jeudi 28 février 2013

industrie automobile


Industrie automobile


            Voici le moyen que j’utilise pour suivre l’évolution des ventes de voiture en France. Je surveille les premières lettres des plaques minéralogiques. Elles ont commencé, avec le changement, avec AA, puis AB, nous en sommes aujourd’hui à CQ. J’attends le CR. Je note les dates des changements. CA le 3 juin 2012, puis CB en juillet, etc. Si les changements s’accélèrent, c’est que la vente des voitures a bondi. S’ils se ralentissent, les ventes ont chuté. Pour me rappeler les lettres, j’utilise des moyens mnémotechniques. CA : Conseil d’administration, CB, carte bancaire, CC, Comité central, CF, comité fédéral, CH, chut, CM, cours moyen, CP, cours préparatoire, CQ, facile. CR sera comité de rédaction. CS comité de section. CI et CO n’existent pas car I se confond avec 1 et O avec 0.

            Si les poussettes avaient des plaques d’immatriculation, le passant pourrait mesurer l’évolution démographique du pays. 

lundi 25 février 2013

déclin de la violence


déclin de la violence


Notes sur le livre de Steven Pinker, The better angels of our nature, why violence has declined. Viking, NY, 2011.

            Nous vivons le temps des peurs. Les crimes, les morts par homicide, les agressions, occupent une place démesurée dans les bulletins d’information. Steven Pinker prend le catastrophisme ambiant à contre pied en montrant dans son livre que la violence a constamment décliné et que nous vivons dans la période la plus paisible de l’espèce humaine. Pourquoi ce catastrophisme ? Parce que personne n’a recruté de militants en annonçant que les choses vont mieux. Les porteurs de bonne nouvelle sont priés de se taire parce qu’elles démobilisent. Les nouveaux missionnaires, réformistes ou révolutionnaires, ont besoin de noircir le tableau pour accroître leur influence. Une élue marseillaise est devenue célèbre depuis qu’elle a demandé l’intervention de l’armée dans les quartiers difficiles de sa ville. Elle peut désormais participer à la course pour le poste de maire. Quand John Kerry, candidat à la présidentielle aux États-Unis déclare que le terrorisme  doit être mis à sa place, qui n’est pas centrale, tout le monde lui est tombé dessus et il a perdu des points. Les maires se précipitent pour demander le classement de leur ville ou de leur quartier en ZSP. La peur est un excellent argument électoral parce que celui qui a peur vote pour celui qui va le rassurer. La peur envoie des patrouilles dans les gares et les aéroports qui n’ont qu’un seul but : rassurer les voyageurs. Pinker compare les mesures contre le terrorisme aux répulsifs contre les éléphants : ça marche, puisqu’aucun éléphant ne m’approche quand je m’en asperge.

             Ne pas faire de la peur le centre de notre vie est un objectif raisonnable. La peur fausse les politiques et les investissements. Chaque année, quatre mille personnes meurent sur les routes, des milliers par des accidents domestiques, des centaines par noyades, chutes en montagne, l’allergie aux cacahuètes, les piqures d’abeille et combien par les attaques terroristes ? Quand un attentat contre les transports urbains augmente le nombre de déplacements en voiture, il provoque plus de morts sur les routes que les victimes de la bombe. Steven Pinker veut nous démontrer que nous devons mieux apprécier les apaisements, les sorties de conflits, les bonnes nouvelles. Les faits divers qui occupent tant d’espace sont broutilles comparés aux massacres et aux tortures du passé. Ils ne sont pas les signes d’une barbarie renaissante, mais plutôt le signe que nous ne supportons plus les violences meurtrières. La violence recule partout, nous dit Pinker, dans la famille, le quartier, entre tribus, entre nations et états. Dans les familles et les écoles, la manière dont les enfants étaient domestiqués serait aujourd’hui classée dans le chapitre tortures et mauvais traitements. Les luttes pour l’égalité des sexes fait reculer la violence familiale. La violence criminelle dans les sociétés développées recule constamment. Les tortures et la peine de mort sont en recul régulier. Le terrorisme est en recul aussi. Les théories groupusculaires qui légitimaient la terreur comme moyen de conquérir et de conserver le pouvoir sont en recul. Les Panthères Noires, la bande à Bonnot, l’armée Rouge en Allemagne, les Brigades Rouges en Italie, l’anarchie, la culture rock révolutionnaire épousaient les idées marxistes sur la violence révolutionnaire. La chute du communisme diminue la violence sociale. Fini le temps où chaque conflit était une répétition générale de la révolution fondatrice. La démocratie, les élections, les négociations, les compromis sont des facteurs de paix. L’éducation, la culture, la littérature contribuent au recul de la violence car elles développent le cercle des êtres humains avec qui nous pouvons nous sentir en sympathie. Pinker cite La case de l’oncle Tom comme facteur d’abolition de l’esclavage. On pourrait ajouter OliverTwist et son influence sur les réformes des asiles, Orwell et Soljenitsyne comme facteurs de chute des régimes totalitaires. Sur les dictatures, les romans et les films ont parfois fait le travail que les historiens étaient interdits ou refusaient d’accomplir.

            Le lecteur sera moins convaincu par les théories cognitives sur la violence collective ou les violences urbaines, mais sur l’ensemble du travail, reconnaissons que la thèse générale peut changer le regard que nous portons sur notre monde.
             

déclin de la violence


déclin de la violence


Notes sur le livre de Steven Pinker, The better angels of our nature, why violence has declined. Viking, NY, 2011.

            Nous vivons le temps des peurs. Les crimes, les morts par homicide, les agressions, occupent une place démesurée dans les bulletins d’information. Steven Pinker prend le catastrophisme ambiant à contre pied en montrant dans son livre que la violence a constamment décliné et que nous vivons dans la période la plus paisible de l’espèce humaine. Pourquoi ce catastrophisme ? Parce que personne n’a recruté de militants en annonçant que les choses vont mieux. Les porteurs de bonne nouvelle sont priés de se taire parce qu’elles démobilisent. Les nouveaux missionnaires, réformistes ou révolutionnaires, ont besoin de noircir le tableau pour accroître leur influence. Une élue marseillaise est devenue célèbre depuis qu’elle a demandé l’intervention de l’armée dans les quartiers difficiles de sa ville. Elle peut désormais participer à la course pour le poste de maire. Quand John Kerry, candidat à la présidentielle aux États-Unis déclare que le terrorisme  doit être mis à sa place, qui n’est pas centrale, tout le monde lui est tombé dessus et il a perdu des points. Les maires se précipitent pour demander le classement de leur ville ou de leur quartier en ZSP. La peur est un excellent argument électoral parce que celui qui a peur vote pour celui qui va le rassurer. La peur envoie des patrouilles dans les gares et les aéroports qui n’ont qu’un seul but : rassurer les voyageurs. Pinker compare les mesures contre le terrorisme aux répulsifs contre les éléphants : ça marche, puisqu’aucun éléphant ne m’approche quand je m’en asperge.

             Ne pas faire de la peur le centre de notre vie est un objectif raisonnable. La peur fausse les politiques et les investissements. Chaque année, quatre mille personnes meurent sur les routes, des milliers par des accidents domestiques, des centaines par noyades, chutes en montagne, l’allergie aux cacahuètes, les piqures d’abeille et combien par les attaques terroristes ? Quand un attentat contre les transports urbains augmente le nombre de déplacements en voiture, il provoque plus de morts sur les routes que les victimes de la bombe. Steven Pinker veut nous démontrer que nous devons mieux apprécier les apaisements, les sorties de conflits, les bonnes nouvelles. Les faits divers qui occupent tant d’espace sont broutilles comparés aux massacres et aux tortures du passé. Ils ne sont pas les signes d’une barbarie renaissante, mais plutôt le signe que nous ne supportons plus les violences meurtrières. La violence recule partout, nous dit Pinker, dans la famille, le quartier, entre tribus, entre nations et états. Dans les familles et les écoles, la manière dont les enfants étaient domestiqués serait aujourd’hui classée dans le chapitre tortures et mauvais traitements. Les luttes pour l’égalité des sexes fait reculer la violence familiale. La violence criminelle dans les sociétés développées recule constamment. Les tortures et la peine de mort sont en recul régulier. Le terrorisme est en recul aussi. Les théories groupusculaires qui légitimaient la terreur comme moyen de conquérir et de conserver le pouvoir sont en recul. Les Panthères Noires, la bande à Bonnot, l’armée Rouge en Allemagne, les Brigades Rouges en Italie, l’anarchie, la culture rock révolutionnaire épousaient les idées marxistes sur la violence révolutionnaire. La chute du communisme diminue la violence sociale. Fini le temps où chaque conflit était une répétition générale de la révolution fondatrice. La démocratie, les élections, les négociations, les compromis sont des facteurs de paix. L’éducation, la culture, la littérature contribuent au recul de la violence car elles développent le cercle des êtres humains avec qui nous pouvons nous sentir en sympathie. Pinker cite La case de l’oncle Tom comme facteur d’abolition de l’esclavage. On pourrait ajouter OliverTwist et son influence sur les réformes des asiles, Orwell et Soljenitsyne comme facteurs de chute des régimes totalitaires. Sur les dictatures, les romans et les films ont parfois fait le travail que les historiens étaient interdits ou refusaient d’accomplir.

            Le lecteur sera moins convaincu par les théories cognitives sur la violence collective ou les violences urbaines, mais sur l’ensemble du travail, reconnaissons que la thèse générale peut changer le regard que nous portons sur notre monde.
             

samedi 23 février 2013

Communisme, nationalisme, nostalgie, regrets, jeunesse, actions.


Communisme, nationalisme, nostalgie, regrets, jeunesse, actions.


            J’avais six ans au moment du Pacte germano-soviétique et je n’ai aucun souvenir des discussions à la maison, s’il y en eut. Léon assis sur le même canapé, était assez grand pour en avoir des souvenirs précis. Son père était révolutionnaire bolchevique, depuis 1917, il était de toutes les révolutions. Quand Staline signa le pacte avec Hitler, son père, de rage, vira à l’extrême-droite. Léon passa sa jeunesse en conflit avec son père, car lui restait révolutionnaire et membre du PCF, jusque dans les années cinquante, quand Maurice Thorez imposa aux militants français la thèse de la « paupérisation absolue » de la classe ouvrière française. Léon était ingénieur, il faisait partie d’une commission économie du PCF, il ne fut pas convaincue et fut donc exclu du PCF. Moi, j’ai été exclu en 1981, à la suite de la rupture de l’union avec le PS. Beaucoup plus tard.

            Curieusement, le conflit fondateur sur le pacte mène Léon à trouver aujourd’hui des arguments en faveur du pacte germano-soviétique. Staline avait décapité l’armée et ce qui en restait n’était pas prêt à affronter une guerre avec l’Allemagne. La discussion aujourd’hui n’a de sens que si elle ne vise pas à réécrire l’histoire. Ni à remonter le temps. Aujourd’hui, l’histoire du Pacte est écrite. Elle s’appuie sur des archives. Aujourd’hui, nous savons que la direction du PCF a demandé aux autorités allemandes, dans la France occupée, la permission de faire reparaître l’Humanité. Aujourd’hui, nous savons que Staline a renvoyé en Allemagne les exilés antifascistes réfugiés à Moscou et qu’ils y furent exterminés. Nous savons tout ça. Nous pouvons nous amuser à rejouer les discussions d’antan. Nous serons alors comédiens et pas acteurs. Aujourd’hui, à ceux qui sont restés révolutionnaires et qui cherchent les braises imaginaires dans les cendres, s’ils oublient la demande de faire reparaître l’huma aux autorités allemandes, s’ils oublient le renvoi des antifascistes allemands par Staline, notre rôle d’acteur est de le leur rappeler. Gentiment. Calmement.

            Aujourd’hui, au Pays basque, nous ne pouvons pas non plus refaire l’histoire. Franco et sa terreur justifiant la naissance d’ETA. Nous ne sommes pas des comédiens. ETA a renoncé à la lutte armée. Le nouveau parti des patriotes basques a inscrit le dialogue comme seule et unique méthode d’atteindre l’indépendance du Pays basque. Un acteur demande gentiment et calmement : si vous renoncez à la lutte armée, à quoi bon conserver une armée ? Pourquoi ne dissolvez-vous pas l’ETA ? Pourquoi annoncez-vous la fin de la terreur avec les masques de la terreur ? 

mardi 19 février 2013

MIchael D. Higgins, président d'Irlande


Michael D. Higgins, président de la République d’Irlande, prend la parole dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le lundi 18 février 2013. J’ai reçu une invitation de l’ambassade d’Irlande. Il faut cliquer pour s’inscrire et le jour J, à onze heures, se présenter à l’entrée de la Sorbonne rue des Ecoles avec une carte d’identité.

J’ai cliqué et préparé ma carte d’identité. En haut du perron, Les huissiers vérifient nonchalamment les papiers d’invitation généralement imprimés sur du papier brouillon, envers de facture EDF ou de relevé bancaire car les temps sont durs.  J’entre dans le grand amphi qui a été construit du temps où les gens mangeaient mal, faisaient moins de sport et les genoux d’une personne moyenne enfoncent le dossier du fauteuil de la rangée devant, la personne assise se retourne pour protester silencieusement. Il est onze heures moins dix minutes.

Sur l’estrade où tout à l’heure, Michael D. Higgins va prononcer son discours, des gens s’affairent. Je termine la lecture de Libération, je lis le discours du président qui s’intitule « quelle citoyenneté, quelle Europe ? » imprimé dans une brochure où l’on indique l’horaire : de 11H00 à 13h00. Il est 11h30. J’ai terminé la lecture des papiers imprimés dont je dispose et je regarde la salle et l’estrade. La salle est composé essentiellement d’étudiants qui sont là parce qu’on leur a dit de venir, j’ai l’impression. Sans les étudiants, le grand amphi serait un grand désert. Quelques dizaines de personnes sont venues réellement écouter Michael D. Higgins, président d’Irlande. Je reconnais quelques collègues, Wesley Hutchinson,  Carle Bonafous Murat, qui discutent avec des étudiants sur l’estrade. Des sièges sont disposés de part et d’autre des fauteuils d’apparat où tout à l’heure prendra place le président. Les étudiants s’installent sur des sièges plus simples. Tout à l’heure, ils formeront un panel et peut-être poseront-ils des questions. La salle se remplit. Des personnes de plus en plus importantes viennent vérifier les lieux. Des appariteurs, qui arrivent de la salle et manipulent des chaises et des micros. Puis des employés de l’ambassade qui viennent vérifier les sièges, les micros. Ils entrent par des portes côté cour et côté jardin. Des personnes de plus en plus importantes viennent vérifier les fauteuils et les micros. Chaque fois, des appariteurs déplacent un fauteuil, en emportent un en rapportent un autre, déplacent les micros. Le vérificateur suprême est le grand chambellan du président, l’aide de camp, qui porte un uniforme de général d’opéra-comique, chamarré comme un maréchal soviétique. Il déplace le fauteuil prévu pour le président, très légèrement. Tout à l’heure, c’est lui quoi viendra poser sur le lutrin en plastique transparent le texte du discours. Sur un écran géant, passe en boucle un film publicitaire pour le tourisme en Irlande, où l’on voit des touristes boire de la bière, des musiciens, des paysages et des couples qui s’embrassent tellement ils sont contents d’être là. Il est 11h45. A midi arrivent les personnalités : l’ambassadeur d’Irlande, son Excellence Patrick Kavanagh, Jack Lang, des députés, Pierre Joannon, consul d’Irlande à Antibes. A 12h15 se mettent en place la président de l’université Sorbonne nouvelle et le recteur de l’université de Paris, Monsieur Weill, qui sont rentrés par une porte de côté. Puis deux huissiers en costume du dimanche ouvrent la lourde porte centrale et se placent de part et d’autre pour laisser passer le président. Il est 12h20. J’ai rendez-vous chez moi à 14h00 pour discuter d’un questionnaire pour les habitants de la Goutte d'Or. Heureusement, Jacques Delors, prévu, est absent, on ne dit pas pourquoi. Le recteur dit du bien de Michael D. Higgins, puis la présidente de Paris III en dit du bien aussi. Jack Lang prend la parole, sans doute à la place de Jacques Delors, et dit du bien de Michel D. Higgins. Je me rappelle en l’écoutant parler qu’il avait invité, en tant que président de la commission des affaires étrangères de l’assemblée nationale, Gerry Adams et qu’il l’avait présenté comme « un grand humaniste ». Il répète les mêmes compliments pour Michael D. Higgins. Si Gerry Adams et Michael D. Higgins sont tous les deux des grands humanistes, les mots sont disqualifiés et les personnes qui les prononcent ne méritent guère de considération. Parce que Michael D. Higgins est réellement un grand humaniste et le discours qu’il prononce maintenant dont j’ai lu dans la brochure le texte français est un discours progressiste, humaniste, contre les chauvinismes, les enfermements, les pouvoirs financiers sans régulation.  L’Irlande est désormais un pays européen, dirigé par un président de gauche, dont la parole est dénuée d’exotisme, de mysticisme, de nationalisme. Seul le premier paragraphe est prononcé en gaélique, traduit en français par ma collègue Cliona ni Riordan. Il est 13 heures 10, le discours se termine, tout le monde se lève, je pars avant les questions et je rentre chez moi à vélib pour la réunion du groupe RAPGO.

L’histoire récente de l’Irlande, Nord et Sud, a été tissée par des valeurs que son président d’aujourd’hui dénonce avec véhémence, la haine de la raison, la censure des intellectuels et des poètes, le pouvoir politique accordé aux chefs de tribu et aux chefs de guerre. Pas un mot, pas une allusion à ce passé tout proche dans le discours de Michael D. Toute sa démonstration ne prendrait-elle pas une force de conviction si elle ne niait pas ce passé ? Si elle disait simplement : quand je dénonce les dangers, je sais de quoi je parle parce que c’est de là que je viens. 

dimanche 17 février 2013

naomi klein, stratégie du choc


Naomi Klein, La stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008

Selon Naomi Klein, le capitalisme du désastre est un d’opération consistant à lancer des raids systématiques contre la sphère publique au lendemain de cataclysmes et à traiter ces derniers comme des occasions d’engranger des profits. Le capitalisme à l’affut attend les crises d’envergure ou les provoque et pendant que les citoyens sont sous le choc, il vend l’État morceau par morceau à des intérêts privés.

Cette stratégie du choc reproduit à l’échelle de la société les résultats obtenus sur un détenu dans une prison. A l’instar du prisonnier terrorisé par les mauvais traitements qui donne le nom de ses camarades et renie sa foi, les sociétés en état de choc abandonnent leurs droits. L’État est privatisé, les ressources publiques transférées vers le privé,  une minorité accroit ses richesses tandis que la vaste majorité des citoyens reste en marge. Ces politiques provoquent des mécontentements et des révoltes et le gouvernement doit resserrer la surveillance, emprisonner, rétrécir les libertés civiles et parfois utiliser la torture.

Avec cette grille de lecture, Naomi Klein parcourt le monde. Pinochet, conseillé par Friedman et l’école de Chicago, privatise l’économie chilienne après le coup d’état. La junte militaire en Argentine fit disparaître 30 000 personnes, surtout des militants de gauche, afin d’imposer la même politique libérale. Le massacre de Tiananmen en Chine permit de transformer le pays en une gigantesque zone d’exportation où travaillent des salariés trop terrifiés pour faire valoir leurs droits. Boris Eltsine lance des chars d’assaut contre le parlement russe et ouvre ainsi la voie à une privatisation générale de l’économie russe. Au Royaume Uni, la guerre des Malouines en 1982 permit à Margaret Thatcher d’étouffer la grève des mineurs et de lancer la première vague de privatisations en Occident. En 1999, les bombardements de Belgrade par l’OTAN créèrent les conditions favorables à des privatisations rapides dans l’ex-Yougoslavie. Bush profita de l’attentat du 11 septembre 2001 pour lancer la guerre contre le terrorisme et faire de cette guerre une entreprise à but lucratif pour relancer une économie chancelante. Tétanisés par la peur, après l’ouragan, les habitants de la Louisiane devaient renoncer à leurs logements sociaux et à leurs écoles publiques. Après le tsunami, les pêcheurs sri-lankais devaient céder aux hôteliers leurs terres du bord de mer. Sous le déluge de bombe, les Irakiens cèdent aux Américains leurs réserves de pétrole. Si la catastrophe ne suffit pas, il faut recourir à des coups d’état, à la limitation des droits politiques. Ces violations, les tortures, les répressions, ne sont pas des actes sadiques mais des mesures pour terroriser la population et préparer le terrain à des réformes indispensables.

Les situations sont fort diverses et le mélange est parfois source de confusion. Ainsi, le massacre de la place Tienanmen par Deng permet le passage à l’économie de marché. Quand Mao réprimait, c’était au nom des ouvriers, dit l’auteure, en opposition à l’embourgeoisement du parti communiste, alors que Deng demandait aux travailleurs de renoncer à leurs avantages et à leurs privilèges, à la sécurité de l’emploi et à la protection sociale.  En Afrique du sud, l’ANC a remplacé l’apartheid par d’autres chaînes.  L’ANC a adopté des politiques qui creusent les inégalités, aggrave le problème de la criminalité. Les Sud-africains ont le droit de vote, bénéficient des libertés civiles mais sur le plan économique, l’Afrique du Sud est l’un des pays où les inégalités sont les plus prononcées. Les dirigeants russes, toujours conseillés par les économistes de l’école de Chicago, choisissent les mêmes politiques économiques que Pinochet au Chili. En ce qui concerne les pays ex communistes, l’idée générale est que  l’après communisme est pire que le communisme. Les nouvelles barrières n’appartiennent plus au monde du goulag, mais à celui des loges de luxe dans les stades, les sections non-fumeurs, les barrières anti-bruit le long des autoroutes, les zones de sécurité dans les aéroports, les résidences protégées.  Elles font ressortir les privilèges des nantis et l’envie des démunis.

Les désastres se traduisent par des profits si spectaculaires que de nombreux citoyens de la planète en concluent que les riches les ont provoqués. Ainsi les attentats du 11 septembre auraient été provoqués pour que les Etats-Unis entrent en guerre au Moyen Orient. Louis Farrakhan, le prophète musulman  d’une nation noire noir suggère qu’on a fait sauter les digues pendant le cyclone Katrina pour détruire la partie de la ville où vivaient les Noirs et garder au sec celle où vivaient les Blancs. Au Sri Lanka, le tsunami aurait été causé par des explosions sous-marines déclenchées par les Etats-Unis pour pouvoir envoyer leurs troupes en Asie du sud-est. Naomi Klein rejette ces aberrations. Il n’y a pas complot. Le capitalisme s’est seulement transformé en machine à traquer les crises pour en profiter. Ainsi le capitalisme israélien est le grand vainqueur du désastre de la région. Il domine sur le marché de la sécurité. Mais parfois la stratégie du choc ne marche pas, comme après les attentats de Madrid en 2004 qui ont été suivis par la défaite d’Aznar.

Une théorie se vérifie en se frottant aux questions, aux faits, aux contradictions. Le système construit par Naomi Klein devient dogmatisme sans nuance.  La destruction des Tours jumelles est-elle l’œuvre des terroristes islamistes. Etaient-ils aux ordres de Washington ? La guerre des Malouines a été allumée par l’invasion du territoire par les militaires au pouvoir. Aux ordres de Londres ? Elle s’est terminée par la fin du pouvoir militaire en Argentine. Les syndicats de mineurs étaient divisés face à Thatcher. Scargill et le jusqu’auboutisme ont joué un rôle important dans leur défaite. Scargill était-il manipulé par Thatcher ? On ne retient pas que les sorties de dictature permettent  de lutter plus efficacement contre les injustices. On oublie les millions de gens qui sortent de la pauvreté. On omet le fait que les zones où le système capitaliste domine est aussi celui où les pays vivent en paix les uns avec les autres, où les peuples sont le mieux protégés contre les catastrophes et les épidémies. La victoire d’Obama ou de Hollande contre les pires conservateurs reste inexpliquée. Pourtant, les peuples ont préféré des systèmes de santé et de protection sociale contre le capitalisme sans régulation.  Et Lula au brésil ? Chavez ? Bachelet, Kirchner ? Morales en Bolivie ? Rafael Correa en Equateur ?

Confusion aussi dans les solutions alternatives. Le non à l’Europe en France en 2005 : est tantôt une victoire contre l’Europe capitaliste, tantôt une victoire du chauvinisme. Elle définit le nationalisme ainsi : des populations fières, qui se sentent humiliées par des forces étrangères, cherchent à rebâtir leur amour-propre national en prenant pour cible les plus vulnérables. Naomi Klein loue le travail social du Hezbollah. Certes, les fonds distribués sont iraniens, mais l’organisation mène un travail communautaire efficace. Les autres modèles de résistance sont plus classiques : les échanges de médecins cubains contre le pétrole vénézuélien. L’Equateur qui quitte le FMI. Le travail communautaire en Thaïlande après le Tsunami. Partout des exemples de travail communautaire, en Inde, en Amérique du Nord.

Comment expliquer le succès d’un tel livre ? Comment expliquer l’influence persistante des écoles de pensée du Monde diplomatique ? Risquons une hypothèse. Le capitalisme est tout puissant et ne peut pas être combattu sur son terrain. Il faut donc se replier là où des victoires sont possibles : les luttes locales, particulières, régionales, ou nationales. Travail communautaire, économie solidaire, associations spécifiques. Ce travail n’est certes pas à négliger ou à mépriser. Il construit des solidarités et des citoyennetés. Il permet à des millions écartés des élites, privés de formation initiale,  de trouver une formation continue et de prendre des responsabilités. IL n’en reste pas moins que la social-démocratie affronte le pouvoir au plus haut niveau : celui de l’État, des organisations mondiales, de l’Europe. Là où c’est bien évidemment le plus difficile. 

mercredi 13 février 2013

tout va mal


Zone de sécurité prioritaire 14 02 13


Château Rouge. Le métro. En haut des marches, un enfant, une petite fille semble-t-il, de deux ans ou moins, est seule abandonnée. Quelques passants s’arrêtent, dont Brigitte et moi. Nous nous approchons. Où es ta mère ? Tiens, bizarre, il ne viendrait à personne l’idée de demander « où est ton père ? ». Où est ta mère. Bien. Elle ne répond pas. Elle ne pleure pas. Ou alors très silencieusement.  Je sors mon téléphone futé et je m’apprête à appeler je ne sais pas qui. En sortant mon appareil, mon œil rencontre un camion de CRS qui stationne près du marché Dejean. Je frappe à la vitre. D’abord, personne ne répond. Je refrappe. La vitre s’ouvre. Au moment où la vitre s’ouvre, la mère de l’enfant est revenue s’assoir en haut des marches du métro. En même temps, un policier a vu la scène et s’approche. Je crie à la mère : vous ne devez pas abandonner un enfant comme ça ! Le policier : vous ne pouvez pas rester là. La mère sort son sein et allaite l’enfant. Nous nous enfonçons dans la masse anonyme en direction d’une maison de retraite où nous savons ce qui nous attend. Une majorité de femmes qui bavardent ou qui dorment sur des fauteuils confortables. Une minorité d’hommes très invalides, une animatrice qui distribue des gâteaux au yoghourt, très légers, cuisinés par les pensionnaires et des aides-soignantes qui accompagnent les corps vers les toilettes. Un homme s’indigne parce qu’une dame est dans les toilettes pour hommes et elle lui dit bonjour, elle ne comprend pas pourquoi s’il s’indigne, franchement, à ce stade, ces détails ont-ils de l’importance ? Nous prenons un café et une part de gâteau. Moi surtout.

Au magasin Carrefour du bd Barbès, une vendeuse me bouscule sans me demander pardon. Elle fait partie du pourcentage d’invalides ou de handicapés que les entreprises embauchent sinon, elles paient une amende. Les autres vendeurs, quand on leur demande un renseignement, vous font un signe de la main, c’est derrière, c’est par là, chez Fauchon, on vous  accompagne jusqu’au produit demandé, ils ne prennent pas leur pourcentage de personnel en difficulté physique ou mentale, en situation de handicap.  

Au journal télévisé, un reportage sur les urgences montrent l’encombrement, l’attente, les colères. Il y a maltraitance des malades dit un médecin. C’est affreux. Et il n’y pas si longtemps, une femme avait perdu son bébé parce que la clinique d’accouchement était un peu loin. Ensuite, l’enquête a montré qu’il n’y avait pas eu de manque de soins. Mais l’incident avait occupé de longues minutes, un bébé mort.

D’un côté, l’accablement, le pessimisme, les entreprises qui ferment et les rythmes scolaires en tachycardie, tout ce qui bouge bouge mal. De l’autre, on peut décrire une société qui prend soin de ses plus démunis, les vieux, les pauvres, les migrants, les invalides, les bébés en haut des marches du métro. J’ai un peu de mal à m’y retrouver. Je ne m’y retrouve pas du tout. Faut-il pleurer faut-il en rire ?

La Goutte d'Or compte environ vingt-cinq mille habitants. Le quartier comprend une partie de difficultés parmi ses habitants, mais il attire surtout la misère, les galères, liées à la migration. C’est ici plus qu’ailleurs que les gens en difficulté viennent trouver des solutions à leur galère : mendicité, ventes illicites, drogues, commerce en tout genre. C’est ici plus qu’ailleurs que les fonds publics financent l’activité de combien de personnes pour une si petite surface : policiers, enseignants, accueil des usagers de drogue, associations intervenant dans le domaine de l’éducation, de la santé. Il faudrait compter. Pour chaque galère, combien de salariés ? Des salariés qui collectivement, doivent décrire l’horreur pour continuer à percevoir leur salaire, pour ne pas se retrouver au chômage. Personne n’a intérêt à ce que ça aille mieux. Il faut que ça aille plus mal. Toujours plus mal. Les intervenants dans le champ social détestent les évaluations qui dénonceraient des gaspillages, des disfonctionnements, des interventions inutiles. Il faut que tout aille plus mal pour que leur travail subsiste. Les dizaines de milliers de personnes engloutis dans le conflit nord-irlandais se retrouvent au chômage avec le processus de paix. Est-ce que les gardiens de prison, les vitriers, et les courtiers en assurance militaient farouchement pour la fin de la guerre ? Pas sûr. Est-ce que tout le monde ici milite pour que tout aille mieux ? On ne recueille de l’argent, on ne recrute des militants, que dans la dénonciation. Si ça va mieux, les gens au creux du lit font des rêves. Il faut que ça aille plus mal. Les interventions qui visent à améliorer concrètement, prudemment, lentement, les vies, le cadre, le logement, l’éducation, sont mal perçues. Elles vont mettre au chômage la bienfaisance, la charité, l’engagement désespéré, les croyances millénaristes.

Quand un malade guérit à Lourdes, on tresse des lauriers à Sainte Bernadette. Quand un malade ne guérit pas à l’hôpital, on fait un procès au médecin. Pour que les gens continuent de se presser dans la grotte miraculeuse, il faut que les hôpitaux marchent mal et que de temps en temps, ils ne guérissent pas. Pour que les gens continuent d’écouter les discours messianiques, il faut que les sociétés où ils vivent soient dénoncées en permanence comme des enfers sur terre.

lundi 11 février 2013

Le pape n'est pas mort


L’unanimité fait loi. Si Benoît XVI est salué par les chefs d’État, les rédactions, les pèlerins de la Place Saint-Pierre, si tous applaudissent une décision courageuse, digne de respect, preuve de liberté, c’est que l’annonce du retrait du Pape est une décision courageuse, digne de respect, preuve de liberté. Quand on est au sommet, renoncer, se cacher dans un monastère, ne doit pas être aisé. J’allais me moquer. Présenter comme révolutionnaire la démission d’un haut dignitaire qui ne peut plus se déplacer qu’appuyé sur trois ou quatre cardinaux, je trouvais ces louanges un tantinet ridicule. J’avais tort. Voyez les chefs politiques et les chefs religieux d’autres croyances, d’autres systèmes. Est-ce que Fidel Castro a démissionné ? Grabataire, usé, il continue. Chavez est-il prêt à renoncer ? Il faudrait davantage de métastases. SI Kadhafi, Ben Ali, Moubarak, avaient été papes et que les pèlerins leur avaient crié « dégage », ils auraient envoyé les gardes du Vatican pour disperser la foule. En Chine et en Union soviétique, on mourait, on ne démissionnait pas. Mao, Staline, Kim Il Sung, Brejnev, n’étaient pas moins épuisés que Benoît XVI. Ils se sont accrochés. Je rallie donc la foule qui s’incline devant la décision de Benoît XVI.

dimanche 10 février 2013

misère du quartier


L’émission C à dire (France 5,  sur les salles de shoot réunissait sur le plateau Le docteur Lowenstein, la présidente de la MILTD, une sociologue spécialiste des drogues, un policier doux. Et Yves Calvi. Dans l’ensemble, les présents étaient plutôt favorables à l’expérience et même à la réalisation de salle de consommation à moindre risque. Les difficultés étaient affrontées : la salle de shoot est un endroit où la consommation de drogue est légalisée. Mais dans l’ensemble, le débat était un vrai débat de santé publique. Personne pour dire que la réduction des risques est un encouragement à la consommation, tout le monde pour dire qu’il n’y a pas de société sans drogue. Que les salles de shoot existaient déjà : c’était la rue, les halls d’immeuble, les squares désertés. Que des maires de droite et de gauche en demandaient. Un débat de bonne tenue.

Au Grand Parquet, un spectacle sur la vie rêvée d’une clodarte mot valise : clodo+clocharde. Isabelle Esposito nous montre son appartement, ses rêves et ses folies. Le Grand Parquet a été déplacé, il reste le même, une tente chauffé par soufflerie, un bar qui s’ouvre quand une dame décide d’ouvrir, mais qui reste fermé à la fin du spectacle. Autour de la tente, des clodarts, des consommateurs de drogue, des employés qui ont peur, parfois, on vient déféquer devant la billèterie et plus loin, un camion de CRS stationne rue d’Aubervilliers. A côté, Barbès semble calme, un groupe de jeunes en bas des escaliers du métro qui attendent l’acheteur. Ils murmurent sans conviction Malboro ou quelque chose qui ressemble à « Des Jaunes ».
De la misère on fait un spectacle. La réalité de la misère indispose. Dans le métro, parfois, un clodart sent mauvais et le wagon se vide. Un couple passe au Grand Parquet une bouteille de rouge à la main rejoindre un groupe de zonards près du camion de CRS. Des chercheurs prédisent la faim dans le monde pour surpopulation, dérèglement climatique. La misère fait peur parce qu’elle n’est pas en voie d’éradication, ou ne semble pas, mais semble au contraire indiquer un avenir possible de l’humanité tout entière. Ces mondes sur écrans d’où les règles qui nous protègent ont disparu, où règnent brutalité des âges barbares. Comme si on venait juste de quitter ce monde et qu’il nous menace encore.

Tous les jours que je passe à la Goutte d'Or, je suis dedans. Je ne partage pas, je vois la misère, la galère, je la côtoie, je la caresse, je la bouscule. Je pourrais l’éviter, je connais les moyens, les itinéraires, les ruses et les aveuglements de l’évitement. Je ne les utilise pas. Pour me montrer comme je suis bien dans mon confort privilégié ? Les autres qui me donnent des conseils de prudence habitent ailleurs, à Montreuil, en lointaine campagne. Ils pourraient me répondre que je passe beaucoup de temps à Biarritz. C’est vrai. Le mieux peut-être est de quitter le terrain de la morale, de la responsabilité personnelle, des accusations ad hominem. Je choisis un terrain dont je pense qu’il n’est pas seulement intéressant en soi, mais qu’il me rend intéressant par l’intérêt qu’il suscite. Donc plaisir je prends. A la différence du plaisir d’amour, le plaisir de la misère dure plus qu’un instant.

Je le sais, j’en jouis, je le savoure. Dans ma vie universitaire, j’aurais pu choisir d’étudier la reproduction des escargots de Bourgogne, mais d’avoir choisi l’Irlande du Nord et ses conflits provoquaient toujours chez mes interlocuteurs un questionnement avide. Avant l’Irlande du Nord, je nourrissais mon identité par mes engagements politiques, par la révolution quotidienne, par des convictions ancrées dans un immense camp de concentration. J’ai quitté la révolution, j’ai quitté l’Irlande du Nord, pas tout à fait, je m’attache encore. Je me retrouve dans un quartier dont on parle beaucoup, la Goutte d'Or, ses délinquances, ses vendeurs de cigarettes, ses drogues, ses religions, ses prières dans la rue et chaque fois, je décline mon adresse en disant, oui, c’est bien là que j’habite. Chaque fois, l’étonnement est aigu. Mes interlocuteurs sont persuadés que je suis « embedded », un sociologue participatif, ce ne peut pas être par choix. Je les détrompe et je ne les détrompe pas. D’une certaine manière, je suis ici par hasard, le prix du loyer, etc. Mais une fois ici, je me suis effectivement intéressé au quartier parce qu’il est intéressant. Enfin, intéressant. Tous les quartiers sont intéressants puisqu’ils contiennent des gens et que les gens, s’ils sont en nombre suffisant, sont forcément intéressants. Des histoires de famille, des conflits d’immeuble. Tenez, les réunions de copropriété, on peut penser qu’elles sont ennuyeuses, erreur, chaque fois ce sont des pièces de théâtre qui s’y jouent. Mais soyons réaliste. Si vous dites, dans une soirée en ville, j’ai assisté à une réunion de copropriétaires, il n’est pas du tout certain que l’assistance va se mettre à frétiller d’excitation. Alors que si vous dites, j’ai assisté à une réunion de consommateurs de crack à Barbès, les oreilles se dressent, les gens sont ferrés et après, c’est à vous de maintenir l’intérêt.

Pourquoi cet intérêt ? Personnel, provoqué, partagé. Enumérons. A la Goutte d'Or il y a des migrants, des chômeurs, des Musulmans, des Juifs, des prêtres ouvriers, des Tchétchènes, des Roumains, des Pakistanais, des Africains qui vendent tout et achètent n’importe quoi. Plus des salariés aisés ou modestes, des étudiants qui trouvent ici une chambre moins chère que rue Madame. Des artistes, beaucoup d’artistes, qui affirment trouver ici inspiration, couleurs, images, musique, accents, gourmandises, et que pour rien au monde, ils n’iraient vivre ailleurs. Ici, on parle prévention, insertion des jeunes, religions, guerres dans le monde arabe, coupe africaine de foot, prostitution ethnique, mendicité avec enfants comme témoins, cour des miracles et miracles dans les cours. Des buveurs de bière qui pissent là où ils sont. Des vendeurs à la sauvette qui se battent pour une place sur l’étroit trottoir et des habitants qui jettent de l’eau froide pour les calmer. Ici, monsieur, vous trouverez ce que vous ne trouverez nulle part ailleurs, sauf si vous voyages loin. Ici,  monsieur, se mènent la bataille de l’insertion, de l’intégration, de la prévention, de la solidarité, du changement urbain. Ça ne rend pas forcément plus intelligent, mais ça oblige à se poser des questions.


samedi 9 février 2013

religions et laïcité


Manuel Valls s’adresse aux musulmans à Drancy (le monde, 6 fev 2013)

L’islam doit être l’héritier de l’islam des lumières. « Nous ne voulons pas que l’argent venu de l’étranger change la nature de l’islam de France comme c’est souvent le cas dans d’autres pays ». Il reconnaît qu’il y a parfois des doutes sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la république, la laïcité, l’égalité homme femme.

Imaginons un discours s’adressant aux Juifs de France. «Nous ne voulons pas que l’argent venu de l’étranger change la nature du judaïsme en France. Il faut reconnaître qu’il y a des doutes sur sa compatibilité avec les valeurs de la république, l’égalité homme femme, la laïcité.

Ou encore un discours s’adressant aux catholiques de France. « Nous ne voulons pas que l’influence du Vatican change la nature du catholicisme français. Il faut reconnaître qu’il y a des doute sur sa compatibilité avec les valeurs de la république, l’égalité homme femme, la laïcité.

 La France n'a plus de problème avec le catholicisme, plus de problème avec le judaïsme. Elle en a un avec l'Islam. 

mercredi 6 février 2013

salle de consammation


L’association EGO est un lieu d’accueil, de prévention et de soins de la toxicomanie dans le quartier la Goutte d'Or qui fonctionne depuis plus de trente années.  Cette expérience nous permet et nous oblige à intervenir dans le débat public qui s’ouvre sur l’ouverture d’une salle de consommation autour de la Gare du Nord.
L’ouverture d’une salle de consommation correspond d’abord à une situation calamiteuse. Des scènes de drogue ouvertes, des consommations dans les rues ou les halls d’immeuble, des seringues qui traînent. La salle de consommation  n’est pas « un encouragement à la drogue », elle est d’abord une réponse à une situation dramatique à la fois pour les usagers et pour les habitants. Là où ces salles se sont ouvertes, le débat a été vif, mais contrairement à ce qui se passe en France, il n’a pas divisé la classe politique selon des lignes clivages classiques ici : la gauche laxiste contre une droite répressive. Les élus de droite, à Genève ou Amsterdam, n’étaient pas les derniers à revendiquer pour les habitants de leur ville, un lieu où la consommation de drogues deviendraient invisibles et n’encombreraient plus les rues. Si la discussion pouvait porter sur l’intérêt des riverains et la santé des usagers, et non plus entre laxisme et répression, les enjeux deviendraient plus clairs. Les lieux de prévention d’EGO sont aujourd’hui acceptés et encouragés par l’ensemble des élus de l’arrondissement.
Deuxième idée qui correspond à notre expérience. Une salle de consommation, un lieu d’accueil d’usagers de drogues ne peuvent s’implanter que s’ils acceptés et soutenus par les autorités (élus, police…), les professionnels de santé et de prévention, les habitants et leurs associations. Pour réussir, il ne faut pas se hâter. Il faut prendre le temps nécessaire de la discussion, de la pédagogie, ne rien imposer. On répondra qu’une telle conception empêchera l’ouverture des lieux de soins pour l’éternité. Erreur. Quand on s’adresse à l’intelligence et au cœur des citoyens, ils sont capables de comprendre. Mais il ne faut pas prendre leur irritation comme des manifestations de repli égoïste. Et si on n’arrive pas à convaincre ? Et bien, la salle ne s’ouvre pas. Car si elle s’ouvre contre tous, elle ne marchera pas.

mardi 5 février 2013

sciatique


            Dans le TGV Biarritz Paris, ce mardi matin, une sensation de creux à l’estomac qui me frappe régulièrement sur ce trajet après Bordeaux, vers treize heures, me pousse à me lever et à me diriger lentement dans le wagon vers le logo représentant un sandwich barré par un verre à pied. J’arrive dans un wagon où une dame, derrière un comptoir encombré de barres de chocolat, distribue des boissons et des menus traiteurs, moins quinze pour cent si vous disposez de la carte senior, alors que les moyens des retraités sont supérieurs à ceux de l’étudiant en lettres classiques d’Angoulême qui paie pourtant plein pot.  

            Devant le comptoir, une file de voyageurs attend lentement. La file part du comptoir et continue vers les wagons de seconde. Comme je viens d’un wagon de première, je me prépare à remonter la file pour prendre mon tour et attendre sagement le moment de la commande qui calmera cette sensation de creux à l’estomac.

            Je me dirige vers la file d’attente, tranquillement, en pensant à ce que j’ai oublié, dans un état de calme relatif étant donné la tension du monde et le pessimisme particulier à mon pays, comment ne pas être influencé par des informations qui ressemblent à un bulletin de météo par gros temps. Tout à tout coup, la foudre me frappe. Un grand coup sur la tête. Je blanchis, je rougis, je m’accroche au comptoir. Je ne m’y attendais pas. La serveuse m’a regardé, elle m’a vu, elle m’a dit, je vais prendre votre commande, monsieur, restez où vous êtes. Je la regarde et je lui dis, mais pourquoi ? Pourquoi allez-vous me servir avant tout le monde ? Elle me dit, ne vous faites pas de souci, je m’en expliquerai avec les autres voyageurs, je prends votre commande. Du coup, je prends un menu traiteur le plus cher moins quinze pour cent en présentant ma carte senior.

            Voilà. C’est arrivé.  Pour la première fois de ma vie, quelqu’un a remarqué ma claudication. Il est vrai que depuis quelque temps, je souffre d’une sciatique sévère qui me fait boiter. Je n’en parle jamais car j’ai horreur des gens qui parlent de leurs maladies et déjà que je ne m’aime pas trop, si je parlais de ma sciatique, je me détesterais encore plus. Mais à ce point, cette information est nécessaire car sinon, on ne comprendrait pas l’interjection sonore d’une serveuse de wagon restaurant : « Monsieur, restez où vous êtes, je vais prendre votre commande ». Cette maladie que je tente de cacher derrière une canne, derrière des cache-poussières, à grandes rasades d’analgésique, est-elle si visible qu’elle dérange l’ordre immuable d’une file de comptoir ? Je grommelle, perturbé, mais que faire ? Résister ? Aller prendre ma place au bout de la file ? Je passe commande. Et je vais m’assoir en attendant que le plat principal, des pâtes aux champignons, sorte fumant d’un four électrique. En face de moi, un homme encore jeune allonge une jambe sur le siège d’en face et grimace de douleur. Tant et si bien que je lui demande si je peux l’aider. Là, je retrouve un peu de dignité. Je ne suis plus une carte d’invalidité ambulante, je suis un Jean Valjean de TGV, une sœur Therésa des voies ferrées, un médecin volant dans un camp de réfugiés. Il me dit, non, je ne peux rien faire. Il a une sciatique sévère qui le fait souffrir même assis. Moi, je lui dis, j’ai aussi une sciatique mais quand je suis assis, je ne souffre pas. Nous discutons sciatiques. J’attends que la serveuse m’appelle. Et à nouveau la foudre. Une voyageuse qui attendait dans la file devant le comptoir vient me porter le plat fumant. Elle me regarde gentiment pour que la bonté de son geste se reflète dans son regard. Elle n’est plus que bonté. Je regarde le voyageur qui souffre en face de moi pendant que je mange mes pâtes aux champignons. Il souffre tellement qu’il est réduit à sa souffrance. Qu’il n’est plus que douleur. Je n’ai pas envie de lui demander ce qu’il fait dans la vie, est-il marié, salarié, avocat, chômeur artiste ? Il souffre de sciatique. Comme moi, tout à l’heure, devant le comptoir, je n’étais plus que sciatique. Depuis que je suis né, je rêve d’être autre chose qu’une maladie et voilà que je ne suis plus que ma sciatique. Comme la jeune femme tout à l’heure, qui est peut-être chercheuse dans un laboratoire hospitalier et amoureuse d’un marin-pêcheur, n’était plus que bonté.