Le peuple
Ce
fut répété tant de fois qu’il faut un cerveau de crocodile pour ne pas le
croire, la gauche a abandonné le peuple et donc le peuple a abandonné la
gauche. Elle a abandonné le peuple des invisibles, ces petits blancs exilés
dans les résidences négligées par les services publics, elle ne s’occupe plus
que des minorités : les immigrés, les femmes, et ne recherche plus que
l’appui et l’amour des bobos, des élites, des intellectuels qui squattent les
universités, les médias, les arts, les banques et les bancs européens.
L’antiracisme a pris la place de la politique. Les élites gouvernent, les
petits blancs souffrent et les minorités visibles vendent de la drogue et
s’enrichissent. Tel est le secret du succès du Front national qui ne s’occupe
que du peuple, que des petits Blancs.
Pour
croire l’incroyable, il faut d’abord rendre les armes, accepter l’hypothèse,
prendre au sérieux le postulat. Il faut aussi se retirer à l’intérieur de
l’hexagone, et s’écraser le nez contre le guidon. Ignorer l’histoire, refuser
la géographie. En Espagne, en Grèce, des mouvements populaires connaissent le
succès sur des orientations de gauche. Au Royaume-Uni, au Danemark, en Suède,
en Pologne, en Hongrie, des mouvements de droite et d’extrême-droite sont
populaires et leur électorat a une forte composante ouvrière. Dans le passé
point trop éloigné, des partis fascistes n’ont jamais abandonné le peuple qui
les a portés au pouvoir, sauf après la défaite, là le peuple s’est senti un peu
abandonné. Des partis communistes ont accédé au pouvoir avec l’appui du peuple
et c’est après leur victoire que les peuples se sont sentis un peu abandonnés. Les
nationalismes régionaux émergent ici dans les régions pauvres, là dans les
territoires favorisés, comme le Pays basque, l’Ecosse, la Catalogne, l’Italie du
Nord.
Dans
cette extrême diversité de situation, prendre ces réponses simples et
péremptoires, pour des lanternes permet peut-être de rassurer les inquiétudes
mais pas d’éclairer l’avenir.
Nos pays démocratiques se sont construits sur l’universalité
des droits. Un état souverain qui n’accorde ces droits qu’à une partie de la population
maintient la société dans la révolte permanente car rien n’est plus urgent pour
ces orphelins de la citoyenneté que de s’assurer la protection d’un souverain.
L’Irlande,
pardonnez l’exemple, fut un excellent terrain d’expérience de ces jeux
mortifères. D’abord soumis à la domination d’un État protestant, les catholiques
étaient exclus du droit de vote, de tous les lieux de pouvoir, tous réservés
aux Anglicans. L’Ecosse et le Pays de Galles étaient aussi soumis que l’Irlande,
mais leur appartenance à la religion d’État permit une intégration refusée aux
Irlandais. L’Irlande accéda à l’indépendance au prix d’une longue lutte dont la
dernière étape fut militaire. Ces luttes aboutirent à la création de deux Etats
avec un adjectif : un État catholique au sud, aujourd’hui République d’Irlande,
un État protestant au Nord, aujourd’hui province du Royaume-Uni. Dans l’État catholique,
la minorité protestante apprit très vite qu’elle n’était pas la bienvenue dans
un pays où l’éducation, l’État, les lois, les mœurs, étaient dominées par une
charia catholique. Elle prit le chemin de l’exil. Dans l’État protestant du
Nord, la minorité catholique fut maintenue pendant cinquante ans dans un statut
d’infériorité et d’exclusion dont elle ne se sortit qu’au prix de luttes incessantes
dont la dernière étape fut militaire.
Un
État qui maintient l’exclusion d’une partie de son peuple sur une base ethnique
organise un avenir de guerre civile. Des forces brunes en Europe et en France minent
l’universalité des droits et cherchent à tatouer un adjectif sur les peaux
citoyennes. Ces forces sont connues, elles se cherchent, se rassemblent
parfois, s’opposent. Elles se rassemblent parfois en manifestations intégristes
contre les droits des homosexuels, contre l’avortement. Elles désignent
certains religions comme étrangères et inassimilables. Elles fouillent dans les
menus des cantines, elles imposent le voile ou l'interdisent. Dans leurs
manifestations les plus aiguës, elles massacrent. Elles s’arrogent le droit de
définir l’identité.
Dans
des situations difficiles, jaillissent spontanément des phénomènes de repli et
d’hostilité à l’égard des autres qui deviennent des concurrents. Exclus des
emplois, relégués dans des formations tronquées, enfermés dans des territoires
stigmatisés, il ne reste plus pour manifester leurs aspirations que leur ADN. Émotions populaires spontanées, éternelles. Elles deviennent des forces de mort lorsque
des partis, des institutions, des élites, les utilisent, les mobilisent pour
leur pouvoir et leurs intérêts. Il y a peine à combattre les colères de la
misère. Le combat politique doit porter sur ceux qui les utilisent.
Il
y a urgence car désormais le Front national n’est plus seul à prôner la
préférence nationale, à définir la nation comme un ensemble de chrétiens blancs
hétérosexuels, à stigmatiser toutes les différences. Contre ces efforts, ne pas
se laisser intimider par ceux qui nous accusent d’avoir « abandonné
le peuple ». Ne pas abandonner le peuple ne consiste pas à se laisser
porter par toutes les inquiétudes, les craintes, les rumeurs, les malaises.
Cela consiste à respecter tous les citoyens, faire confiance à leur
intelligence, refuser les compromis idéologiques, affirmer l’universalité des
droits. Montrer et démontrer que les institutions sont généralement non
discriminantes et combattre les discriminations réelles. Combattre les
tendances à l’exclusion, au racisme.
Pour
le moment, la guerre civile se mène dans le ciel des idées et la France refuse
massivement les tranchées. Raison de plus pour montrer ce qui va, ce qui va
dans le sens du respect, de la solidarité, et combattre les dysfonctionnements.
Sans laisser à personne le droit de nous imposer un ordre du jour qui nous est
étranger.
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