mardi 26 mars 2019

négociation par l'émeute


            Au Mans, les forains mécontents du déplacement de leur fête, ont manifesté, saccagé le mobilier urbain et envahi la mairie. Le maire, Stéphane Le Foll dénonce cette violence. Le responsable de ces forains déclare que la violence est la seule manière « de se faire entendre ». S’il n’y a pas violence, les pouvoirs publics n’écoutent pas, n’entendent pas. Il donne en exemple les gilets jaunes. Des élus par les citoyens du Mans ont décidé qu’il était raisonnable d’installer la fête foraine à la périphérie plutôt qu’au centre et ils vont casser et incendier jusqu’à ce qu’on les écoute.



            Il ne faut pas trop le dire, dans aucune réunion, parce que dire ces choses, c’est attaquer les gilets jaunes qui sont intouchables. Mais quand même, en chuchotant, entre amis, autour d’une table de café, est-ce qu’on peut dire que si les gilets jaunes n’avaient pas cassé, ils n’auraient jamais obtenu ce chèque de dix milliards ?



            D’autres oreilles ont entendu le message. Les forains de la ville du Mans par exemple.



            Quand la violence va jusqu’à la lutte armée, les mêmes arguments s’avancent. Des nationalistes modérés en Irlande du Nord ou au Pays Basque, en Corse ou en Bretagne, n’ont pas approuvé le terrorisme nationaliste. Mais nombre d’entre eux sont convaincus, malgré tout, que leurs revendications n’auraient pas avancé sans le recours à la lutte armée. Voyez, disent-ils, en citant l’Ecosse, le Québec et la Catalogne. Dans ces trois régions, le mouvement indépendantiste a épuisé tout l’éventail des actions pacifiques et leurs revendications patinent. Quant aux éléments les plus radicaux, ils rêvent toujours Grand soir, où des groupes d’hommes déterminés, au Vietnam, à Cuba, en Algérie, en Chine et en Russie ont pu changer le cours du monde.



            Au Pays Basque, nous avons l’habitude de ces manifestations violentes à basse intensité. Une agence immobilière incendiée, ou une résidence secondaire, des manifestations jamais déclarées et la dénonciation de l’état policier dès qu’un militant est pris la main avec un cocktail Molotov.



           

Dans l’Irlande rurale du 19ème siècle, quand le loyer des fermes devenait insupportable, des groupes d’hommes au visage noircis incendiaient les meules, mutilaient le bétail, dans les cas extrêmes assassinaient l’intendant. Quand le niveau des exactions montait trop haut, les loyers baissaient. C’est ce que l’historien Eric Hobsbawm  nommait « négociations collectives par l’émeute ».



            Il se passa du temps avant que s’installent des structures de négociations et de compromis. Syndicats, coopératives, associations culturelles, partis travaillistes. Sous nos yeux inquiets, il semble que l’histoire remonte le temps, que revient l’époque de la négociation collective par l’émeute. Des syndicats puissants obtenaient le droit de vote, la limitation du temps de travail, les congés payés, la sécurité sociale. Ils furent capables de créer un terrain commun, un intérêt partagé.



            Il nous faudra reconstruire ces structures de négociations. Il faudra nous souvenir que les gens de pouvoir préfèrent les briseurs de machines et les colères sans issue que des salariés intelligents, éduqués, capables de parler d’égal à égal avec leurs patrons.

           

Battisti avoue


Cesare Battisti a reconnu être coupable des quatre morts que la justice italienne lui imputait. Il avait été défendu en France par des intellectuels de gauche, notamment Fred Vargas qui juraient tous son innocence. Il avait été défendu par Michel Tubiana, le transformateur de la Ligue des Droits de l’homme en blanchisserie des assassins, notamment basques. Michel Tubiana a déclaré qu’il ne regrettait pas son soutien. Il a oublié le nom des quatre victimes de Cesare Battisti.



            Soyons justes. Michel Tubiana ne défend pas n’importe quels assassins. Il ne défend pas les djihadistes musulmans, ni les auteurs du génocide rwandais. Il ne défend que les assassins basques et irlandais, tous blancs et chrétiens.

lundi 25 mars 2019

tous les morts


Imaginons que la police, pour empêcher les manifestations de gilets jaunes, ait bloqué des ronds-points dans toute la France. Résultat de ce blocage : dix morts. Vous entendez d’ici Mélenchon, ATTAC, et les autres ?

 

Mais là rien. Car les responsables de ces morts sont des gilets jaunes. Les morts n’avaient-ils donc pas de famille ? N’ont-ils pas laissé de veuves, des veufs et des orphelins ?  Des parents en larmes, des petits-enfants qui réclament leurs grands-parents, des amis qui se recueillent ? Les morts dus aux blocages étaient-ils des êtres humains, de quelle couleur était leur sang ?  Quels souvenirs peuplaient leur cervelle répandue sur la chaussée ?

 

Une manifestante a été bousculée. Enquête, vidéos, manifestations, plaintes. C’est bien. Toutes ces réactions prouvent que nous sommes dans un état de droit.

 

Pour les morts des ronds-points, pas d’enquête. Les responsables de ces morts n’ont pas d’identité, il s’agit d’un délit de fuite. Ils ne sont responsables de rien.  Cette absence de réaction indique la société dont ils rêvent. Une société dont le droit est absent. Une société  sans juges, sans avocats, sans droit.

jeudi 21 mars 2019

discussion avec un sympathisant des gilets jaunes


Remi Hess J'ai un parcours proche du tien, sauf qu'adhérent à une autre syndicat que le tien, lorsque j'étais professeur certifié, je n'ai jamais eu conscience d'être mal payé. Ayant travaillé en usine pour payer mes études, j'avais l'impression d'être très, très riche, quand j'ai reçu mon premier salaire de professeur certifié ! Aujourd'hui, en tant que retraité de l'université ayant travaillé 50 ans, (de 17 à 67 ans), j'ai une retraite qui m'apparait invraisemblable... Ma pension aujourd'hui dépasse le dernier salaire de ma fin de carrière ! C'est pour cela que je me sens solidaire des personnes qui m'entourent à la campagne et qui n'ont même pas les moyens d'avoir une voiture, qui ne peuvent pas voir leur enfants établis à quinze kms, parce qu'eux-mêmes n'ont pas de voiture... Ma vie quotidienne est une actualisation permanente de la dialectique "centre et périphérie" que j'ai décrite dans mon livre de 1978 sur ce thème et qui s'actualise dans le mouvement des gilets jaunes ! A 7 h 30, j'ai pris le café hier avec un femme retraitée depuis deux ans et qui me dit : "Je suis déprimée. Je ne peux pas quitter Dormans... Je ne peux rien faire ! Je cherche des ménages..."... Moi, on vient de me proposer de prendre la présidence du Collège coopératif de Paris ! Je suis des cours de langue à l'université de Reims. Je danse le tango ici et là. Je fais mon jardin... J'ai à écrire dix articles ou livres qui m'ont été commandés... Cette femme est enfermée dans le "rien à faire", ; moi, je décide le matin si je m'investis dans tel moment ou dans tel autre ! Un prochain président devra mettre l'éducation comme projet de société, non pour former de acteurs au système de production, mais pour aider chaque citoyen à se former, à se donner une forme, à se créer des moments qui donnent sens à sa vie ! L'éducation tout au long de la vie était écrite dans le programme du candidat Macron : où est-elle ? Sur les rond-points, davantage que dans le grand débat probablement. Malheureusement, à Dormans, nous n'avons pas de rond-point ! Cette femme que j'ai rencontrée hier n'a même pas cela pour donner sens à sa vie !

 

J’avoue ne pas bien comprendre. Au lieu de gémir avec ceux qui ont de réelles difficultés, tu ne peux pas élaborer certaines solutions ? La personne qui ne peut pas aller voir ses enfants qui vivent à quinze kilomètres, tu pourrais lui proposer de la transporter une ou deux fois par mois, par exemple. La femme qui cherche des ménages, propose lui une ou deux heures de ménage par semaine puisque ta retraite te le permet. La multiplication de gestes solidaires ne révolutionne pas la société, mais elle la transforme. Tu veux d’autres exemples ? À la Goutte d'Or, les familles voyaient les enfants mourir de consommations de drogues frelatées. Puis, elles ont entrepris des démarches pour installer EGO, (espoir Goutte d’Or), une démarche de diminution des risques, qui a réduit les morts, a accompagné les vivants vers des centres de traitement. Financés par le système capitaliste. Pendant que dans les pays du socialisme réel, on emprisonnait les consommateurs de drogue. Pendant que les révolutionnaires manifestaient contre l’embourgeoisement de la Goutte d'Or. Ils criaient que nous voulions simplement remettre les toxicomanes sur le marché du travail.

L’éducation comme projet de société ? C’était Vincennes. Avec ces milliers de salariés qui voulaient changer de vie, accéder à d’autres métiers, à d’autres activités. En entretenant une agitation permanente, en faisant grève matin midi et soir (tout en étant payés, bien entendu), les extrêmes de gauche ont fini par chasser cette population. Pour tous ces gens, Vincennes était porteur d’espoir. Créatrice de nouveaux projets de vie. Des chauffeurs de poids lourd se sont retrouvés agrégés d’histoire. Des exclus de toutes les filières ont soutenu une thèse d’état. Mais comme tu dis, il ne fallait pas former des « acteurs au système de production ». Sauf que toi et moi, on était déjà des acteurs au système de production. Pour nous ça allait. Pas pour les autres.

Les extrêmes de gauche, bolchevick, castristes, chavistes, ont saccagé les espoirs et les rêves. Ils ont aussi saccagé les solutions modestes qui aident les gens à mieux vivre. Il serait temps qu’ils fassent le bilan.

 

ascenseur social


Quand j’étais prof de fac, je pouvais vivre paisiblement et pas trop inconfortablement en recevant un salaire qui me situait dans la tranche des dix pour cent les mieux payés de mon pays. Peut-être même les cinq pour cent. Peut-être même les trois pour cents. Chaque fois que je pensais à mon ascension sociale, je me répétais la tranche où j’étais. Je me rappelle quand j’ai commencé mon ascension par un poste de professeur certifié dans un lycée de province. Dans l’Oise, qui n’est pas l’un des départements les plus prestigieux. Mon syndicat d’alors, le SNES, me répétait que j’occupais une fonction parmi les plus mal payées de toutes les fonctions de tous les métiers de France et ces déclarations ne me mettaient pas en colère (une colère qui est le moteur de l’action syndicale), mais au contraire me plongeaient dans la dépression. Cinq années d’études pour aboutir dans un département assez sombre à un poste qui était parmi les plus mal payés de tous les emplois. Mon syndicat me lançait dans son bulletin, dans ses discours, dans ses comparaisons, des exemples qui m’enfonçaient chaque jour davantage. Un policier débutant était mieux payé que moi. Un tourneur gagnait plus que moi, avec juste un CAP. Personne ne gagnait moins que moi, ou même pareil et ça me plongeait dans une dépression dont je ne pouvais me sortir que par les vacances et ces vacances m’enfonçaient encore plus. Car non seulement j’étais mal payé, dans la tranche des cinq pour cent les plus mal payés, mais en plus, je ne méritais pas le peu que j’étais payé, puisque la plupart du temps j’étais en vacances, donc je ne faisais rien. J’avais beau répondre que les cours, ça se préparait,  je savais bien que je ne passais pas toutes les vacances à préparer la rentrée, à travailler, que j’avais honte de ces vacances de prof débutant mal payé et qui ne méritait même pas son salaire, qui regardait avec envie les vacanciers de juillet rentrer dans leur atelier ou leur bureau, tous ceux qui non seulement étaient mieux payés que moi, mais qui tous méritaient leur salaire, avec trois ou quatre semaines de congés payés bien mérités car ils étaient très fatigués par le travail à la chaîne ou au fond de la mine, alors que moi, je m’amusais quelques heures par semaine avec des enfants joyeux et au bout de quelques semaines, crac, les premières vacances, la Toussaint, je crois. Vous êtes déjà en vacances ? Mais vous venez tout juste de rentrer. Et quand je disais que je travaillais dix-huit heures par semaine à des gens mieux payés que moi, mais qui travaillaient quarante-huit heures par semaine et n’avaient que trois semaines de congés payés, même s’ils gagnaient plus que moi, même le poinçonneur du métro gagnait plus qu’un prof débutant, mon bulletin syndical me le répétait toutes les semaines, dans l’édito du bulletin, dans les graphiques à l’intérieur, sans compter les comparaisons internationales qui là creusaient davantage encore le trou dans lequel j’étouffais d’humiliation, malgré tout ça, je comprenais le regard d’envie que me portaient tous ces gens mieux payés que moi, salaire de misère, mais en deux jours, votre semaine est terminée. Moi, c’est soixante-dix heures par semaine me disait mon boucher. Et ma femme de ménage aurait volontiers échangé son sort contre le mien, elle qui me voyait lire des livres pendant qu’elle cirait le parquet. Il fait ses dix-huit heures, et ensuite il a tout son temps pour lire. C’est la belle vie.



Vous imaginez donc le bonheur que ce fut quand j’accédais au rang de prof de fac. Non seulement je pénétrais dans la tranche des deux pour cent les mieux payés, peut-être même le un pour cent, et je sais bien que ce passage des trois pour cent le plus mal payés au un pour cent le mieux payé, même si je m’en défends, même si je ne le dis pas, je sais bien que ça me procure de grandes satisfactions. Que des fois, je lâche la somme qui clôt mon bulletin de salaire et que je provoque envie ou admiration, je ne boude pas le plaisir qui monte. Sans compter que les vacances des profs de fac ne sont plus des vacances, mais des périodes de recherches, d’écriture, de séminaires, de voyages d’études, que pas une seule minute un prof de fac n’est en vacances, car tout le temps ça turbine, ça cherche de nouvelles idées, et en lisant le journal à la terrasse d’un café, il regarde avec une certaine condescendance les gens autour de lui qui lisent le même journal, mais la différence, c’est que lui, prof de fac, lire un journal, souligner un passage, découper un article, même regarder une dame qui passe sur le trottoir court vêtue, ça lui donne des idées sur le monde qu’il va intégrer à son prochain article ou dans son prochain livre, car le monde entier est un laboratoire de recherches quand on est prof de fac, sinon, on n’est pas prof de fac. Pour un prof de fac ; les vacances c’est terminé. C’est même parce qu’il ne prend jamais de vacances qu’il se situe dans la tranche des un pour cent.

mardi 19 mars 2019

pinker et rosling


Le temps des menaces. La montée des néo-fascistes. La propagation des haines ethniques. Massacre des Juifs, massacre des musulmans. Les glaciers fondent. Les abeilles disparaissent. Devant l’ampleur des dangers, Dieu a démissionné et demande à ses fidèles de ne plus croire en lui. Il était capable de faire marcher Jésus sur un lac et de guérir ici et là à la grotte de Lourdes (encore qu’aucun manchot n’a jamais récupéré un bras), mais trop c’est trop.

Du coup, nous sommes livrés à nous-mêmes. Nous ne croyons plus que les prophètes du malheur. Après nous le déluge. Etourdissons-nous de musique, d’alcool, de plaisirs. Mais la   majorité de nos semblables refuse de baisser les bras. Ils posent des rails pour que nous puissions nous déplacer, dressent des poteaux pour que les flux circulent, impriment des feuilles, plantent des graines et colorent les joues.

C’est-à-dire que dans la pratique, nous agissons comme si le pire n’était pas certain. Pour nous aider, allons voir du côté des penseurs qui rament à contrecourant du pessimisme ambiant. Steven Pinker ‘La part d’ange en nous) et plus récemment Hans Rosling Factfulness, Flammarion). Hans Rosling constate le pessimisme généralisé. Voici comment Laurent Joffrin résume sa pensée : « l’humanité a vécu des dizaines de milliers d’années à l’état de chasseur-cueilleur, toujours menacée par les bêtes fauves, les accidents naturels, la faim, la soif ou l’attaque d’autres groupes humains…elle tend par un mécanisme de survie intégré dans son patrimoine génétique, à exagérer systématiquement les dangers qui la menacent ». (libération, 13 mars 2019)

Les raisons avancées de ce pessimisme sont discutables. Mais le pessimisme est bien réel. Interrogés sur l’état du monde et son avenir, les humains noircissent systématiquement le tableau. Deux exemples. Quand on demande de classer les pays selon leur degré de richesse, la plupart des réponses séparent le monde en une minorité riche au Nord et une majorité misérable au Sud. Or la grande majorité de l’humanité, en Asie notamment est sortie de la misère. Résultat du développement de pays comme la Chine, l’Inde ou certains pays d’Afrique. Deuxième exemple : les Occidentaux classent le terrorisme en première place des dangers qui les menacent. En fait, moins de 1% de pertes humaines dues au terrorisme sont enregistrées dans les pays du nord. Autrement dit, les terroristes frappent à 99 % les populations pauvres, alors qu’on les présente comme le bras armé d’une revanche des pauvres contre les riches. Comme Steven Pinker, Hans Rosling estime que l’humanité va mieux et qu’elle ira encore mieux dans l’avenir.

Je suis convaincu, mais je n’arrive pas à me débarrasser des définitions données par Billy Wilder du pessimisme et de l’optimisme. Parlant des Juifs allemands, il disait que les pessimistes se sont retrouvés à Hollywood et les optimistes à Auschwitz.

dimanche 17 mars 2019

après les champs

moi
Après les champs 17 mars


Les manifestants pour le climat étaient 45000 à Paris  Ils n'obtiendront rien parce qu'ils n'ont rien cassé, rien pillé, Ni agressé personne. Voici où nous en sommes et ce n'est pas glorieux. 

Nous sommes dans une espèce de folie collective avec une grande résignation. Hier samedi 16 mars, j'étais à Bordeaux. Place du  Parlement. A la terrasse. À prendre l'apéro. Une manif de gilets jaunes, suivis par quelques militants de la CGT, suivis par une escouade de policiers. À la terrasse, les conversations continuent, à peine si les regards se détournent. Nous sommes samedi, et comme tous les samedis. Tout est pareil, sauf que les trams ne roulent pas. Nous sommes samedi et comme tous les samedis, le ministre de l'intérieur et le premier ministre viennent constater les dégâts. Constater. Puis nous aurons un discours et peut-être quelques milliards de plus pour les retraités en bas de l'échelle ou pour les mères célibataires.

Voilà où nous en sommes. Un gvt qui négocie avec un millier de voyous et une société inerte. J'ai connu des sociétés où une avant-garde déterminée décidait de l'ordre du jour. C'était plus grave. Ils tuaient, ils ne contentaient pas de piller et de brûler. Il y avait mort d'hommes. Pendant deux générations, au pays basque espagnol et en Irlande du nord, la politique était structurée autour des actions terroristes. Plus rien d'autre ne comptait, plus rien d'autre n'était audible. Il y avait ceux qui soutenaient les terroristes, ceux qui soutenaient la police et l'armée, et une autre partie terrorisée ou résignée. Jusqu'au jour où la société s'est levée à manifesté et à crié basta. Suffit. D'énormes déferlements de foule qui criaient ça suffit. Privés de soutien, les groupes de bandits étaient asphyxiés. Ils sont arrêté de tuer, ils ont enterré leurs armes et ont même demandé pardon. 

Il n'y a pas de morts. Mais ce qui est en danger, c'est tout simplement la démocratie, la possibilité de vivre ensemble. Tout le monde va apprendre la leçon. Vous n'êtes pas contents? Une voiture qui brûle, une vitrine pillée et vous recevrez un chèque. 

L'issue? Pour le moment, le face à face est un gouvernement qui intervient pour rétablir l'ordre, la police, des procès. Et des gilets jaunes dépassés par les démons qu'ils ont réveillés. Et des hommes politiques qui les soutiennent et les encouragent. 

Un jour, des civils, des citoyens, des commerçants ou des mères de famille, un enseignant ou un médecin, un parti politique, diront , on n'en peut plus. Assez. Demain, dimanche, nous nous réunirons par centaines de milliers pour dire assez, basta, ça suffit. Demain peut-être. Aujourd'hui le face à face continue. Les sociétés basques et irlandaises sont désormais des sociétés où la politique à repris ses droits. Elles nous observent et regardent leur passé avec effarement. 


vendredi 15 mars 2019

ce n'est qu'un début


Là c’est du sérieux.



14 mars 2019. Laetitia Avia, députée La République en Marche et porte-parole de ce mouvement assiste à une réunion à Biarritz. Une cinquantaine de personnes dans la salle. Le référent Loic Corrégé est là. Vincent Bru, député Modem, est là. Des questions sur l’organisation du mouvement. Sur les alliances pour les élections européennes.



J’interviens sur deux points. Le premier est connu, familier, répétitif. En résumé : Edouard Philippe rencontre Pedro Lopez à Madrid, en présence des victimes de l’ETA. Emmanuel Macron rencontre les élus de Corse en présence de la veuve du préfet Erignac. A Bayonne, Jean-René Etchegaray, Max Brisson, Vincent Bru, député de la majorité présidentielle, inaugurent une sculpture (une énorme hache, symbole de l’ETA), entouré par les assassins d’ETA. Avec l’appui de La République en Marche 64.



Une poignée de manifestants plus tard, Vincent Bru déclare à sa barrette qu’il a fait une « belle connerie » en assistant à l’inauguration de la hache. Encore un effort : le référent sous pression renonce à appuyer une nouvelle manifestation des Artisans de la paix, blanchisseurs des crimes d’ETA. D’autres personnes n’étaient pas d’accord et ont mené une campagne silencieuse contre les blanchisseurs de terreur.



Voilà ce que je dis. Puis Xavier Larramendy, qui était responsable de la « question basque » pour La République en Marche mais ne l’est plus, grâce aux manifestants contre la statue de la honte, prend la parole en commençant par ces mots, puissants « je suis basque ». Et il explique qu’il n’y pas de victimes d’ETA au Pays Basque français, jusque quelques gendarmes qui ne sont pas des victimes. Autour du buffet de clôture, je m’approche de Xavier Larramendy, qui est basque, et je lui que j’étais autant basque que lui. Il me répond par cette stupéfiante question : où es-tu né ? ». Et une deuxième stupéfiante question « est-ce que tu parles basque ? ». Pour être basque, il faut être né au Pays Basque et parler basque. Selon Larramendy, la majorité des habitants du Pays Basque français n’est pas basque. On lui a retiré sa responsabilité et maintenant, il demande au référent qui fait la politique au Pays Basque, Goldring ou Larramendy ? Un étranger ou un vrai basque ? Bonne question.



Interpellée, Laetitia Avia renouvelle sa confiance au référent qui est un des meilleurs référents de France, et au député Vincent Bru. Je lui demande si elle me fait confiance à moi aussi, et elle me dit que oui. Tout n’est pas perdu.



Donc la bataille se poursuit. Certains la mènent silencieusement et souvent je souhaiterais qu’ils s’expriment plus clairement et de manière plus audible. J’ai quand même entendu, au cours de l’après-réunion près du buffet, Philippe Buono et Guy Lafite engueuler le référent parce qu’il mettait les communiqués qui ne lui plaisaient pas à la poubelle. Il fallait se rapprocher et tendre l’oreille mais ils l’ont dit.


mardi 12 mars 2019

lever la main


Pourquoi est-ce que je m’intéresse  à la chose publique ? Je suis citoyen ambulant, un grand débat à moi tout seul, un meeting à deux pieds, une manifestation sur roulettes, une conscience active, un cri de colère, un hurlement de désespoir, Ma naissance a été protestation contre les règles d’accueil des migrants. Et aussi contre la discrimination à l’égard des handicapés. En effet, je ne l’ai dit à personne, je suis né deux fois. La première fois, de parents juifs émigrés venus de Pologne. La seconde, nouveau-né  avec un pied normal et le second bot. J’ai ainsi bu  les raisons de la colère dans mes premiers biberons. Juif et bot.

Fut-ce la raison de mes engagements ? Autour de moi, on parle de racines, de cimetières où sont enterrés grands-parents, et d’une place réservée, plus importante encore que la chambre de l’EHPAD. Ceux qui vivent ici depuis cinq générations et ceux qui viennent planter leurs racines. Dès le départ, je n’ai pas eu de racines, de famille immigrée sans papier clandestine d’une part, d’autre part, suite à mon handicap de naissance, j’ai passé la meilleure partie de ma petite enfance en fauteuil roulant, puis sur des béquilles. Le seul contact avec la terre qui ne ment pas était l’embout caoutchouté de ces béquilles, pendant des années, mineur sans papier et sans contact avec la terre, je n’ai pas pu planter ces précieuses racines, qui s’alimentant de relations avec les bureaux d’état-civil, des jeux de la cour de maternelle, de discussions au coin du feu, de personnes rencontrées qui pincent la joue et disent « j’ai bien connu ton grand-père ».

Rien de tout ça n’explique mon intérêt forcené pour la chose publique. Je n’avais à ma disposition qu’un seul outil. Ma main droite. Ma main droite que je lève régulièrement dans toutes les réunions auxquelles j’assiste. Je ne sais pas toujours ce que je vais dire, j’ai à ma disposition des fiches régulièrement tenues à jour, que je range dans ma poche ou dans une sacoche et quand j’ai levé la main, je fouille dans mes fiches, je prends une feuille au hasard et quand on prononce mon nom, ma fiche est prête et je me lance. La même main droite me sert préparer mes fiches sur des sujets divers, à la plume d’abord, puis sur clavier, machine à écrire portative, premier ordinateur. Le métier d’enseignant chercheur m’a choisi pour cette raison : dans mon amphi, je n’avais pas besoin de lever la main, j’avais préparé mes fiches, je les tirais de ma poche au hasard et je commençais ainsi mon cours. Dans les dîners de famille quand le nombre de convives dépasse huit, je lève la main pour parler, mais je ne lis pas mes fiches car je ne connais pas toujours d’avance les sujets de conversation. En tout cas, c’est une habitude que j’ai désormais solidement ancrée et je m’irrite quand dans une assemblée, une réunion publique, un cercle de discussion, des gens prennent la  parole sans lever la main alors que pour moi, prendre la main, c’est lever la parole.

Encore faut-il trouver des endroits où prendre la parole. L’enseignement est le lieu privilégié. Le public est captif, l’intérêt postulé. Les dîners de famille sont moins conviviaux. Il rassemble des gens qui parlent très fort de sujets répétitifs. Les cafés politiques, citoyens, philosophiques se sont multipliés et devenus des lieux de parole. J’ai beaucoup pratiqué les partis politiques. Au PCF, dans les cellules, on discutait beaucoup. Non, on parlait beaucoup. On parlait pour plaire aux dirigeants, pour montrer qu’on était dans la ligne. Ce fut une bonne école de répétition et de fidélité. Au PS, on discutait beaucoup, à Paris comme à Biarritz et comme ce parti regroupait plusieurs tendances, les socialistes s’écoutaient les uns les autres surtout pour savoir à quelle tendance on appartenait. A La République en Marche règne pour le moment un brouillard idéologique. Les discussions dans les comités locaux se perdent dans les sables. Les discussions importantes sont réservées à des lieux que je ne connais pas.

Parlons clairement. Je râle parce que je n’en fais pas partie.

samedi 9 mars 2019

Stalingrad et goulag


Mes obsessions



Quand je note des informations, des livres, sur les crimes du stalinisme, des réactions qui ne proviennent pas toujours d’anciens communistes non repentis réagissent : quand même Staline et le peuple russe ont contribué à la défaite du nazisme. Il ne faut pas l’oublier.



Qui l’oublie ? Ces réactions sont curieuses. On peut évoquer le massacre des Vietnamiens par les armées américaines sans oublier le débarquement en juin 1944. On peut évoquer les massacres de Malgaches et d’algériens à la libération sans effacer le rôle de la France résistante.



Or, si je reviens avec insistance sur les meurtrissures du stalinisme, c’est d’abord parce que l’accès au pouvoir d’un homme comme Poutine, un ancien du KGB, ne peut se faire qu’au prix d’un effacement de l’histoire. En Russie aujourd’hui, on se focalise sur la Grande Guerre patriotique » et d’après l’historien Nicolas Werth, on en vient à dire que le goulag a contribué à la mise en valeur des richesses de la Sibérie. Dans la Russie d’aujourd’hui, on emprisonne ou on empêche de travailler les historiens de « Mémorial », qui travaille sur la mémoire du totalitarisme.



Un nouveau livre vient gâcher la célébration de Grande Guerre patriotique : les Carnets de guerre d’un soldat de l’armée rouge. (Les Arènes). Voici ce que dit Nicolas Werth dans sa recension :  impréparation tragique, pillages et viols, des auxiliaires féminines, puis des Allemandes, alcoolisme généralisé, corruption des officiers, insensibilité du commandement aux pertes humaines. Loin de mourir « pour Staline » ou pour « la patrie », les décrets interdisant de reculer, le mouchardage permanent, les régiments chargés de récupérer mes fuyards expliquent la ténacité des fantassins soviétiques.



Mash ou Catch 22, Good Morning Vietnam, ces films sur l’armée américaine n’effaceront jamais le débarquement en Normandie. Personne ne demande en France de changer le nom de la station de métro Stalingrad.



Mais la fascination d’une partie de l’opinion européenne pour Poutine pourrait être mieux combattue par ces sinistres rappels.

revanche


« Les joueurs ont beau être différents, le sens du jeu est toujours le même…ceux qui avaient souffert de la compétition sociale, économique et intellectuelle … ont senti que le temps était venu où, en usant de violence ou de slogans frelatés, ils pouvaient se venger de leur mise à l’écart réelle ou imaginée ainsi que des  préjudices leur ayant ôté la possibilité de se faire valoir. » Sandor Marai, Ce que j’ai voulu taire, Albin Michel, 2014). P. 73.


Sandor Marai parle ici du « temps du ressentiment » contre la qualité, le « temps de la vengeance pour l’homme intellectuellement défaillant ». ce ressentiment si présent en temps de guerre, et qui perdure « encore aujourd’hui à l’ombre du drapeau rouge ».  

définitions


Les préjugés, les haines de l’autre, les xénophobies nous renseignent d’abord sur l’identité de ceux qui les portent et ne nous disent pas grand-chose sur ceux qui les subissent. La haine des catholiques dans l’Angleterre protestante, la haine des Irlandais dans l’Amérique WASP (White Anglo-Saxon Protestant), la haine des Musulmans dans les pays européens, la haine des juifs en Occident, la haine des bouddhistes en pays musulman, des musulmans en pays boudhiste, semblent confirmer cette hypothèse de travail. Voilà ce que nous ne sommes pas disent toutes ces haines.

Est-ce que cette hypothèse peut se vérifier dans les relations entre les êtres humains, entre les personnes d’une même famille, entre amis, entre membres d’un groupe ? Nous tous sans exception avons subi des accès de colère, des rancunes, des ressentiments, des paroles de haine, des accusations, des crises, des fâcheries, des insultes, Plus ou moins sévères, plus ou moins durables, mais qui les a jamais évités ? Très souvent, trop souvent peut-être, la personne qui subit ces agressions, ces haines, cherche dans son histoire, ses attitudes, ses comportements, les raisons de cette tourmente. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cela ? Mais si ces crises révélaient surtout et peut-être seulement la personne qui les déclenche, si elles disaient tout simplement, voici ce que je suis, voici comme je suis. Tu ne le savais peut-être pas, mais c’est ainsi que je me définis. Par la haine que je te porte, par la colère que tu provoques chez moi. Surtout, ne cherche pas dans ta vie les raisons de mon exaspération. Tu n’y es pour rien. Tu ne trouveras aucune parole, aucun geste, aucune action qui provoque ma rage. Mais grâce à toi, je me définis, je m’identifie, j’existe.

Ça ne marche pas toujours, mais ça peut aider à mieux dormir.

vendredi 8 mars 2019

progressophobie


Steven Pinker, Le triomphe des lumières, Les Arènes, 2019



D’un côté, tout va très mal. La guerre, la pollution le réchauffement climatique, le mondialisme, la perte des traditions. Pour Steven Pinker : la violence et la criminalité ne cessent de reculer. Les progrès de la médecine rendent la vie des terriens plus supportable et plus intéressante. Santé, éducation, niveau de vie, sécurité, droits de l’homme, démocratie : tout a avancé dans les trois derniers siècles. L’espérance de vie est passée de 40 à 70 ans. Il y a cent cinquante ans, 90¨de l’humanité vivait dans l’extrême pauvreté. Aujourd’hui : 10%. La majorité des humains vit en démocratie.

 Pourquoi le refus de reconnaître ces avancées  (que l’auteur nomme « progressophobie ») ? D’abord parce ce que chacun juge en fonction de son expérience personnelle et pas selon des études documentées. Ensuite : chacun choisit les évènements en fonction de ses propres convictions. Particulièrement évident chez les extrêmes politiques : l’état de la société est exécrable, il ne peut que s’aggraver. Ils diffusent les informations les plus alarmantes et taisent les autres.

Un livre utile contre droite conservatrice qui veut revenir aux valeurs traditionnelles et de s’enfermer dans les frontières. Utile aussi pour montrer que le capitalisme industriel dès lors qu’il est régulé, dès lors que les excès sont compensés par un état providence, est de loin le système le plus sûr pour améliorer la condition des  plus pauvres. Thèse démontrée par la prospérité des nations développées et par la réduction rapide de l’extrême pauvreté dans les pays émergents.

(Ce texte est un résumé de la recension du livre de Pinker par Laurent Joffrin, libération 7 novembre 2019.)

Je ne cesse de rappeler une discussion avec des vendeurs de Lutte Ouvrière, au métro Château Rouge. J’avais parié dix euros avec Brigitte. Ecoutez la suite : je m’approche des vendeurs et je leur pose la question suivante : y-a-t-il eu dans les cinquante dernières une mesure favorable aux travailleurs ? Une seule ? Ils sont trois. Ils discutent entre eux. Puis reviennent me voir. Non, pas une seule. Brigitte me tend son billet de dix euros.

jeudi 7 mars 2019

je suis de souche


Ce matin jeudi 7 mars 2019 j’entends l’interview de Jérôme Fourquet sur France Inter. Il vient de publier un livre au Seuil L’archipel français, sur une France comme archipel, une France morcelée. Il donne en exemple les prénoms qui se diversifient alors qu’avant les parents donnaient des prénoms « français ». Ou la religion, qui tenait la société. Ou la gauche et la droite dont les articles étaient bien rangées dans tous les rayons. Tout fout le camp, et il devient difficile de faire société. La religion, les grands récits politiques s’écroulent. Un pays partagé entre ceux qui profitent de la mondialisation et ceux qui sont laissés sur le carreau. Entre le centre qui est nulle part et les périphéries partout.

Ces idées sont reprises en boucle. Elles sont l’avantage de tout expliquer simplement. Répétées, elles deviennent vérité. Les gilets jaunes c’est la périphérie abandonnée, Macron, c’est le mondialisme. Un jour viendra le grand clash. Entre Kevin et Aziz d’un côté et Emmanuel et Edouard de l ‘autre.

Oui, je sais, je devrais d’abord lire le livre, puis réagir. J’avoue. Je ne lirai pas le livre, comme je n’ai pas lu Eric Zemmour, ni Alain Finkielkraut, tous ces livres qui montrent l’écroulement d’une France unie, somptueuse, chrétienne, communiste, cette France qui se déglingue devant nos yeux. Je lirai François Dubet ou Jacques Levy. Des auteurs qui pensent que l’unité nationale n’est pas menacée par l’immigration, par l’écroulement des valeurs anciennes,  par la mondialisation.

Au contraire des catastrophismes à la mode, j’ai l’impression d’assister à une grande délivrance. Dans tous les domaines. Culturelle, politique. Cette grande libération est source d’angoisse, de nostalgie, de colères, de frustration. Les inquiets de partout vont chercher ailleurs des raisons de tranquillité. Voyez comme la Russie est  tranquille et unie avec Poutine. Voyez comme la Pologne assassine tranquillement le maire de Gdansk sans remous majeur. Et Orban, en voilà un qui dirige un pays qui n’est pas un archipel, mais un bloc de béton armé. Et Erdogan. Et Trump.

En contre-exemple, l’Irlande qui était un havre de paix et de communion se disloque. Voici un territoire béni des Dieux où tout le monde était catholique, tout le monde s’appelait Sean ou Deirdre, se retrouvait tous les dimanches à la messe, votait nationaliste de gauche ou nationaliste de droite, où les couples restaient unis pour le meilleur et pour le pire, où une bonne sœur violée par un prêtre n’avait pas le droit d’avorter. Avec la mondialisation, la République d’Irlande a maintenant un Premier ministre, Leo Varadkar, né d’un père indien, dont le prénom n’est pas gaélique, jeune, homosexuel. Les familles se défont grâce à la loi qui permet le divorce. L’Irlande vertueuse est devenue Sodome depuis que les contraceptifs sont légaux, et l’IVG possible. C’est ça que vous voulez ? demandent Eric Zemmour, Laurent Wauquier et Dupont d’Aignan ?

Oui, c’est ça que je veux. Parce je suis né de parents juifs émigrés venus de Pologne. Autour de moi, on parlait  de racines, de cimetières où sont enterrés grands-parents, et d’une place réservée dans le caveau familial, plus importante encore que la chambre de l’EHPAD.

 Dès le départ, je n’ai pas eu de racines, de famille immigrée sans papier je n’ai pas pu planter ces précieuses racines, qui s’alimentant de relations avec les bureaux d’état-civil, des jeux dans la cour de maternelle, de discussions au coin du feu, de personnes rencontrées qui pincent la joue et disent « j’ai bien connu ton grand-père ».

Ce qui est partout dénoncé comme une déliquescence est une évolution qui me tranquillise. Qui étudie les mouvements de population pendant ma durée de vie se rendra compte que l’énorme pourcentage des habitants a migré, de la campagne à la ville, d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre. Regardez autour de vous. En vous rappelant que ce n’est pas une preuve. Juste une impression. Dans votre ville, ceux qui sont natifs sont la minorité. Nos enfants sont partis travailler dans la grande ville. Nos petits-enfants vont étudier en Irlande, en Australie, aux Etats-Unis, en Norvège. Beaucoup vont faire souche ailleurs. Et les Français de souche plus que les autres. En fait ceux qui veulent vraiment faire souche en France sont les migrants. Par millions, les Français, comme les Britanniques, comme les Allemands, vont s’installer en pays étranger. On n’a jamais autant exalté la campagne que pendant la révolution industrielle quand la campagne se vidait. On n’a jamais autant parlé de souche que pendant l’époque contemporaine où les souches se dissolvent. D’être descendant de migrant me rend désormais majoritaire.

La France n’est pas divisée, n’est pas morcelée. Elle se diversifie, elle intègre, elle assimile. Grâce à cette évolution, plus de souche que moi tu meurs.

 

provocation


Un jeune homme a été arrêté pour avoir tagué des croix gammées sur une rame de métro. Interrogé sur les raisons de son acte, il répond qu’il aurait pu tout aussi bien taguer faucille et marteau. Il voulait simplement provoquer.



Son hésitation donne penser. Ce jeune homme pensait qu’il provoquerait plus avec une croix gammée qu’avec la faucille et le marteau. Avait-il raison ? Et s’il avait raison, pourquoi ?



Si l’on prend comme critère de provocation le nombre de Juifs massacrés, la croix gammée l’emporte. Si l’on prend comme critère le nombre de communistes massacrés, la faucille et le marteau est largement en tête.  



Si l’on prend comme critère le nombre de morts global, guerre, famines, extermination, les deux camps arrivent à égalité.



Alors pourquoi la croix gammée est-elle plus provocante que la faucille et le marteau ? Pourquoi les touristes se font photographier sur la Place Rouge aux côtés de clones de Staline et de Lénine alors qu’à Berlin, on imagine mal proposer aux touristes de se faire photographier aux côtés de sosies d’Hitler ou de Goebbels ?



La réponse à cette terrible question est peut-être dans cette réalité : On a fait témoigner dans les écoles des rescapés des camps de la mort nazis et jamais des rescapés du goulag. Et Pourquoi cette remarque est-elle prise pour une provocation ?  

dimanche 3 mars 2019

qui est en danger?


Moi, personnellement, je ne demande rien à personne. Je suis né de parents juifs polonais habitant Lublin (pas Dublin, mais ce n’est quand même pas un hasard si je fus attiré plus tard par l’Irlande et ses troubles). Ils sont arrivés en France dans les années 1930 et je naquis en 1933 pour les aider à conserver le droit de vivre dans ce beau pays. Si j’ai bien compris, je suis né à Lille et ils obtinrent un titre de séjour à condition de quitter cette métropole et d’aller vivre dans une ville moyenne. Ce fut Saint-Quentin, dans l’Aisne. Je passais mon enfance jusqu’à six ans dans cette ville picarde dont l’hôtel de ville est de style flamand. Pendant la guerre, la seconde mondiale, la Picardie fut déclarée zone militaire par les autorités allemandes et la famille dont je portais le nom, moins le père qui traversa la frontière suisse et vécut dans ce pays neutre jusqu’à la libération, se réfugia d’abord à Paris puis dans la Creuse. Après la guerre, toute la famille, mes parents, moi et mes deux sœurs revinrent à Saint-Quentin où je terminais mes études secondaires. Par rapport à beaucoup de gens qui habitaient dans des zones de guerre, et même encore aujourd’hui, quand je regarde les informations sur des pays africains ou sud-américains, il n’y a vraiment pas de quoi meubler les longues soirées d’hiver et heureusement que Trump et les gilets jaunes s’agitent sur l’écran plat qui mord sur l’un des tableaux de mon fils cadet, Robin.

Je ne demande rien à personne. J’ai fait des études, je me suis marié, j’ai eu trois enfants alors que je n’étais pas obligé par les lois définissant l’appartenance nationale. Pas tout à fait par hasard, j’ai épousé l’orpheline d’une mère morte jeune, puis belle-fille d’une belle-mère déportée, morte en déportation, puis belle-fille d’une déportée survivante. Autour de moi, des vivants que certains appelaient des survivants. Toute ma famille restée en Pologne, oncles, cousins, tantes, grands-parents, ont disparu. La déportation qui pour beaucoup est un mot abstrait un danger auquel j’avais échappé. C’est pourquoi je pleure assez facilement quand passe au cinéma ou à la télévision des films sur la période de la guerre, des films sur la déportation. Cette facilité lacrymale déborde sur d’autres scènes de cinéma, par exemple quand Bambi perd sa maman, ou quand Raimu le boulanger morigène Pomponette. 

Je ne demande rien à personne. J’ai eu une vie, comme tout le monde. On me demande parfois ce que ça veut dire pour moi d’être juif. Je réponds de manière variable selon l’air du temps. Aujourd’hui, 2 mars 2019, je réponds deux choses. Premièrement, je suis juif parce que je pleure plus facilement devant les images d’enfants juifs déportés que devant les scènes de famine dans un pays africain. Je n’en suis pas fier, mais les larmes ne se contrôlent pas et ce sont des instants d’émotion qui me révèlent. Deuxièmement, je suis juif parce que de temps en temps, quelqu’un me demande ce que ça veut dire pour moi d’être juif. On ne me demande jamais ce que signifie pour moi d’être kabyle ou luxembourgeois.

Après de nombreuses péripéties, je me suis retrouvé au Pays Basque français aux côtés d’une chrétienne dont certains amis refusent d’accepter que c’est le hasard qui m’a fait rencontrer cette personne élevée par les Dames de Sion. Ça me fait rigoler. Comme si existait dans l’univers un site de rencontres entre juifs laïcs et anciennes élèves des Dames de Sion. On peut toujours affirmer que je m’intéresse à l’Irlande parce que Lublin résonne comme Dublin. Je connais des spécialistes de l’histoire bretonne qui sont nés à Brest-Litovsk. Tout cela est franchement ridicule.

Je ne demande rien à personne. Je ne suis pas insulté, discriminé. Peut-être un petit peu comme Parisien dans une portion de France où des séparatistes ont une certaine influence. Limitée. Moins de dix pour cent.

Et maintenant tout ce ramdam. Des musulmans qui entrent dans des écoles juives et tuent des enfants parce qu’ils sont juifs. Qui entrent dans une boutique kasher et tuent les clients. Puis des manifestants qui insultent Alain Finkielkraut et le traitent de sioniste. Des cimetières où des énergumènes dessinent des croix gammées sur des tombes. Des manifestations contre l’antisémitisme. Des discussions pour savoir si antisioniste et antisémite c’est la même chose. Bien sûr que je vais à ces manifestations. Et dans ces regroupements autour des plaques commémoratives, les gens qui me connaissent me serrent la main plus fort, ou me mettent la main sur l’épaule, les dames m’embrassent en me serrant davantage, des gens que je ne connais pas me saluent en prenant l’air inspiré. Qu’est-ce qu’ils ont tous ? Je ne leur demande rien. Ils croient que je suis en danger. Ils n’ont rien compris. Ce sont eux qui sont en danger. En grave danger.  

Des penseurs sérieux veulent me persuader que le danger menace les Juifs, et pas les autres. Jean Birnbaum, « l’expulsion silencieuse des Juifs d’Europe » le monde 1 mars 2019) recense des livres érudits. Jean-Claude Milner, (Les penchants criminels de l’Europe démocratique, 2003), affirmait qu’en Europe, Juif était devenu « un problème à résoudre ». Il concluait : l’Europe est un lieu où après le génocide, « les corps juifs sont voués à disparaître ».  En 2019 paraît un livre écho : du sociologue Danny Trom la France sans les juifs, émancipation, extermination, expulsion, PUF. Les clameurs et les actes violents se sont multipliés. Ces actions contre les juifs sont un « mouvement social avec ses slogans, ses intellectuels. Voir le succès de Dieudonné. Un mouvement assez efficace pour que les juifs comprennent et se mettent à partir. Ils partent des quartiers où leur vie est devenue impossible. Ils quittent la France pour l’étranger et pour Israël. La France pour les juifs est devenue terre d’émigration ; Phénomène qui pourrait préfigurer la fin de leur présence en Europe. Déjà Emmanuel Todd écrivait : le problème numéro un de la société française est celui de la diffusion de l’antisémitisme dans les banlieues. Le livre de Houellebecq soumission vient appuyer cette thèse. Les juifs quittent la France. Sans compter bien sûr les valeurs sûres que sont les essayistes Zemmour et Finkielkraut, pour qui l’immigration musulmane est en train de transformer la France en pays où les Juifs ne pourront plus vivre.

Je dis halte ! Les Juifs ne sont pas en danger en France. Les peuples en danger, les mouvements en danger, les communautés en danger, sont ceux qui croient avoir trouvé dans la haine des juifs la solution à tous leurs problèmes. Jetez un regard circulaire sur le monde. Les pays qui ont chassé les juifs ne sont pas du tout en bonne santé. Leur économie, leur culture, leur niveau de vie, la situation des femmes, le respect des autres, vont mal. D’avoir chassé les juifs, ils sont les premiers à souffrir. Quand l’URSS et les pays du socialisme réellement destructeur sont devenus des pays où les juifs étaient mal vus, l’ensemble de leur société s’est abimé, dans tous les domaines. Les quartiers qui vont le plus mal en France, ceux où la misère, le chômage, le désespoir, les trafics, se sont le plus développés, sont les quartiers où il y la plus d’antisémitisme. Aux Etats-Unis, Le mouvement social des Afro-américains s’est affaibli, s’est abimé, quand il a cru trouver un bouc–émissaire chez les juifs américains. Et voyez comment l’indice le plus sûr d’un déclin du mouvement des gilets jaunes est son acceptation en son sein de la haine antisémite. La règle ne souffre pas d’exception. Certains israéliens disent qu’Israël va mal parce qu’il n’y plus de juifs dans ce pays, rien que des Israéliens. 

Je ne me sens pas en danger comme juif. Je me sens en danger comme citoyen français de l’irruption dans le débat national de sentiments antisémites. J’irai bien entendu manifester avec d’autres Français contre les actes antisémites. Et dans ces regroupements autour des plaques commémoratives, je serrerai plus fort les mains des Français, le mettrai ma main sur leur épaule, j’embrasserai plus fort les dames et je regarderai tous ces gens en prenant un air inspiré. Je crois qu’ils ont besoin de ma solidarité.

vendredi 1 mars 2019

la secte


La secte





Un débat se mène sur la chaîne France 5, après la diffusion d’un documentaire sur Che Guevara réalisé par Tancrède Ramonet. Y participent André Chassaigne, député communiste, le réalisateur Ramonet et Pierre Rigoulot, historien du communisme.



            Le documentaire dresse un mausolée à celui qui est considéré par ses adversaires comme un militant sanguinaire, comme le destructeur de l’économie cubaine, l’initiateur de dizaines de tentatives de guérillas avortées. Pour connaître la vie de cet homme, lisez sa biographie par Jacobo Machover, La face cachée du Che. Pierre Rigoulot fut plus critique dans le débat, mais face à deux militants déterminés, il apparaissait pâlot.



            Le débat ne manqua pas d’intérêt. Pour comprendre la mutation d’une suite d’échecs et de sacrifices vains en icône de la révolution mondiale. On a souvent comparé le Che et Jésus-Christ. La photo du Che sur son lit de mort, redressée verticalement, serait effectivement proche d’une crucifixion. Mais la comparaison s’arrête là. Jésus-Christ guérissait les malades, le Che torturait les dissidents. Jésus-Christ multipliait les pains, le Che organisait la pénurie. Jésus-Christ marchait sur l’eau, le Che noyait l’agriculture. Jésus-Christ rassemblait ses disciples, le Che les éliminait. Les succès de Jésus expliquent l’immense succès de l’église chrétienne. Les échecs du Che ne pouvaient être suivis que par une secte déclinante.



            Effectivement, André Chassaigne député communiste et Tancrède Ramonet, tous deux révolutionnaires, apparaissaient comme les membres d’une secte. Dans un monde dominé par les forces du mal, impérialisme américain et capitalisme spéculatif, le Che est Capitaine Révolution, il vole de foyer en foyer allumer les incendies, il donne l’exemple à son peuple en allant travailler volontairement dans les champs et les usines cubaines, il met fin à l’apartheid en Afrique du Sud, combat pour les révolutions en Angola, en Bolivie. Que toutes ces actions soient autant d’échecs ne gênent pas les gourous Chassaigne et Ramonet. Qu’importe la chute pourvu qu’on ait l’envol.



            Partout où les théories de ces gourous ont triomphé, ce fut la catastrophe. Famines  soviétiques ou maoïstes, massacres et camps partout. Le principal avantage du Che est qu’il est mort jeune. On peut porter son portrait sur un tee-shirt, on peut le porter aux nues dans un studio de télé. Plus difficile d’exalter Pol Pot, Beria and C°.