L’âge
est une marche. Plus il est élevé, plus le ballon gonflé d’hélium s’élève vers
les nuages. Il n’y a rien à faire que de se laisser porter. Par les horloges,
le calendrier, les éphémérides, les fêtes religieuses, les jours fériés, les
armistices et les anniversaires. Julien connaît des personnes âgées qui
avancent leurs années comme argument définitif : dès qu’une question
divise les groupes de discussion, ils rangent leurs dates de naissance en ordre
de bataille, en avant marche, bataillons nostalgiques, héroïques, et
l’écrasante supériorité du temps anéantit l’adversaire. Ce ne sont pas ses
amis. Ses amis portent leur âge avec modestie. Ils répètent qu’ils n’y sont pour
rien, que si ça ne tenait qu’à eux, ils porteraient moins de jours sur les
épaules. Julien fait partie de cette cohorte qui refuse les légions d’honneur
gériatriques.
Quand
même. Il ne peut pas ignorer que les années fonctionnent comme les marées,
elles viennent, puis se retirent, en abandonnant sur la plage des algues, des
bois flottants, des sacs plastiques, des carcasses mortes, des connaissances,
des expériences accumulées. La marée laisse sur le sable une décharge publique,
les années s’accumulent dans une décharge privée dont il est vain de vouloir se
débarrasser.
On
lui dit parfois : tu ne fais pas ton âge. Il répond qu’il ne peut pas tout
faire en même temps. Faire son âge, grimper l’escalier, écrire une page de ce
de là, cuire une compote, porter la poubelle, séduire sa belle, jouer la
sarabande de Haendel, lire un roman islandais, partager l’apéritif, pérorer
dans la section socialiste, lire deux quotidiens, envoyer un message sur facebook, plonger dans la sieste,
s’endormir devant une série télévisée, et en plus faire son âge?
Il
refuse farouchement la marche communautaire, les applaudissements du public
captif de la maison de retraite pour qui joue un prélude de Bach. Il ne méprise
pas ces louanges collectives. Tout commence comme ça, tout se termine comme ça.
La famille applaudit le nouveau-né à sa première grimpette, les infirmières
encouragent l’ancêtre à son dernier pas de danse. Il attend avec terreur le moment
où il n’aura plus la force de résister aux applaudissements palliatifs.
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