Comme point d’orgue de leurs trois journées de
lessive, les blanchisseurs inaugurent une sculpture représentant une hache dont
le manche est un arbre. Comme si en 1945, on avait inauguré une croix gammée
dont le manche eût été un arbre de la libération. Notre groupe, qui s’appellera
plus tard « mémoire et vigilance » a décidé de contre-manifester.
Nous avons préparé nos armes soigneusement,
fiévreusement. Nous avons trouvé d’anciens parapluies ou des parapluies neufs,
mais bon marché. Nous avons acheté des feutres. Le petit-fils Yann a été mis à
contribution, il a inscrit les chiffres 829 au feutre noir et a signé :
YG. La nuit a été courte, nous étions excités comme des mômes à la veille d’un
départ en vacances. Comme des malfrats avant un casse. Tout était prêt. Le
co-voiturage est organisé. Nous réglons nos montres. Nous partons en avance
pour trouver une place. Nous trouvons une place. La pluie se calme un peu. Les
circonstances idéales seraient suffisamment de pluie pour justifier les
parapluies, car un beau soleil rendrait notre batterie de parapluies suspecte.
Mais pas trop de pluie et pas trop de vent. Les dieux sont avec nous. Nous nous
nous déployons, chacun séparément, chacun avec son parapluie, Brigitte avec un
tee-shirt blanc marqué « 829 ». Nous approchons de l’esplanade Roland
Barthes. La sculpture se dresse dans toute son horreur. Pour représenter l’ETA,
ils ont choisi la hache. C'est à dire la violence. Ils auraient pu choisir le
serpent, (la ruse) mais ils ont préféré la hache. L’artiste justifiera son
choix en comparant son œuvre à Guernica de Picasso. Manque pas d’air. Je n’ai
pas souvenir que la population de Guernica ait protesté contre le tableau alors
que les associations de victimes de l’autre côté sont en ébullition contre
cette hache. Les seuls qui sont contents sont les etarras et leurs soutiens.
Otegi est ravi. David Pla (dirigeant de l’ETA emprisonné ») nous le
dit : « ce qui se passe au Pays Basque Nord est exemplaire ».
Bru, Brisson, Etchegarray sont au garde-à-vous. Ils ont enlevé leur écharpe
tricolore.
Nous ouvrons les parapluies. Comme un barrage qui
s’écroule, comme une écluse qui se remplit, des dizaines de journalistes
derrière leur caméra, leur appareil photo, leur enregistreur, se précipitent,
photographient, filment. Les médias nous sortent de la clandestinité. Depuis
des mois et des mois que nous nous battons contre l’entreprise de blanchiment
de la terreur, sans être guère écoutés, voilà, on commence à nous entendre. Txetx,
Etchegarray, Otegi, sont tous verts de rage. On leur gâche la fête. Vous voulez
savoir exactement ce qui se passe ? Imaginez des voyous s’introduisant
dans une surprise-partie, hurlant et cassant tout. Nous sommes les voyous de la
surprise-partie de la hache.
Nous étions
six, ils étaient deux cents. Voyez comme le rapport de force commence à
s’inverser. L’an dernier, ils étaient dix mille dans les rues de Bayonne. Nous
étions zéro. Aujourd’hui, ils sont deux cents et nous sommes six.
Les journalistes nous interviewent. Les caméras
filment. Chacun d’entre nous est porte-parole d’un groupe en train de naître.
Chacun déroule ses arguments. Autour de la hache, la fourmilière est en
révolution. Otegi continue d’aimer la statue, avec Txetx et Jean-René
Etchegaray. L’artiste continue d’aimer son œuvre, ce qui est la moindre des
choses. Vincent Bru commence à penser que cette statue était une connerie, que
l’appel à la manif du 9 décembre était une connerie. Max Brisson sourit d’un
sourire blanc. Txetx vient nous voir. Lui-même. On se présente. Je vous connais
dit-il. Je veux bien discuter avec vous. Mais vous n’allez pas perturber la
cérémonie, demande-t-il. Bêtise du dirigeant qui ne dirige plus rien. Déranger ?
Il veut dire, le dirigeant de Bizi, déranger genre voler des fauteuils dans une
banque ? Ou genre déterrer des pétoires ? Bien sûr que non. Mais sa
cérémonie est déjà foutue. Morte. Pétard mouillé. La statue tangue. Le maire de
Bayonne, blanchisseur chef, se demande où il va cacher un monstre de huit
tonnes. A Louhossoa, il y avait juste quelques caisses d’armes, ce n’était pas
trop lourd. Mais là, huit tonnes de connerie, huit tonnes de bêtise, huit
tonnes d’insultes aux victimes de l’ETA, huit tonnes de lessive, huit tonnes de
barbarie, huit tonnes de cadeau à Otegi, comment on fait pour s’en débarrasser ?
Au boncoin ? Le lendemain du Noël patriote, voici un cadeau dont plus
personne ne veut.
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