Nos amis se moquent de nos inquiétudes politiques pour eux dérisoires. Vous ne vous rendez pas compte que nous allons à la catastrophe, que l’humanité est condamnée par le réchauffement climatique? La catastrophe annoncée doit-elle nous empêcher d’affronter la vie quotidienne ?