mercredi 9 avril 2014

populismes

                On nomme populisme les mouvements politiques qui surfent sur le repli identitaire et le rejet des étrangers. Dans les pays européens, ce mouvement se traduit par le succès de partis qui rejettent l’adhésion à l’Union européenne et prônent une pureté ethnique. En Grande-Bretagne avec l’UKIP, au Pays-Bas avec le parti de la liberté de Geert Wilders, en Hongrie avec Orban et à sa droite le Jobbik et en France avec le Front national.

                Ces mouvements sont les héritiers d’une histoire. Les nationalismes européens du dix-neuvième siècle, les fascismes dans l’Europe du vingtième. Dans l’Europe d’après-guerre, les vastes mouvements de populations que Keith Lowe a étudié dans L’Europe barbare sont le résultat d’un phénomène que la guerre des Balkans appellera ensuite la purification ethnique.

                Cette histoire du rejet des étrangers  peut se résumer ainsi : les membres d’une nation se déterminent négativement, par une définition de qu’ils ne sont pas. Un Britannique, au 19ème siècle, c’est d’abord un non-catholique, un Français, pour le Front national, c’est quelqu’un qui n’est pas Juif, pas musulman, pas Rom. Un Hongrois est quelqu’un qui n’est pas roumain. La liste est infinie.

                Pour que le populisme ne se développe pas, il faut que les individus qui composent une société et une nation possèdent d’autres définitions d’eux-mêmes que négatives. Dans les sociétés occidentales, les religions, les nationalismes et les socialismes joué ce rôle. Ils ont été de puissants marqueurs des individus. La religion disait à ses fidèles que chacun comptait pour un. Le nationalisme disait à ses partisans que chacun était  précieux par sa seule inscription dans une communauté soudée par la langue, le territoire, une histoire commune. Le socialisme comme instrument de combat et de rêve d’une autre société possible était un efficace levier des ambitions individuelles et un outil de carrière pour les plus modestes. Les religions sont en plein reflux. Le nationalisme est en déclin. Il faut un danger pour être patriote et l’Europe est en paix. Le socialisme s’est effondré avec la chute des empires soviétiques et communistes. Que reste-t-il ? Des ambitions et des itinéraires individuels. Quand le capital affectif, culturel, professionnel, matériel, est suffisant pour rendre la vie intéressante, famille, métier, voyages, etc… il évite la recherche de boucs émissaires. Pour qui en est démuni, la souffrance est extrême et chacun cherche à capter des substituts. Le populisme vient à sa rencontre en lui disant : ton privilège, ton capital, c’est le lieu où tu es né. Tu es supérieur aux autres, tu as des droits supplémentaires parce que tu es né où tu es né. Dans un pays, une région, une ville. Ceux qui ne sont pas nés au même endroit, s’ils veulent partager les privilèges liés au lieu de naissance, représentent un danger puisqu’ils prétendent partager le seul privilège qui te reste, ton appartenance. Ta carte d’identité. Ta carte vitale, la bien nommée. Tu as perdu ton emploi, la famille se disloque parce l’épouse n’est plus soumise, les fins de mois sont difficiles. Il te reste la supériorité ethnique. Tu es supérieur aux étrangers. Le populisme est un mouvement politique qui exploite ces sentiments. Il ne sera pas combattu par des arguments rationnels. On pourra montrer par des faits et des démonstrations que l’étranger n’est pas un danger, que l’émigration n’explique pas le chômage, que l’intégrisme musulman est minoritaire, que les Juifs ne sacrifient pas les enfants pour boire leur sang, ça ne servira à rien puisque le populisme ne se construit pas sur des dangers objectifs, mais d’abord sur la recherche éperdue d’une place dans la société.

Rien à faire donc ? Au contraire, tout est à faire. Mais pas dans une lutte inaudible contre la haine. Dans la construction d’une place pour tous dans la société. D’un avenir pour tous. Dans la lutte contre le mépris dans lequel des pans entiers de la population sont tenus par leur interdiction de participer au banquet national. Mépris auquel vient s’ajouter la condamnation hautaine de leurs opinions rétrogrades ou imbéciles.

Il faut bien sûr lutter contre le racisme, dénoncer en permanence ceux qui utilisent les peurs et les préjugés. Il faut démonter les arguments de haine, mais ne jamais remplacer le combat indispensable contre l’exclusion sociale par une lutte contre le racisme qui peut, si on n’y prend pas garde, renforcer cette exclusion.


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