J’ai
connu la deuxième guerre mondiale. Cent millions de morts. L’exode, la fuite
sur les routes. Puis les fins de guerres coloniales. Des millions de morts en
Algérie, en Afrique noire, en Indochine, au Kenya, en Inde, à Madagascar. Puis
la guerre froide, les crimes du stalinisme, la famine en Chine, en Afrique. Des
bandes armées en Colombie, au Pérou, L’empire soviétique s’est effondré.
Quelques conflits armés résiduels en Irlande du Nord, au Pays basque, en Corse.
Nous étions à peu près tranquilles. Nous pouvions voyager à peu près partout
dans le monde, partout dans le monde nous attendaient des hôtels cinq étoiles,
des piscines entourées de serviteurs zélés, des safaris.
Puis
une autre période s’ouvrit où les mouvements de population furent plus
compliqués. Apparurent de nouvelles guerres dans l’ancienne Yougoslavie, puis
en Irak, au Liban, en Lybie, au Yémen. Pendant toutes ces années, un conflit
permanent, Palestine vs Israël. Les déplacements se firent plus difficiles.
D’une part, les populations locales fuyaient les combats et cherchaient une
sécurité dans les pays en paix, dont les nôtres et la pression se fit plus
forte, d’où le renforcement des contrôles aux frontières. D’autre part, les
groupes armés s’en prirent aux occidentaux, touristes ou humanitaires,
coopérants ou chercheurs, médecins et biologistes et plus récemment, aux
touristes qui cherchent le soleil et la mer.
Pire
encore, des radicalisés s’en prirent directement aux Occidentaux là où ils
habitent, à New York, en France, dans les écoles, les entreprises. Là, non
seulement nous ne pouvions plus voyager partout, mais même sur place, on peut
désormais craindre le danger extrême.
Nous
en sommes là. On ne peut plus se bronzer en paix sur les plages tunisiennes, on
ne peut plus prier dans les mosquées chiites, on ne peut plus visiter une
exposition sans ouvrir son sac. Même dans des villages éloignés des grands
axes, on décapite. On kidnappe des infirmières. On tue des dessinateurs.
En
dehors de l’État islamiste, qui peine à exister en tant qu’État, la terreur a partout
reculé comme moyen politique. Des bandes armées tentent de s’assurer un
territoire où s’installer des arrières, mais pour l’essentiel, elles existent
en tant que bandes armées, illégales et pourchassées partout. Elles attirent
des combattants comme les mafias peuvent attirer de jeunes exaltés dans les
grandes villes nord-américaines ou italiennes. Parfois, ces groupes mettent la
main sur des municipalités, sur des entreprises de statut public, et alors
posent un grave problème de démocratie. Qu’est-ce qui l’emporte du fusil ou du
bulletin de vote ?
Sur
les aspects internationaux du conflit que tous les pays ciblés s’organisent et
s’unissent pour mettre hors d’état de nuire les criminels. En ce qui concerne le
pays où nous vivons, nous pouvons refuser d’avoir peur, de devenir ce que nos
adversaires souhaitent. Nous pouvons nommer l’adversaire en évitant les
amalgames. Nous pouvons combattre la xénophobie, le repli identitaire, le
dérapage. Comme celui du premier ministre, Manuel Valls. C’est une « guerre
de civilisation ». Deux dérapages. Une guerre ? Une guerre se mène
entre soldats. On fait ainsi aux djihadistes le cadeau de transformer des
criminels en soldats d’une armée régulière qui demanderont qu’on leur applique
la convention de Genève s’ils sont arrêtés. Ensuite, « civilisation ».
Une civilisation contre une autre ? Une guerre à laquelle ne peuvent
participer que ceux qui partagerait notre « civilisation » ? Où
tous ceux qui ne partageraient pas cette « civilisation » seraient
des ennemis potentiels ? Ce dérapage est propre à tous les nationalismes
guerriers qui considèrent qu’une nation ou un groupe ethnique est l’héritier de
valeurs ancestrales et tous ceux qui ne les partagent pas sont des étrangers,
des ennemis, des criminels potentiels. Une « cinquième colonne ». Les
socialistes protestent contre l’expression « cinquième colonne », mais
ils doivent protester contre l’utilisation de « guerre de civilisation »
qui contient le concept de « cinquième colonne » : tous ceux qui
ne partagent pas notre civilisation font potentiellement partie de cette
cinquième colonne. Guerre de civilisation alors que la majorité des victimes
des djihadistes sont des musulmans ?
Les
tenants d’une société larvaire s’arrogent le droit de désigner ceux qui ne
peuvent pas partager leur « civilisation»: les catholiques dans un pays
protestant, les protestants dans un pays catholique, les Juifs un peu partout,
les musulmans en Occident, les hexagonaux en Corse, les républicains au Pays
basque, les homosexuels, les femmes voilées ou celles qui ne le sont pas, les
athées dans les pays chrétiens.
Tout
ce qui nous fait ressembler un peu ou beaucoup à l’adversaire nous affaiblit.
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