La pensée magique
J’aimerais comprendre et peut-être pourrez-vous
m’expliquer : L’impression irritante de vivre dans un mensonge accepté
parce que répété avec obstination. Ainsi : le Pays Basque est en guerre et
les artisans de la paix contribuent à la paix. Ça se répète en boucle, de
manière incantatoire et ça devient vrai, non seulement vrai, mais irréfutable.
Comment expliquer à un homme sous hypnose qu’il est sous hypnose.
Pour résister à cet endormissement, je me raccroche à
des réalités historiques. La terreur armée de l’IRA en Irlande du Nord et de l’ETA au Pays Basque espagnol a commencé
à décliner quand de puissantes manifestations de civils ont déferlé dans les
rues de Belfast et de Vitoria, de Madrid et de Dublin. Après des attentats
particulièrement meurtriers qu’une société révulsée condamnait au cri de
« ça suffit ».
Ici, au Pays Basque français, nous
assistons à de puissantes manifestations contre une guerre qui a cessé depuis
2011. Quand manifester pour la paix avait un sens, le Pays Basque français
était absent. Maintenant il se réveille contre des fantômes.
Les prisonniers ? Un pays en paix,
c’est un pays où des personnes qui
tuent, détruisent, rackettent, sont poursuivies et mises en prison. Dans un
pays en guerre, ces mêmes personnes s’appellent des soldats. Un pays est en
paix quand Gerry Adams demande de téléphoner à la police si vous voyez un homme
en armes.
On peut on doit demander le droit
commun pour les basques en prison. Mais n’oublions jamais leur première
qualité : celle de témoin. Les prisonniers basques condamnés pour
activités terroristes en bande armée confirment que nous sommes en paix.
On comprend la logique des
etarras : prolonger l’état de guerre en fait des soldats. Mais ma question
lancinante, à laquelle je n’arrive pas à répondre : comment ont-ils pu
entraîner toute la société du Pays Basque français ? Comment expliquer le
succès des artisans de la paix qui réussiraient à fêter la paix le 11 novembre
1925 ou le 8 mai 1952.
Ma seule réponse, une hypothèse :
la honte. C’est un puissant moteur la honte. La honte de n’avoir rien fait
quand c’était nécessaire, la honte d’avoir regardé leurs chaussures quand les
élus et les journalistes se faisaient massacrer.
Telles
sont les idées que j’avais en tête en allant au colloque de l’université
Pau-Bayonne sur les commissions vérité et réconciliation dans le monde. (CVR).
La dernière séance était consacrée à des témoignages de victimes. Une victime
de torture pendant le franquisme, une victime des GAL, un femme dont le mari
fut assassiné par l’ETA, et une femme dont la famille a été assassiné par les
phalangistes. Quand la victime du franquisme et du phalangisme puis du GAL
parlait, les trois autres la regardaient avec sympathie. Quand la victime de
l’ETA prit la parole, les deux victimes du franquisme la regardèrent avec
sympathie. La victime dont le frère fut assassiné par le GAL n’eut pas un
regard pour elle. Elle détournait les yeux.
Ainsi se dessinait une topologie des
victimes. Il y a les bonnes victimes et les mauvaises. En 1945, les bonnes
victimes sortaient des camps nazis, puis quelques années plus tard, il y eut de
rares rescapés des camps staliniens. Ils furent considérés comme de très
mauvaises victimes par les révolutionnaires marxistes. Quand elles parlaient,
ils ne les écoutaient pas, comme la sœur victime du GAL ne regardait la veuve
victime de l’ETA. Les mêmes distinctions se révèlent au Pays Basque. Les
victimes du franquisme, des phalangistes, du GAL, de la police française ou
espagnole, sont des victimes des méchants, des fachos, des impérialistes. Elles
méritent respect. Mais les victimes d’une organisation révolutionnaire,
marxiste, socialiste, anti-impérialistes, libérateurs, ne peuvent être que des
victimes ambiguës. D’ailleurs, elles sont utilisées par les forces
réactionnaires espagnoles pour dénigrer le combat glorieux des patriotes
basques. La preuve, vous vous rendez compte : la seule victime à parler
vérité et réconciliation fut la victime de l’ETA ; Elle a rencontré des
etarras, en Espagne, en Irlande, au centre de Glencree. Elle dit que la
rencontre est possible si les assassins demandent pardon, s’ils disent
« nous avons assassiné et nous le regrettons ». Sinon, la discussion
est difficile. Or, les etarras qui s’excusent, qui demandent pardon, sont
considérés comme des traîtres par leurs camarades de combat. Elle a rencontré
l’assassin de son mari. Il a demandé pardon. Il s’est repenti. Et la veuve
victime dit : il faut redonner une seconde chance à l’assassin de mon
mari.
À la sortie d’un conflit, la question
des victimes et des bourreaux est une question politique majeure. Les
soi-disant artisans de la paix accordent amnistie et impunité aux prisonniers
basques condamnés pour activités terroristes en bande armée. Ils déterrent les armes mais jamais les
charniers.
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