mardi 31 mai 2016

midlands et brexit


Voyage dans les Midlands 4-14 mai 2016

 

Sur proposition de Pat, la bande des quatre (en plus de Pat, Tony, Brigitte et moi), part explorer les lieux où la révolution industrielle est née, s’est développée, a mué,  a laissé place aux friches et aux musées. Pat Hudson est une historienne spécialiste de la révolution industrielle dont les travaux font référence. Tony Lane, capitaine au long cours, sociologue, Brigitte Pradier, directrice de maternelle et engagée dans la gestion municipale de Biarritz, et moi-même, en retraite de tout. Tous actifs, tous retraités.

Les voyages n’ont pas besoin de se réaliser pour changer la vie et bousculer les habitudes. L’annonce dans les semaines qui précèdent fait choc. Nous allons visiter des friches industrielles, c’est autre chose que les Baléares ou le désert de Gobi. Nous croisons sur le chemin les participants à Nuit debout, Place de la République. Les CRS et les policiers qui quadrillent la place nous préparent à ce qui va suivre à la Gare du Nord, à l’aéroport de Stansted, à la gare de Doncaster. Partout des uniformes qui fouillent les sacs, palpent les ourlets, demandent les papiers. La manifestation elle-même semble indiquer la fin d’un cycle. Une centaine de personnes, la moitié dans des stands, l’autre moitié dans une austère assemblée générale. Pas inintéressant quand on écoute. Un Tunisien dit que la démocratie c’est important. Il n’y a pas de démocratie dans son pays, et est-ce que vous vous rendez compte, ici, où vous avez la démocratie, à quel point c’est important. Il se répète un peu, il ne trouve pas d’autres arguments pour convaincre, mais il voudrait bien faire comprendre à son auditoire, qui peut-être sous-estime l’importance de la démocratie, que la démocratie c’est vachement important.

Gare du Nord, nous retrouvons les CRS, les soldats dans le hall, des policiers à chaque carrefour. Les contrôles sont acceptés sans réticence par les voyageurs sans provoquer une joyeuse adhésion. Chouette, on est contrôlé, youpi, on est fouillé. Non. Ces contrôles successifs pèsent sur les esprits et peu à peu s’installe un sentiment d’angoisse. Rationnellement, nous savons qu’ils sont nécessaires, que c’est pour notre bien, notre vie. Une file pour le contrôle des billets. Une autre file pour la carte d’identité ou le passeport. Un portique et un ruban mobile qui emporte les bagages dans un tunnel. Chacun pose docilement les sacs sur le ruban, la valise, le téléphone, le manteau, la veste, les portefeuilles, la ceinture. Comptez au moins une heure dans les files d’attente devant les guichets et les portiques. Plus on est contrôlé, plus on est content d’être contrôlé et plus on est angoissé d’être contrôlé, car un déploiement de sécurité de cette ampleur doit correspondre à un niveau de risque élevé. Au retour, à l’aéroport de Stansted, à nouveau contrôle des billets, carte d’embarquement, passage sous le portique. J’ai enlevé ma veste, ma ceinture, mon téléphone portable, mon sac, ma tablette, ma liseuse. Je passe, ça sonne. Un douanier me palpe les bras, les jambes, les chevilles, l’entre-jambe, les aisselles, la doublure du pantalon, les poches. Je repasse, ça re-sonne. J’enlève mes chaussures, péniblement. Je repasse sous le portique, ça re-sonne. Un éclair, je me rappelle cette lourde prothèse qu’un chirurgien m’avait montrée avant de me l’installer dans la hanche. Il m’avait prévenu, le chirurgien, qu’elle allait déclencher les sirènes de sécurité, rappelez-vous, m’avait dit le chirurgien, de prévenir les agents de sécurité.  J’ai oublié. Je me suis habitué à cette prothèse, tant et si bien que je l’ai oubliée, alors que je n’oublie pas ma prothèse dentaire parce que je l’enlève matin et soir pour me nettoyer la cavité buccale. C’est un gros travail d’installer la prothèse de la hanche, mais une fois installée, on l’oublie. Cette prothèse n’a pas déclenché l’alarme des portiques de l’Eurostar. Faut-il en conclure que nous sommes mieux protégés en avion qu’en train ? Ou que le danger est moins grand de Paris à Londres que de Stansted à Biarritz ? Au départ de l’Angleterre pour Biarritz se conjuguent vraisemblablement les menaces de l’ETA, de l’IRA et de Daech. Conclusion : un fou de Dieu ou de la patrie implanté d’une prothèse aura plus de difficulté à mourir pour Dieu ou par son pays qu’un terroriste sans prothèse. Est-ce juste ? Pourquoi les handicaps doivent-ils ainsi se concentrer sur une seule personne ?

 

Référendum


 

Le voyage d’étude se double d’une campagne militante. Nous voulons contribuer au maintien du Royaume-Uni dans la Communauté européenne. La manière de faire est simple : s’avancer vers une personne, la prendre dans les bras et lui dire « I’m French and I wish you’d stay in Europe ». La campagne se nomme « a hug for the in ». À la gare de Saint-Pancras, une serveuse apporte des œufs frits au bacon, « Est-ce que vous votez ? ». Elle ne comprend pas bien. Elle croit que critique la nourriture. Ce n’est pas bon. Si c’est bon, je demande si vous votez. Mais oui, pour le referendum, le in ou le out. Hélas, elle est espagnole, de Barcelone, elle ne vote pas. Je ne sais pas si elle est pour l’indépendance de la Catalogne, je ne peux pas mener toutes les campagnes en même temps.

Nous continuons à huguer sans trop de succès. Le directeur du musée Masson vote pour le maintien en Europe. Le directeur et le cuisinier du restaurant français votent pour le maintien. Nous avons hugué Tony et Pat, inutilement, puisqu’ils sont tous les deux pour le maintien du Royaume-Uni en Europe.

Dans un pub, près d’une table avec quatre personnes, deux couples. Nous engageons la conversation. Ils vont tous voter pour le Brexit. Aucun hug n’y changera rien. Ils sont convaincus, contre la bureaucratie de Bruxelles.

À Hepenstall, les toilettes sont inaccessibles. Les toilettes pour handicapés sont dans un pub qui n’ouvre qu’à onze heures. Les autres toilettes exigent une pièce de vingt cents qui une fois glissée dans la fente, retombe inlassablement sans ouvrir la porte. Puis la pièce reste coincée. Je crie « I want my money back ! ». Nous demandons où sont les toilettes à des habitants. Pat leur explique la situation. Ils nous offrent de rentrer chez eux, d’utiliser leurs toilettes personnelles, intimes. Ce n’est pas si courant. La maison est nickel, évidemment, on n’offre pas des toilettes à des inconnus, à des étrangers, si la maison est en chantier. Toutes les poteries, la vaisselle, l’argenterie, les décorations, les fanions, les diplômes, les récompenses, sont rangés, dépoussiérés, brillants. En sortant, je dis merci, je dis ce serait dommage que des gens aussi gentils qu’eux ne soient plus membres de l’union européenne. Le monsieur dit qu’il va voter pour sortir de l’Europe. « On aime bien les Français, mais on n’aime pas les Allemands ».

Richmond. Le château. La salle de théâtre, d’origine. Fondé par Samuel Butler au dix-septième. Avec 400 places. 240 aujourd’hui. Fermé par les puritains, rouverts à la Restauration, après Cromwell, quand Charles II est revenu au pouvoir en 1660. Mais quand même on se méfiait. Le théâtre est un lieu de rassemblement potentiellement rebelle. On ne pouvait jouer que soixante jours par an. Deux pièces pas soirée, plus un entracte avec un intermède et des attractions. Les bénévoles qui en assurent la survie sont pour le maintien dans l’Europe. C’est que des subventions ont aidé à maintenir l’activité du théâtre. Dans le restaurant français de mauvaise qualité, le patron est pour le maintien, le cuisinier aussi, mais il n’est pas inscrit sur les listes électorales. Il va y penser. Le restaurant s’appelle ‘Le Rustique’ et tout un mur est caché par une photo de la Tour Eiffel.

Les intellectuels, les hommes d’affaire, les entrepreneurs, les urbains, sont pro-européens. Comme en Autriche, comme en France. Les élites contre le peuple ? Si le « peuple » est conservateur, crispé, xénophobe, son arrivée au pouvoir serait un malheur pour le pays et d’abord pour le peuple.

 

 

 

 

Niveau de vie, qualité de vie


 

Les aristocrates et les entrepreneurs vivaient dans d’imposantes demeures. Les entrepreneurs qui s’enrichissaient s’intégraient dans l’aristocratie et les aristocrates s’enrichissaient en devenant des entrepreneurs. Tous montraient leur pouvoir et leur fortune par de somptueux châteaux et des armées de serviteurs. Les seigneurs, représentants en province le pouvoir royal, se sont enrichis dès de seizième siècle quand les monastères furent confisqués, leurs terres, leurs richesses accumulées. Puis leur statut de propriétaire terrien leur a permis de participer pleinement à la révolution industrielle, fondée sur le textile, les mines de charbon et de plomb. Pour toutes ces activités, il fallait d’énormes espaces, l’utilisation de rivières comme énergie pour les métiers à tisser, avant l’invention des machines à vapeur. Les mines, bien sûr. Les paysans qui complétaient leur revenu avec des métiers à tisser. Les entrepreneurs sont devenus des aristocrates et les aristocrates sont devenus des entrepreneurs. L’opposition française entre bourgeoisie entreprenante et aristocratie parasite et paresseuse ne fonctionne pas en Angleterre. Arkwright, l’inventeur du métier à tisser, était un industriel et un aristocrate. Reçu à la cour, on se moquait de son accent et de ses atours. La légende veut qu’il se retournât vers les courtisans : aucun d’entre vous ne peut racheter la dette de l’État. Moi, je peux ».

Les feuilletons familiers nous ont préparés à la visite des grandes demeures. Downstairs, upstairs, ou Downton Abbey, les feuilletons de notre vieillesse, les maîtres en haut, les serviteurs en bas, les immenses cuisines. Il fallait des armées de serviteurs qui couraient dans les couloirs pour répondre à la clochette. À Hardwick, dans le château de la duchesse Bess du Devonshire, les toilettes, c’est un trou dans une planche et l’eau chaude de la baignoire ne fonctionnait pas. Ainsi se repose la question des inégalités. En termes de revenus, les disparités ont été multipliées. Mais en termes de qualité de vie ? C’est à dire de santé, d’éducation, de confort de logement, de loisir, la distance était sans doute plus grande au temps des châteaux qu’aujourd’hui. Les châteaux s’opposaient aux taudis. Aujourd’hui, entre une résidence de très riche et le logement HLM, la différence s’est-elle accrue ou réduite ? L’eau chaude, l’électricité, frigo, le système de soins, dans bien des domaines, la distance s’est réduite.


 

 

Révolution industrielle et transformation


 

                        Le train de Londres à Derby (prononcez Darby) traverse de nombreuses friches industrielles qui nous donnent un avant-goût de notre voyage d’étude Les villes de Leicester, Birmingham, York, Leeds, Hull, ne sont pas loin. Arkwright et Stephenson inventent les métiers à tisser et les machines à vapeur.

Derby n’a rien à voir avec les courses de chevaux. L’office de tourisme est un ancien atelier. Grâce à Pat qui préside une association d’économistes de la révolution industrielle, nous avons droit à une visite guidée, menée par la directrice des relations extérieures de l’université de Derby. Cette personne est chargée par l’université de "vendre » les locaux des anciennes usines pour des séminaires, des colloques, des voyages organisés, des noces, des repas d’anciens combattants. En effet, après des années d’abandon, les bâtiments ont été classés, rachetés par l’université de Derby et tous les ateliers sont maintenant bâtiments universitaires, résidences universitaires, salles de séminaire, bibliothèque, théâtres, salle de conférence. Au-dessus de cet ensemble d’ateliers règne la Roundhouse, une immense tour où les locomotives étaient fabriquées, montées et réparées. La Roundhouse est devenue la cafeteria, mais la structure est intacte, on a conservé le plateau mobile où pouvaient se loger uen douzaine de locomotives à vapeur, en corolle. Nous sommes ici dans la première usine de fabrication de locomotives à vapeur. La seule en ce début du 18ème. Sans concurrence, l’usine exportait dans le monde entier.

 

L’Angleterre que nous visitons était le cœur de la révolution industrielle. À Cromford, l’ancienne usine textile est protégée par une entrée fortifiée. Une milice patronale stationnait dans la tour pour empêcher les incursions des Luddites, les casseurs de machines. Toutes les pancartes pointent vers des noms d’anciennes usines : Strutt, Beler, Arkwright. Mines de charbon, usines textiles, mines de plomb. Élevage intensif du mouton pur l’industrie de la laine.

 

Cette région des Midlands, la plus industrialisée de la Grande-Bretagne est aujourd’hui figée en un gigantesque musée. Les mines, les usines,  ont fermé. L’élevage des moutons est concurrencé par la laine des anciennes colonies. Le paysage est loin d’être une désolation. Les bâtiments n’ont pas été détruits, ils ne sont pas abandonnés. Ils ont été transformés en musées, en centres culturels. Le tourisme mobilise la nostalgie d’une splendeur passée. Tout est bien entretenu, restauré ou en voie de l’être. Les Midlands sont désormais une zone touristique et il faudrait comparer avec d’autres régions sinistrées, le Nord de la France et la Belgique wallonne.

Lorsque des entreprises sont encore en activité, elles fonctionnent comme des conservatoires des arts et métiers. Un technicien nous montre le fonctionnement des anciens métiers à tisser.  Il nous montre les métiers à tisser réglés à hauteur d’enfant, qui travaillaient à partir de six ou huit ans. Les enfants étaient aussi employés à nettoyer sous les machines car eux seuls étaient assez fluets pour se glisser sous les métiers. Les métiers, les navettes, les machines qui utilisaient l’énergie des rivières, puis des chaudières et enfin l’électricité.

 

La corderie hésite entre un statut de musée, d’entreprise en activité, de centre commercial. Les musées oscillent entre divers points de vue. L’entreprise se nomme « musée de la corderie » mais elle continue de produire des laisses pour chiens, des cordes pour les bateaux de plaisance, des cordons pour marquer les frontières dans les musées, des cordons colorés dans les salons, cordons pour retenir de pesants rideaux. L’article le plus vendu semble être les laisses pour chien. Dans d’autres ateliers, les machines ont été remplacées par des photos, des vidéos, qui montrent les ouvriers souvent épuisés et sales, comme les mineurs de plomb et de charbon. Ou bien propres, bien habillés devant les machines textiles.

Dans le musée Arkwright, la vidéo est un hymne à la gloire des entrepreneurs. Tony, capitaine au long cours, syndicaliste et militant, excédé, quitte la salle. Pat est plus laxiste : « nous somme en vacances, pourquoi se monter le bourrichon ? Moi, j’étais irrité comme Tony de ce cantique libéral, de la louange accumulée de ces entrepreneurs qui ne contentent pas de construire des usines, mais autour des usines, construisent des logements pour leurs ouvriers, des écoles pour les enfants, des hospices pour soigner, des bibliothèques, des églises. La vidéo pourrait montrer que le coton vient de l’Inde, la laine d’Australie. Des Indes, des Antilles, d’Afrique. Que l’enrichissement des industriels vient aussi du commerce triangulaire, coton contre esclaves. On peut montrer comment les métiers étaient abaissés pour que les enfants puissent les utiliser. Rien de tout cela dans les vidéos, il y a de quoi énerver. Il n’y a que des héros purs, philanthropes, inventeurs, qui créent de la richesse et des emplois. Pat ne veut pas qu’on s’énerve, on est en vacances. On était en vacances en Guadeloupe, il y a peu. Partout, il y avait des musées industriels sur la fabrication du rhum et de la canne à sucre. Partout on parlait des esclaves, de leurs conditions de vie, de la maison des maîtres. Ici, rien. Alors, moi, je suis plutôt d’accord pour qu’on s’énerve. Le tourisme écrase tout. Il ne faut rien déranger qui puisse empêcher un seul touriste de venir. Il faut supprimer les conflits, de race, de classer, de religion, de sexe. Tout doit être lisse. Le tourisme construit un monde sans aspérité où le voyageur doit être à son tour aplati, abrasé, ne s’intéresser qu’au commun, qu’au banal, et surtout il faut le détourner de ce qui fâche. Pat et Tony vont écrire au directeur du musée Arkwright.

Reeth. Musée social, local, musée culturel, tenu par des bénévoles. Des outils anciens, des affiches anciennes, des photos. Visite des écoliers. Dans pratiquement tous les musées et tous les châteaux ouverts aux visiteurs, des retraités, hommes et femmes jouent le rôle de guides, compétents, chaleureux, prêts à répondre à toutes les questions, bénévoles.

Le musée Barbara Hepworth est gratuit. Sculptures de BH, et exposition photos de Martin Parr, photos de plages (une journée à la plage), réceptions du parti conservateur. Le musée donne sur une rivière et des docks, avec épaves abandonnées ; comme d’autres friches industrielles. Certains bateaux sont habités. D’autres pourrissent. Un cimetière marin.

Nous retrouverons les sculptures de Barbara Hepworth, plus celles de Henry Moore et de Nicky Saint-Phalle dans un immense parc qui est un musée en plein air. Des fauteuils électriques sont à la disposition des visiteurs fatigués.

 

 

 

Les maisons ouvrières sont rachetées par les classes moyennes, mises aux normes. Quand nous passons, il reste du temps passé l’élevage du mouton, des boutiques qui vendent des vêtements de laine. Une Angleterre éternelle qui aurait sauté par-dessus la révolution industrielle. Blanche, petits déjeuners œufs et bacon. Les petites églises anglicanes ou méthodistes, simples comme un sermon de Calvin, austères comme Luther, sont entretenues par de vieilles dames aux jupes longues et noires. Certaines églises sont transformées en Bed and Breakfast. Dans les pubs, la nourriture est une nourriture de pub, pie et pudding. La bière coule à flots.

 

À Halifax, les anciennes usines sont toutes reconverties en bureaux, centres culturels, centres commerciaux, musées. Des galeries d’artistes sont prévues. Les grues, les engins de travaux publics fouillent le sol. Un immense chantier. Revenez l’année prochaine, vous ne reconnaîtrez pas le quartier.

 

Saltaire. La ville porte le nom de l ‘entrepreneur, Lord Salts. Il a construit la ville autour de l’usine textile. Un hôpital, une bibliothèque, les logements ouvriers. L’usine est devenue un centre culturel, théâtre, restaurant, cinéma. Une galerie présente les œuvres de David Hockney. Des portraits, dont le style est immédiatement reconnaissable. Il crée aussi avec une application qui lui permet de colorer et modifier la photo prise sur son Iphone, puis il envoie son œuvre à qui il veut.

 

Le village de Heptonstall, village historique, classé, conservé, chouchouté. Les usines textiles en crise fermaient les unes après les autres. Le village se désertifiait. À partir de 1970, le classement de Hepenstall en patrimoine a tout fait rebondir. Les couches moyennes ont acheté les logements, dont elles savaient désormais qu’ils ne seraient jamais entourés par des constructions modernes. Le village reprend vie avec l’arrivée des nouveaux habitants et des touristes. C’est l’un des villages les mieux conservés de Grande-Bretagne.

 

         C’est bien de changer ou pas ? La classe ouvrière, les usines qui restent comme avant, c’est bien pour qui ? Pour le plaisir des anciens qui viennent visiter les lieux de leur enfance et retrouvent les cafés, les buns, le thé noir? Le café traditionnel, la patronne est tatouée, le père vient déjeuner tous les matins. Il prend une tranche de gâteau fabriqué par les voisines et revendus ici aux clients. Le plaisir de la nostalgie, le plaisir des touristes, mais qu’en est-il du plaisir des intéressés. Des gens qui restent toutes leurs journées, toute la vie ? Question récurrent pour tous les changements, pour toutes les mutations, qui comprennent une part de violence, de rupture, et une part de libération. Les favelas, les bidonvilles, les barres d’immeubles, sont des lieux de misère, de traditions qui sont des rapports de force sans foi ni loi, en même temps que des lieux de solidarité et de chaleur. Les disloquer, c’est  gagner et c’est perdre.

 

         L’ancien entrepreneur a fermé ses usines et les a transformés en appartements. D’énormes ateliers, devenus des centaines de logements. Dont une partie est louée par booking.com, en logements de vacances. Aucun personnel. Une femme de ménage que nous ne verrons pas. Un habitant qui nous reçoit, nous donne les clés, sans se présenter comme concierge, il accueille les arrivants en échange d’un logement, ou d’une réduction sur le loyer. Sinon, personne pour nous accueillir, Aucun personnel. Confortable, mais anonyme. Des codes partout. Pas de clés. Pat téléphone, sort de la voiture, Tony aussi. Il pousse la porte, elle ne s’ouvre pas. Pat tire la porte, elle s’ouvre. À l’intérieur, des boîtes aux lettres, des rangées de chiffres et de lettres. Quels codes ? Le préposé finit par nous guider. Pat a oublié l’ipad dans la voiture. Tony descend chercher l’ipad. Il sort l’ipad de la voiture, il descend avec l’ipad, fait le code, mais oublie d’appuyer sur un bouton, la porte ne s’ouvre pas. Il croit avoir oublié le code, sans doute fait un faux numéro. Il a juste oublié d’appuyer sur un bouton après le code. Il se dirige à pied vers la grille, mais un piéton seul ne peut pas déclencher l’ouverture de la grille. On ne peut sortir qu’en voiture. Tony monte dans la voiture, sort du parking, range la voiture le long du trottoir, dans un endroit interdit. Va vers la porte d’entrée avec l’ipad sous le bras, fait le code. Pas de réponse de l’appartement. Il retourne au parking, mais a oublié le code d’entrée du parking. Prend la voiture à nouveau pour aller chercher une cabine téléphonique parce que Tony n’a pas de téléphone mobile. Il trouve une cabine, téléphone, note les différents codes, et nous buvons un verre de whisky.

 

Mœurs


 

Le maire de Londres, Sadiq Kahn, est musulman, avec un nom indien. Parmi les candidats, une femme voilée. À l’aéroport de  Stansted, une hôtesse d’accueil voilée épais. Elle est tranquille, les voyageurs sont tranquilles. À la télé, une speakerine avec le moignon de son bras droit, pas caché par un vêtement, pas caché par une prothèse. Tranquille. Nous avons ders leçons à tirer du monde proche.

 À la télévision anglaise, résultat des élections locales. Le ton est paisible. Celui des journalistes, qui ne harcellent pas les invités, le ton des politiques, pour qui une élection n’équivaut pas à une guerre civile. C’est apaisant.

Une église paroissiale. Dimanche matin, dans une église anglicane, dimanche soir dans une église méthodiste. L’assistance est réduite. Plus de cyclistes que de méthodistes. À Swaledale, encore une église méthodiste. Ouverte 24h/24. Avec un coin enfant. Une pancarte alerte les voleurs : tous les objets sont enduits d’une substance magique qui permet de déceler les objets volés.

Un hôtel qui donne sur le lac. Ancienne maison d’un explorateur. Un mariage Fellini : les hommes et les femmes, et d’abord les mariés, sont obèses. Hors normes. Dans une salle de resto, un homme se fait servir des rations monstrueuses de Yorkshire pudding, puis des montagnes de frites.

Demain, nous rentrons et nous nous reprenons à penser au pays. Les manifs qui s’étiolent. Anne Hidalgo qui va rendre visite à Sadik Kahn et le féliciter. Belfast et Dublin ont eu des maires juifs. Paris un maire homo. États-Unis un président noir. Ce n’est pas demain la veille que nous aurons un président musulman, noir, femme et homosexuel. Mais le monde change.

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