mercredi 11 juillet 2018

souvenirs


Comme point d’orgue de leurs trois journées de lessive, les blanchisseurs inaugurent une sculpture représentant une hache dont le manche est un arbre. Comme si en 1945, on avait inauguré une croix gammée dont le manche eût été un arbre de la libération. Notre groupe, qui s’appellera plus tard « mémoire et vigilance » a décidé de contre-manifester.

Nous avons préparé nos armes soigneusement, fiévreusement. Nous avons trouvé d’anciens parapluies ou des parapluies neufs, mais bon marché. Nous avons acheté des feutres. Le petit-fils Yann a été mis à contribution, il a inscrit les chiffres 829 au feutre noir et a signé : YG. La nuit a été courte, nous étions excités comme des mômes à la veille d’un départ en vacances. Comme des malfrats avant un casse. Tout était prêt. Le co-voiturage est organisé. Nous réglons nos montres. Nous partons en avance pour trouver une place. Nous trouvons une place. La pluie se calme un peu. Les circonstances idéales seraient suffisamment de pluie pour justifier les parapluies, car un beau soleil rendrait notre batterie de parapluies suspecte. Mais pas trop de pluie et pas trop de vent. Les dieux sont avec nous. Nous nous nous déployons, chacun séparément, chacun avec son parapluie, Brigitte avec un tee-shirt blanc marqué « 829 ». Nous approchons de l’esplanade Roland Barthes. La sculpture se dresse dans toute son horreur. Pour représenter l’ETA, ils ont choisi la hache. C'est à dire la violence. Ils auraient pu choisir le serpent, (la ruse) mais ils ont préféré la hache. L’artiste justifiera son choix en comparant son œuvre à Guernica de Picasso. Manque pas d’air. Je n’ai pas souvenir que la population de Guernica ait protesté contre le tableau alors que les associations de victimes de l’autre côté sont en ébullition contre cette hache. Les seuls qui sont contents sont les etarras et leurs soutiens. Otegi est ravi. David Pla (dirigeant de l’ETA emprisonné ») nous le dit : « ce qui se passe au Pays Basque Nord est exemplaire ». Bru, Brisson, Etchegarray sont au garde-à-vous. Ils ont enlevé leur écharpe tricolore.

Nous ouvrons les parapluies. Comme un barrage qui s’écroule, comme une écluse qui se remplit, des dizaines de journalistes derrière leur caméra, leur appareil photo, leur enregistreur, se précipitent, photographient, filment. Les médias nous sortent de la clandestinité. Depuis des mois et des mois que nous nous battons contre l’entreprise de blanchiment de la terreur, sans être guère écoutés, voilà, on commence à nous entendre. Txetx, Etchegarray, Otegi, sont tous verts de rage. On leur gâche la fête. Vous voulez savoir exactement ce qui se passe ? Imaginez des voyous s’introduisant dans une surprise-partie, hurlant et cassant tout. Nous sommes les voyous de la surprise-partie de la hache.

Nous  étions six, ils étaient deux cents. Voyez comme le rapport de force commence à s’inverser. L’an dernier, ils étaient dix mille dans les rues de Bayonne. Nous étions zéro. Aujourd’hui, ils sont deux cents et nous sommes six.



Les journalistes nous interviewent. Les caméras filment. Chacun d’entre nous est porte-parole d’un groupe en train de naître. Chacun déroule ses arguments. Autour de la hache, la fourmilière est en révolution. Otegi continue d’aimer la statue, avec Txetx et Jean-René Etchegaray. L’artiste continue d’aimer son œuvre, ce qui est la moindre des choses. Vincent Bru commence à penser que cette statue était une connerie, que l’appel à la manif du 9 décembre était une connerie. Max Brisson sourit d’un sourire blanc. Txetx vient nous voir. Lui-même. On se présente. Je vous connais dit-il. Je veux bien discuter avec vous. Mais vous n’allez pas perturber la cérémonie, demande-t-il. Bêtise du dirigeant qui ne dirige plus rien. Déranger ? Il veut dire, le dirigeant de Bizi, déranger genre voler des fauteuils dans une banque ? Ou genre déterrer des pétoires ? Bien sûr que non. Mais sa cérémonie est déjà foutue. Morte. Pétard mouillé. La statue tangue. Le maire de Bayonne, blanchisseur chef, se demande où il va cacher un monstre de huit tonnes. A Louhossoa, il y avait juste quelques caisses d’armes, ce n’était pas trop lourd. Mais là, huit tonnes de connerie, huit tonnes de bêtise, huit tonnes d’insultes aux victimes de l’ETA, huit tonnes de lessive, huit tonnes de barbarie, huit tonnes de cadeau à Otegi, comment on fait pour s’en débarrasser ? Au boncoin ? Le lendemain du Noël patriote, voici un cadeau dont plus personne ne veut.

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