Zone de sécurité
prioritaire 2 déc. 13.
JB habitant Boulevard Barbès, cinquième
étage, vient d’acheter plus grand dans le même immeuble. Il est retraité,
voyage beaucoup, fait toutes ses courses en dehors de la Goutte d'Or, tourne le
dos à la Goutte d'Or, ne connaît pas l’église Saint-Bernard, ni la médiathèque,
aucun restaurant. Quand il sort, c’est vers le soleil couchant, vers la butte,
vers les cafés de l’autre côté. Il peut acheter un grand appartement, plus de
cent mètres carrés, et littéralement ne pas habiter le quartier. Son
irritation : les regroupements qui bloquent l’accès à son immeuble,
freinent les déplacements vers les métros Barbès ou Château Rouge.
ZB
part à la retraite en mars 2014. Elle vend son appartement rue Doudeauville.
Comme Jocelyne, Martine, comme Catherine. comme beaucoup, comme combien ?
Encore une fois, le mois dernier, il y a bagarre entre les prostituées au bas
de son immeuble. Encore une fois, les habitants se sont penchés, ont crié,
taisez-vous ! ZB a pris une bassine d’eau froide, l’a jeté par la fenêtre.
Elle habite le premier étage. Les prostituées l’ont vue. Elles ont commencé à
lui lancer des pierres contre ses vitres. Elle téléphone à la police, qui
arrive une demi-heure plus tard. Il y a trois mois, elle se félicitait de la
Zone de sécurité prioritaire, car la police arrivait très vite. Aujourd’hui,
trois mois plus tard, elle vend son appartement et achète une maison en
Normandie, près de sa famille. ZB dit que des gens de son immeuble pourtant
plutôt moins réacs qu’ailleurs évoquent l’idée de milices d’habitants pour
chasser les prostituées. Elle dit que sa famille, ses enfants, ses frères, ses
amis, lui disent depuis longtemps de partir, que ce n’est plus possible. Elle
est chez moi, dans mon jardin, protégé, calme, ah ! dit-elle, si
j’habitais ici, je ne serais jamais partie.
Si la mixité est un combat, voici une
bataille de perdue. Moi-même, dans mon jardin protégé, depuis l’instauration de
la Zone de sécurité prioritaire, je passe beaucoup plus de temps à Biarritz, où
je dispose d’un pied-à-cœur. L’âge, les problèmes de santé, les plus grandes
difficultés à me déplacer, la fatigue du bulldozer pour accéder au métro, la
vérité est que je fatigue. Hier, en haut des marches du métro Château Rouge,
trois mendiants assis, étalés, allongés en haut des marches, occupaient la moitié au moins de la surface
d’accès, les porteurs de cannes, les voitures d’enfant, ne peuvent pas passer.
A dix mètres, une voiture de police stationne. Dans quelle station de métro
parisienne pourrait-on voir cette intrusion, cette atteinte à la liberté de
circulation ? Avant la Zone de sécurité prioritaire, ça n’existait pas.
Avant la Zone de sécurité prioritaire, les voitures ne stationnaient partout
sur les trottoirs. ZB fatigue aussi. Elle aurait pu rester si elle avait trouvé
une association pour s’investir. Mais là, la perspective de la retraite, de se
retrouver toute la journée, pas seulement le soir, dans cette ambiance, elle
n’en peut plus. Encore une bataille de perdue.
J’accuse la Zone de sécurité
prioritaire d’avoir tué les rêves d’avenir, d’avoir remplacé une vision par des
patrouilles, d’avoir transformé un quartier en zone où la sécurité est
prioritaire, pas l’école, pas l’emploi, pas les cinémas, les instituts de
culture d’Islam, pas le centre Barbara. Pas la médiathèque, pas les nouvelles
boutiques de mode et de nourriture. Un endroit pour Manuel Valls interdit à
François Lamy. Dans les réunions ne parlent que les habitants en colère et le
commissaire, le préfet, le procureur. La politique de la ville se tait parce
que Zone de sécurité prioritaire et politique de la ville sont contradictoires,
s’excluent. Ne peuvent pas coexister.
J’accuse la Zone de sécurité
prioritaire de chasser du quartier mes amis, mes connaissances, mes copains. Et
comme j’ai l’âge de mes artères, je me dis parfois que tout recommence. Qui
avait envoyé les forces de l’ordre pour résoudre un problème politique, en
Algérie ? Qui avait été plus impressionné par les colères des colons, qui
n’avait pour seul souci que d’assurer la sécurité d’une minorité
vociférante ? J’ai connu la Goutte d'Or avec ses patrouilles de harkis,
ses patrouilles de CRS. Je retrouve la Goutte d'Or avec ses patrouilles de CRS
et de policiers rembourrés. J’accuse la Zone de sécurité prioritaire de rejouer
symboliquement la guerre d’Algérie.
La politique réduite à des conflits
personnels ou à des victoires électorales s’étiole. Ce qui important, c’est que
les discussions, les campagnes, les arguments, les programmes, les décisions,
soient des pierres constructrices d’un avenir, d’une pédagogie, d’une
réflexion. Que les politiques ne détruisent pas l’avenir, qu’elles ne
l’insultent pas. Depuis la Zone de sécurité prioritaire, où est le quartier, où
la politique de la ville ?
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