Pour
Clémentine Autain, membre de Front de gauche, la comparaison de François
Hollande entre le FN et le PCF est une attaque contre tous les tenants d’une
« gauche de transformation sociale » (le monde, 23 avril 2015). Elle a raison. L’histoire de la gauche
radicale oscille entre deux pôles : ou bien elle se maintient dans une
opposition vociférante contre les injustices ou bien elle s’allie à d’autres
courants réformistes pour gouverner. Clémentine Autain fut un temps composante
d’une majorité de gauche à Paris conduite par Bertrand Delanoë, mais elle n’a
pas supporté la patience des réformes, elle a rompu pour être minorité d’une
minorité d’un Front de gauche. Elle a conservé de forts liens avec les catégories
populaires puisque partout où elle se présente, elle obtient un score qui
s’arrête généralement au tout début des nombres premiers.
Partout
où le réformisme est parvenue au pouvoir, les gauches de « transformation
sociale » deviennent des machines à détruire. Rien ne trouve grâce à leurs
yeux. Blum, Jospin, Mitterrand, Brandt, Zapatero, Lula, citez-moi une décision
que vous estimez positive. Aucune. Jamais. Quand la gauche radicale gouverne,
qu’elle détruit l’avenir, clive la société, réduit les libertés, elle trouve
des soutiens résolus. La révolution culturelle de Mao était un mouvement
populaire. Le front de gauche trouve spontanément, facilement, des mesures
louables chez Mugabe, Chavez, Castro. Chez Mandela et Blair, jamais. On tape, on
creuse, on détruit et les gravats du bulldozer valent programme.
Dans
l’entreprise de démolition, la manifestation du 11 janvier 2015, après les
massacres de Charlie Hebdo et du magasin kasher, est un obstacle de taille. La
France dont rêve la gauche était dans la rue, sans le Front national, qui
manifestait sur une placette de province, et avec Nicolas Sarkozy qui tentait
de se faufiler au premier rang à coup d’épaulettes. Ça ne dure pas longtemps,
mais le temps que ça dure, il faut prendre. Qui tient ce plaisir immense pour
un flash totalitaire, qui analyse cette manifestation comme une manifestation d’exclusion
des catégories populaires et des immigrés, qui ravale ses émotions et ses
enthousiasmes sous une cartographie dérisoire, celui-là se prive d’un rare moment
où l’on peut à la fois comprendre et participer.
Je
n’avais pas besoin des cartes d’Emmanuel Todd pour constater qui était présent
et qui était absent. Quand des manifestations syndicales rassemblent cent ou
deux cent mille manifestants, Todd ne fait pas de cartes pour étudier qui est
présent et qui est absent. Pourtant, ce sont des manifestations qui crient les
mêmes slogans, sur la trahison des couches populaires par le parti socialiste. Ces
discussions ne sont pas neuves. Elles ont opposé Jaurès et Guesde sur l’affaire
Dreyfus. Elles ont opposé suffragettes et syndicalistes pour qui la
revendication du droit de vote était une revendication des femmes de la
bourgeoisie. Les révolutionnaires refusent les réformes parce que dans une
société divisée en intérêts opposés, elles profitent d’abord aux plus favorisés.
Ils disent que la démocratie est un luxe de riches. Que la laïcité est un
privilège de privilégiés. Que les libertés occidentales sont des illusions, des
dictatures déguisées. Ils disent qu’il faut admettre, comprendre, les préjugés,
les haines des étrangers, les engagements religieux, qui sont la seule richesse
des démunis de tout. Elles disent que la dictature populaire vaut mieux qu’une
démocratie bourgeoise. Ils disent qu’une émeute vaut mieux qu’une grande
manifestation pacifique.
Faites
l’expérience. Allez dans les conseils de quartier, dans les réunions
municipales, les associations de parents d’élèves, vous constaterez l’absence
des couches populaires. Des plus pauvres, des exclus. Vous verrez la présence
de militants politiques, de couches moyennes, de responsables associatifs, de
commerçants, d’artistes. Ils sont ensemble et influencés par les cris de Mélenchon,
de Todd, d’Autain, ils déplorent l’absence des couches populaires de leurs
réunions. L’absence des immigrés récents, des jeunes précaires, des familles
monoparentales, des plus pauvres, des plus marginaux. Enseignants, assistantes
sociales, médecins, soignants, ils passent leur temps, ils consacrent leur
énergie à maintenir leur quartier et ses populations en difficulté à flot, à
combattre le scepticisme. Ils étaient tous dans la rue le 11 janvier et on leur
dit maintenant qu’ils représentent la France catholique réactionnaire. Des
Vendéens. Des bobos. Des Pétainistes.
Faisons
l’expérience inverse. Supprimons de la France d’aujourd’hui les quatre millions
de manifestants, la gauche réformiste, il reste une société divisée, morcelée,
en guerre civile larvée ou ouverte où les slogans péremptoires l’emporteront
sur la réflexion et dont Todd, Mélenchon, Autain, nous feront la cartographie.
Pour une fois, je suis tout-à-fait d'accord avec Maurice Goldring ! Mais comme il a l'habitude de censurer mes commentaires, laissera-t-il celui-ci ?
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