lundi 5 janvier 2015

ne ratez pas la marche

Ne ratez pas la marche

         Le dernier né vomit dans les nuages de fièvre. Il tarde à parler. Il marche. Il sourit. Il se lève. Rien n’existe plus que son bulletin de santé. Le premier né s’affale sur le carrelage de la salle de bain. Le voisin le trouve ainsi allongé et appelle l’ambulance. Un AVC, toujours le cœur s’arrête. Et partout, pour les derniers comme pour les premiers, les derniers qui deviendront les premiers, des escaliers, des perrons, un étage sans ascenseur, descendant vers l’abîme du métro, montant vers la chambre du premier, des marches vers le ciel, des marches vers l’enfer. Le plat est un désert. La mer sans vagues est un lac, la vie sans marches est une longue sieste. Le cabaret au-dessus de la côte des Basques s’appelait les Cent marches, ça vous a une autre allure que Bibi Exola. Un restaurant sur Grands Boulevards se nomme les Quatre marches.  Un restaurant bon marché.

         Marche ou crève.

         D’aussi loin que remontent mes souvenirs, les marches s’imposent. Mes parents étaient marchands forains. Ils faisaient les marchés. Quand ils ont acheté une boutique, la porte d’entrée était précédée d’un perron de deux ou trois marches. A Saint-Quentin comme à Paris. Ils habitaient au premier étage, au-dessus de la boutique, un premier étage sans ascenseur. Puis ils ont habité au troisième étage, sans ascenseur. A Paris, j’ai habité une chambre de bonne d’abord, sept étages sans ascenseur, puis un appartement au second, sans ascenseur, deux étages, grimpés les derniers-nés sur un bras et le panier sur l’autre bras. Encore un logement au deuxième, puis une maison avec trois marches et une porte sur croisillon. Combien d’invités se sont écroulés sur ce piège infernal. Attention, crions-nous, il y a une marche. Puis un autre appartement dit rez-de-chaussée, mais en fait en haut d’un escalier qui menait vers le jardin. Trois marches pour pénétrer dans le couloir. Encore des marches pour aller chez les voisins et les voisines. Nouvel exil, vers une maison d’un seul niveau et pourtant trois marches, et toujours attention à la marche, surtout en hiver, quand il a plu verglacé[mg1] .

         Les marches sont des obstacles de luxe, pour une population de pays développé. L’extrême misère ne connaît que le plat. Le plat des villages, le plat des bidonvilles. Dès que s’élève le niveau de vie se construisent les marches. On objectera que certaines tours sont des taudis verticaux. Oui, mais elles ne l’étaient pas au début. Elles sont devenues taudis avec le temps, avec l’abandon. Elles seront détruites et chacun de ses habitants rêve d’un pavillon sans marche, d’un seul niveau.

         Pour les derniers-nés comme les premiers-nés, les marches sont des obstacles et des instruments de promotion. Le dernier-né se traîne sur le plat et s’élève sur l’escalier souvent interdit par une barrière mobile. Le premier né est conscient d’appartenir à  la communauté des vivants par sa capacité à descendre et à grimper les escaliers. La fatigue, le grand âge, le handicap, réclame du plat, efface les degrés. Devant les bâtiments publics, à l’entrée des restaurants, le béton aplatit les marches pour les derniers et les premiers-nés, la loi arase les terrains pour les premiers et les derniers pas.






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