Je suis assis
sur un banc de bois, face à la mer, j’entends la Shoah commandée par un client
à l’autre bout de la table. Un spasme me pinça l’estomac. J’avais entendu
parler de conflits armés, quelques centaines de morts de part et d’autre de la
Bidassoa, mais de Shoah, jamais. J’ai respiré un grand coup l’air marin, me
suis penché vers l’invraisemblable. « Je n’ai pas bien entendu, vous
avez dit Shoah ? Non, monsieur, j’ai dit axoa, l’axoa est un plat basque,
traditionnel, bien connu, familier. Une espèce de ragoût de veau parfumé de
piments d’Espelette. Passé au hachoir ou à la moulinette, mijoté, servi à la
cuillère ou à la louche. Mais vous vous rendez compte de comment ça se
prononce, votre plat traditionnel ? Parmi tous les touristes, nombreux à
Biarritz et sur la côte basque, il doit y avoir des rescapés, des descendants,
ou simplement des préoccupés ? Vous n’y avez jamais pensé ? Mais
monsieur, répondit l’inconvenant, l’axoa est un plat basque consommé plusieurs
générations avant que la solution finale fût même envisagée. Donc, c’était
plutôt aux historiens de trouver un autre nom qu’un plat basque traditionnel.
C’est toujours comme ça, depuis la nuit des temps, le nom le plus ancien
l’emporte sur le nouveau. Sinon, on ne s’en sort pas. Vous imaginez que le
goulag se soit nommé le goulasch. C’est d’ailleurs un bon exemple, parce que le
goulasch est une espèce de ragoût de bœuf qui rappelle par sa recette l’axoa.
Chaque fois qu’un voyageur, un randonneur, un cycliste le long du Danube,
s’arrête devant un restaurant et commande un goulasch, un client russe ou
bulgare ou hongrois ou ukrainien, poserait les mêmes questions, il dirait, l’air
effaré, vous avez dit goulasch ? C’est au suivant de s’adapter.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire