Colloque Pau, 22 novembre 2018. Sur « vérité et
réconciliation » dans les sociétés en fin de conflit. J’ai proposé pour
cette journée une communication sur les artisans de la paix. Ce qui est
surprenant, c’est que cette communication a été acceptée. En effet, les
artisans de la paix est l’histoire d’une aventure où il n’y a ni vérité, ni
réconciliation. Le mensonge, c’est un mensonge accepté par la société basque
quasiment unanime, un mensonge selon lequel la société basque française était
en guerre. Il fallait une réconciliation factice pour une guerre d’opérette. Le
titre de cette imposture est « artisans de la paix ».
J’ai expliqué tout cela. J’ai dit que la
transformation d’une défaite militaire en victoire politique et le blanchiment
de la terreur d’ETA s’avéraient
difficiles au Pays Basque espagnol. La gauche abertzale, dépositaire du bilan d’une
armée vaincue fut attirée, selon Inaki Egana « plus par les vents du Nord ».
J’ai expliqué comment l’ETA a répondu avec enthousiasme à la proposition du jeu
de piste des « artisans de la paix ». Elle offrait aux élus qui s’ennuyaient
une poussée d’adrénaline. Des citoyens mirent de bottes et des gants,
déterrèrent des armes. Les élus montent au créneau, gonflent la poitrine, se
glorifient d’avoir protégé la société basque d’un danger imaginaire. J’ai dit
les larmes de nos élus le jour de la célébration à Bayonne, larmes plus
abondantes que celles de Clémenceau le 11 novembre 1918. J’ai dit qu’en
médecine, ça s’appelle un placebo, à Lourdes, un miracle. A Bayonne, à Cambo-les-Bains,
on guérit les écrouelles et on met fin à la guerre de Cent Ans. En échange de leur
participation bénévole à ce Sang et Lumière, les demi-soldes accordèrent le
prix Nobel de la paix à des pacifistes en carton.
A côté du Rwanda, de la guerre civile en Algérie, de l’apartheid
en Afrique du Sud, avec mon petit bouquet de fleurs artificielles, j’avais l’air
d’un con, ma mère, mais j’étais là, j’ai parlé, on m’a écouté poliment.
On a beaucoup parlé d’identité. C’est le principe même
de ce concept qui doit être analysé et critiqué. L’identité est une réalité
subjective. Imaginée, selon Benedict Anderson, ce qui ne veut pas dire
imaginaire. Irréelle, ce qui ne veut pas dire inexistante. Mais toute recherche
doit tendre à déconnecter identité et politique. Partout où la connexion se
réalise, elle est le gage de conflits mortifères. L’Irlande du Nord est un
exemple parmi d’autres. En Europe, la montée des populismes est fondée sur la reconnexion
entre identité et citoyenneté. L’un des pays où cette connexion était la plus
forte, l’Irlande, est devenu l’un des pays où la déconnexion est la plus
rapide. Religion, langue, récit national, s’éloignent de la politique de la
république irlandaise et le pays le plus arriéré d’Europe est désormais à l’avant-garde
de la tolérance et de l’ouverture au monde.
La littérature peut jouer un rôle considérable dans le
refus de l’amnésie. Voir Patria de
Fernando Aramburu. Pour l’Espagne : Javier Cercas, les soldats de
Salamine, le monarque de l’ombre, L’imposeur. Voir Hemingway, Dos Passos et Orwell sur la
guerre d’Espagne. Robin McLiam Wilson, eureka
street pour l’Irlande du Nord.
Sur la trentaine des présents, trois avaient lu Patria.
Les regards extérieurs jouent un rôle non négligeable
dans la résolution d’un conflit. Dans l’avion qui me transportait de Paris à Belfast,
les passagers revenaient régulièrement sur la honte qu’ils éprouvaient quand on
les interrogeait sur le conflit nord-irlandais. Une guerre de religion dans un
pays moderne ? Ils ne réussissaient pas à donner du sens à ce qu’ils
vivaient en Irlande du Nord.
Je suis convaincu que le Pays Basque français manque
de ces regards extérieurs. Manque d’étonnement, de questionnement, de débat. Ce
colloque m’a confirmé dans cette conviction. L’Observatoire du Pays Basque français
peut contribuer à attirer ces questionnements.
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