jeudi 7 juin 2018

la pensée magique


La pensée magique



J’aimerais comprendre et peut-être pourrez-vous m’expliquer : L’impression irritante de vivre dans un mensonge accepté parce que répété avec obstination. Ainsi : le Pays Basque est en guerre et les artisans de la paix contribuent à la paix. Ça se répète en boucle, de manière incantatoire et ça devient vrai, non seulement vrai, mais irréfutable. Comment expliquer à un homme sous hypnose qu’il est sous hypnose.

Pour résister à cet endormissement, je me raccroche à des réalités historiques. La terreur armée de l’IRA en Irlande du Nord  et de l’ETA au Pays Basque espagnol a commencé à décliner quand de puissantes manifestations de civils ont déferlé dans les rues de Belfast et de Vitoria, de Madrid et de Dublin. Après des attentats particulièrement meurtriers qu’une société révulsée condamnait au cri de « ça suffit ». 

Ici, au Pays Basque français, nous assistons à de puissantes manifestations contre une guerre qui a cessé depuis 2011. Quand manifester pour la paix avait un sens, le Pays Basque français était absent. Maintenant il se réveille contre des fantômes.

Les prisonniers ? Un pays en paix, c’est un  pays où des personnes qui tuent, détruisent, rackettent, sont poursuivies et mises en prison. Dans un pays en guerre, ces mêmes personnes s’appellent des soldats. Un pays est en paix quand Gerry Adams demande de téléphoner à la police si vous voyez un homme en armes.

On peut on doit demander le droit commun pour les basques en prison. Mais n’oublions jamais leur première qualité : celle de témoin. Les prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée confirment que nous sommes en paix.

On comprend la logique des etarras : prolonger l’état de guerre en fait des soldats. Mais ma question lancinante, à laquelle je n’arrive pas à répondre : comment ont-ils pu entraîner toute la société du Pays Basque français ? Comment expliquer le succès des artisans de la paix qui réussiraient à fêter la paix le 11 novembre 1925 ou le 8 mai 1952.

Ma seule réponse, une hypothèse : la honte. C’est un puissant moteur la honte. La honte de n’avoir rien fait quand c’était nécessaire, la honte d’avoir regardé leurs chaussures quand les élus et les journalistes se faisaient massacrer.

 Telles sont les idées que j’avais en tête en allant au colloque de l’université Pau-Bayonne sur les commissions vérité et réconciliation dans le monde. (CVR). La dernière séance était consacrée à des témoignages de victimes. Une victime de torture pendant le franquisme, une victime des GAL, un femme dont le mari fut assassiné par l’ETA, et une femme dont la famille a été assassiné par les phalangistes. Quand la victime du franquisme et du phalangisme puis du GAL parlait, les trois autres la regardaient avec sympathie. Quand la victime de l’ETA prit la parole, les deux victimes du franquisme la regardèrent avec sympathie. La victime dont le frère fut assassiné par le GAL n’eut pas un regard pour elle. Elle détournait les yeux.

Ainsi se dessinait une topologie des victimes. Il y a les bonnes victimes et les mauvaises. En 1945, les bonnes victimes sortaient des camps nazis, puis quelques années plus tard, il y eut de rares rescapés des camps staliniens. Ils furent considérés comme de très mauvaises victimes par les révolutionnaires marxistes. Quand elles parlaient, ils ne les écoutaient pas, comme la sœur victime du GAL ne regardait la veuve victime de l’ETA. Les mêmes distinctions se révèlent au Pays Basque. Les victimes du franquisme, des phalangistes, du GAL, de la police française ou espagnole, sont des victimes des méchants, des fachos, des impérialistes. Elles méritent respect. Mais les victimes d’une organisation révolutionnaire, marxiste, socialiste, anti-impérialistes, libérateurs, ne peuvent être que des victimes ambiguës. D’ailleurs, elles sont utilisées par les forces réactionnaires espagnoles pour dénigrer le combat glorieux des patriotes basques. La preuve, vous vous rendez compte : la seule victime à parler vérité et réconciliation fut la victime de l’ETA ; Elle a rencontré des etarras, en Espagne, en Irlande, au centre de Glencree. Elle dit que la rencontre est possible si les assassins demandent pardon, s’ils disent « nous avons assassiné et nous le regrettons ». Sinon, la discussion est difficile. Or, les etarras qui s’excusent, qui demandent pardon, sont considérés comme des traîtres par leurs camarades de combat. Elle a rencontré l’assassin de son mari. Il a demandé pardon. Il s’est repenti. Et la veuve victime dit : il faut redonner une seconde chance à l’assassin de mon mari.

À la sortie d’un conflit, la question des victimes et des bourreaux est une question politique majeure. Les soi-disant artisans de la paix accordent amnistie et impunité aux prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée.  Ils déterrent les armes mais jamais les charniers.

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