Il est des domaines où
l’accumulation ne monte pas. Les années tassent. Les kilos aplatissent. Julien
a longtemps cru aux théories du progrès. Les humains travaillent, inventent,
expérimentent, accumulent des savoirs, des compétences, écrasent l’infâme, et
les flammes tremblantes deviennent des nappes de lumière. Erreur. S’il est un
domaine où les expériences ne s’ajoutent pas, c’est celui de la politique. En
science, les limites reculent. Les vies s’allongent, les maladies se
guérissent. Qu’avons-nous appris dans le gouvernement de la cité ? Voici
que des millions, des centaines de millions d’êtres humains, ont partagé la
même expérience que Julien : les guerres, les massacres, les dictatures,
le nazisme, le communisme, les famines, les déportations. Tous ont vécu ces
expériences, les ont archivées, résumées dans des manuels scolaires, revues
dans les documentaires, chantées dans des hymnes, des cantiques, des
rebellions. Ayant partagé la même histoire, on pourrait croire que les
conclusions se partagent. Non. Pas du tout. Julien a l’âge qu’il a et en a tiré
des idées qu’il croit évidentes. En face de lui, Germain a le même âge, la même
histoire, et il en tire d’autres idées qu’il croit non moins évidentes. Les
guerres de religion n’empêchent pas les guerres de religion.
Un protestant survivant des massacres de la Saint-Barthélemy
montre ses plaies dans les écoles. Il dit aux enfants effarés que l’Edit de
Nantes a permis d’éviter d’autres massacres. Il interdit de massacrer le voisin
parce qu’il appartient à une autre religion. Ou à pas de religion. Les enfants
racontent le récit des survivants à leurs parents qui leur disent parfois que
les massacres ont été beaucoup exagérés, que les protestants l’ont un peu
cherché par leur arrogance et leur mépris des catholiques. Puis d’autres
religions prennent la place des protestants et des catholiques, des Juifs, des
musulmans, des bouddhistes, des
évangélistes, des athées, des communistes, des animistes, des scientistes et
chaque fois le combat de l’Edit de Nantes doit être recommencé.
Julien ne croit plus en une histoire qui serait une longue
montée vers la lumière, vers les lendemains musiciens, vers un avenir
électrique, vers des pulsions de mort qui se dissoudraient dans les océans de
vertu. Il n’arrive pas malgré tout à renoncer à son expérience, à ses connaissances
accumulées, comme si elles ne servaient à rien. Peu de gens l’écoutent, et il
persiste à parler, peu de gens le lisent et il persiste à écrire.
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