Les responsables socialistes sèment des pièces de puzzle,
aux militants de retrouver la trame de leur politique. Jamais aucun pouvoir n’a
fait autant confiance en l’intelligence des militants qui l’ont soutenu et qui
maintenant l’accompagnent. D’autres nous présentent des prêts à penser, des
recettes en kit. Pas nos chefs. Ils nous créditent d’une intelligence hors pair
pour deviner le chemin suivi. Aujourd’hui, la fin des contrats à durée
indéterminé. Des contrats précaires qui pour la gauche aux aguets sont le signe d’un glissement à droite.
A nouveau, il faut réfléchir. Partir de nos grands principes
pour analyser les fragments d’une politique en construction. J’ai longtemps
vécu avec l’idée que le fond d’une politique de droite est la protection des
privilèges et que la gauche se doit de faire bouger les destins assignés par le
territoire, l’origine ethnique ou la classe sociale.
Or, une partie importante de la gauche, y compris la plus
extrême, n’a cessé de défendre les situations acquises. Fonctionnaires contre emplois
privés, emplois statutaires contre les précaires, hommes contre femmes, nationaux
contre immigrés, titulaires contre précaires. La défense par le parti
communiste des ouvriers les plus privilégiés, notamment dans la presse, est
présente dans toutes les mémoires ouvrières.
Universitaire, j’ai longtemps été confronté à cette défense
corporatiste. Que rien ne bouge. Dans les universités et les centres de
recherche, des titulaires qui ne faisaient plus depuis longtemps de recherche,
qui n’avaient rien produit depuis la soutenance de thèse, complétaient leur mince
service par des heures supplémentaires
dans les grandes écoles où se préparaient à entrer leurs rejetons. Quand il
était suggéré qu’un universitaire qui n’avait mené aucune recherche depuis des
années pouvait assurer quelques heures de plus pour aider les collègues qui
préparaient leur thèse, les réactions étaient tsunamiques. Quand Claude Allègre
a proposé de ne plus payer les heures supplémentaires non faites dans les
classes de prépa, tous les anciens normaliens, de l’extrême-gauche à la droite
traditionnelle, se sont retrouvés place de la Sorbonne pour défendre le
triangle d’or du Quartier Latin, Louis le Grand, Henri IV, Saint-Louis.
Aujourd’hui
que les vents contraires se lèvent, la protection des prés-carrés est devenue
plus urgente. Chacun s’arque boute sur son échelon. Les notaires, les
chauffeurs de taxi, les pharmaciens, se présentent comme les prolétaires du XXIème
siècle. Les habitants des ghettos dorés manifestent contre les logements
sociaux le matin et pour la famille traditionnelle l’après-midi.
Pour améliorer les carrières de tous, il faut secouer les
situations acquises. Pour améliorer les carrières du grand nombre, il faudra
mettre fin à la sécurité d’emploi pour une partie des salariés.
Mais pour que les réformes fonctionnent et soient acceptées, il faut que le haut donne l’exemple.
Gérard Collomp propose une plus grande précarité dans les contrats de travail
mais défend le cumul des mandats pour les élus. Un pouvoir de gauche pourra
réformer de manière plus paisible s’il commence par le haut. S’il propose des
contrats plus souples, sans doute nécessaires, en multipliant les Académies d’Immortels,
immuables, intouchables, dans les entreprises, les cabinets et les
administrations, il sera mal entendu.
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