On
nomme populisme les mouvements politiques qui surfent sur le repli identitaire
et le rejet des étrangers. Dans les pays européens, ce mouvement se traduit par
le succès de partis qui rejettent l’adhésion à l’Union européenne et prônent
une pureté ethnique. En Grande-Bretagne avec l’UKIP, au Pays-Bas avec le parti
de la liberté de Geert Wilders, en Hongrie avec Orban et à sa droite le Jobbik
et en France avec le Front national.
Ces
mouvements sont les héritiers d’une histoire. Les nationalismes européens du
dix-neuvième siècle, les fascismes dans l’Europe du vingtième. Dans l’Europe d’après-guerre,
les vastes mouvements de populations que Keith Lowe a étudié dans L’Europe barbare sont le résultat d’un phénomène
que la guerre des Balkans appellera ensuite la purification ethnique.
Cette
histoire du rejet des étrangers peut se
résumer ainsi : les membres d’une nation se déterminent négativement, par
une définition de qu’ils ne sont pas. Un Britannique, au 19ème
siècle, c’est d’abord un non-catholique, un Français, pour le Front national, c’est
quelqu’un qui n’est pas Juif, pas musulman, pas Rom. Un Hongrois est quelqu’un
qui n’est pas roumain. La liste est infinie.
Pour
que le populisme ne se développe pas, il faut que les individus qui composent
une société et une nation possèdent d’autres définitions d’eux-mêmes que négatives.
Dans les sociétés occidentales, les religions, les nationalismes et les
socialismes joué ce rôle. Ils ont été de puissants marqueurs des individus. La
religion disait à ses fidèles que chacun comptait pour un. Le nationalisme
disait à ses partisans que chacun était
précieux par sa seule inscription dans une communauté soudée par la
langue, le territoire, une histoire commune. Le socialisme comme instrument de
combat et de rêve d’une autre société possible était un efficace levier des
ambitions individuelles et un outil de carrière pour les plus modestes. Les
religions sont en plein reflux. Le nationalisme est en déclin. Il faut un
danger pour être patriote et l’Europe est en paix. Le socialisme s’est effondré
avec la chute des empires soviétiques et communistes. Que reste-t-il ? Des
ambitions et des itinéraires individuels. Quand le capital affectif, culturel,
professionnel, matériel, est suffisant pour rendre la vie intéressante,
famille, métier, voyages, etc… il évite la recherche de boucs émissaires. Pour
qui en est démuni, la souffrance est extrême et chacun cherche à capter des
substituts. Le populisme vient à sa rencontre en lui disant : ton
privilège, ton capital, c’est le lieu où tu es né. Tu es supérieur aux autres,
tu as des droits supplémentaires parce que tu es né où tu es né. Dans un pays,
une région, une ville. Ceux qui ne sont pas nés au même endroit, s’ils veulent
partager les privilèges liés au lieu de naissance, représentent un danger
puisqu’ils prétendent partager le seul privilège qui te reste, ton
appartenance. Ta carte d’identité. Ta carte vitale, la bien nommée. Tu as perdu
ton emploi, la famille se disloque parce l’épouse n’est plus soumise, les fins
de mois sont difficiles. Il te reste la supériorité ethnique. Tu es supérieur
aux étrangers. Le populisme est un mouvement politique qui exploite ces
sentiments. Il ne sera pas combattu par des arguments rationnels. On pourra
montrer par des faits et des démonstrations que l’étranger n’est pas un danger,
que l’émigration n’explique pas le chômage, que l’intégrisme musulman est
minoritaire, que les Juifs ne sacrifient pas les enfants pour boire leur sang,
ça ne servira à rien puisque le populisme ne se construit pas sur des dangers
objectifs, mais d’abord sur la recherche éperdue d’une place dans la société.
Rien à faire
donc ? Au contraire, tout est à faire. Mais pas dans une lutte inaudible
contre la haine. Dans la construction d’une place pour tous dans la société. D’un
avenir pour tous. Dans la lutte contre le mépris dans lequel des pans entiers
de la population sont tenus par leur interdiction de participer au banquet
national. Mépris auquel vient s’ajouter la condamnation hautaine de leurs
opinions rétrogrades ou imbéciles.
Il faut bien
sûr lutter contre le racisme, dénoncer en permanence ceux qui utilisent les
peurs et les préjugés. Il faut démonter les arguments de haine, mais ne jamais
remplacer le combat indispensable contre l’exclusion sociale par une lutte
contre le racisme qui peut, si on n’y prend pas garde, renforcer cette
exclusion.
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