jeudi 28 janvier 2016

le local est universel


Chaque fois que j’introduis la question de l’identité dans la bataille de l’EPCI, je provoque des réactions négatives. Je souhaite m’expliquer. Pour moi cette bataille de l’EPCI n’est ni mineure, ni locale. Elle fait partie des combats qui se mènent partout contre les replis identitaires.

     Dans le Pays basque, des abertzale (patriotes) demandent que les sept provinces du territoire soient réunies en un seul pays, indépendant si possible, autonome en attendant. Comme en Ecosse, comme en Catalogne, comme au Québec. La particularité du Pays basque est que pendant deux générations, des patriotes plus intransigeants que les autres, des etarras, voulurent imposer cet objectif par la violence armée. Comme en Corse, comme en Irlande. Défaits, fatigués, ils renoncèrent aux armes et poursuivirent leur objectif par d’autres moyens, légaux. Ce renoncement leur permit d’accéder au pouvoir en Irlande du Nord et en Corse, deux régions où les partis traditionnels (gauche, droite, gauche travailliste ou socialiste, droites conservatrices) furent éliminés et marginalisés.

     Après avoir renoncé au raccourci de la terreur, les abertzale veulent contourner l’obstacle de leur isolement en se portant au premier rang d’un projet incongru, l’EPCI, une structure administrative correspondant aux frontières historiques. Cette demande a été initiée par les élus socialistes qui ont obtenu du ministère de l’intérieur un projet regroupant toutes les communes du territoire (EPCI). Les adversaires de ce projet pointent l’impréparation, le chaos administratif et fiscal qui se dessine. Ils ne veulent pas prendre le risque d’un affaiblissement durable de tous les projets de développement sur lesquels ils ont été élus.

     On me dit qu’il ne faut pas introduire dans cette bataille la question identitaire parce que partisans de l’EPCI et adversaires ont en commun l’amour du Pays basque. Dans ce combat, chacun s’avance masqué : les abertzale voient dans l’EPCI une marche vers la reconnaissance politique du territoire. Les élus socialistes et républicains rusent avec les abertzale en reprenant leurs objectifs. Les adversaires du nationalisme basque mènent le combat au nom de la raison gestionnaire.

Je souhaite qu’on n’esquive pas ce qui est pour moi la question principale : je ne connais pas d’exemple où la confusion entre ethnicité et gouvernance n’a pas conduit à de graves et durables meurtrissures. J’aime le Pays basque, mais je l’aime sans frontières. Si l’on donne le pouvoir aux constructeurs de frontières, ils introduiront dans tous les domaines, économie, culture, éducation, sports, des clivages épuisants, des discriminations purificatrices. Ce Pays basque qui est si fort de son ouverture risque à terme de devenir une réserve linguistique, un grand parc national pour touristes. La langue basque, actuellement portée par un militantisme bénévole, s’étiolera. On n’aura plus besoin de l’apprendre puisqu’elle deviendrait langue co-officielle. Dans les cafés, les anciens combattants clandestins devenus guides de ce musée, raconteront leurs exploits aux enfants.

La culture et la langue basques sont actuellement protégées et portées par leur confrontation permanente avec l’altérité. Dans la ville de Biarritz, les élus abertzale ont été responsables de la culture : ils ont développé la culture basque, la langue a été soutenue, les ikastolas se créent et en même temps, les événements internationaux ont eu droit de cité. Mon hypothèse est que les abertzale radicaux voient ces succès comme un crève-cœur. Comment la langue et la culture basque peuvent-elles se développer sans la nation rêvée?

Nous devons combattre ces délires identitaires de toutes les manières. En montrant que le fonctionnement d’un tel monstre sera impossible. En rappelant notre inflexible opposition à l’ethnicisation de la politique. Une dénonciation uniquement comptable ne pourra pas freiner la déraison nationaliste.

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