Gerry Adams
a été rattrapé par l’un des meurtres les plus abominables de la période dite
des « troubles » en Irlande du Nord. Jean Conville, veuve et mère de
dix enfants a été abattue par l’IRA qui la soupçonnait d’être une informatrice
à la solde des Britanniques parce qu’elle avait soigné un soldat anglais
blessé, à la porte de son domicile. La guerre est terminée depuis 1998 mais
elle laisse de graves séquelles, qui se révèlent dans les recherches historiques,
dans les interminables procès comme celui de Bloody Sunday. Pourquoi Gerry Adams est-il ainsi convoqué pour une
affaire qui remonte à plus de quarante ans ? Le cessez-le-feu n’était-il
pas fondé sur l’amnistie et la libération de tous les protagonistes ? Ou
bien certaines atrocités ne souffrent-elles pas d’être prescrites ?
Ce qui se
passe sous nos yeux n’est pas un épisode d’un feuilleton policier sur les
affaires classées. C’est une affaire politique. Pour tenter de comprendre, il
faut remonter aux origines du conflit. En 1969, le mouvement pour des droits
civiques nord-irlandais demandait la fin des discriminations que subissaient
les catholiques. C’était un mouvement pacifique, qui demandait l’intégration d’une
minorité discriminée dans la démocratie britannique. Pour les républicains, ces
revendications étaient trahison des idéaux des ancêtres qui demandaient
réunification de l’île et le départ des Britanniques. Par des actions
militaires ciblant les policiers et les soldats, l’IRA recréa le conflit militaire éternel et la
province s’enfonça dans trente ans de guerre civile. Trente ans plus tard, 3500
morts plus tard, des milliers d’années de prison plus tard, aucun des objectifs
affirmés n’était atteint et la guerre s’est arrêtée. Une minorité de
républicains se rappelaient les engagements fondamentaux et clamaient que 3500
morts pour une voiture de fonction était un coût exorbitant.
Les
dirigeants républicains sont pris dans cette contradiction. Pour justifier le cessez-le-feu,
il faut reconnaitre que la voie de la lutte armée fut une tragique erreur. S’ils
poussent la réflexion jusqu’au bout, ils verront que les revendications autonomistes
sont les plus avancées là où le mouvement national a refusé le recours à la violence
armée, au Quebec, en Ecosse, en Catalogne. Ils doivent alors admettre que toutes les
victimes étaient « innocentes », tous les assassinats étaient
dramatiques, toutes les prisons des temples de l’inutile.
Parmi les
dirigeants républicains, très peu ont eu ce courage. Ceux qui l’ont eu ont été
dénoncés comme des traîtres, des repentis. Ils ne sont guère écoutés. Allez
dire aux familles des morts, des emprisonnés, que toutes les grèves de la faim,
les milliers d’années perdues dans les cellules de Long Kesh, les années de
cavale, que tout ça n’était pour rien.
Contrairement
donc à ce qui apparaît l’affaire de Jean Conville ne révèle pas un jugement négatif sur les années de plomb. Jamais
Gerry Adams n’a exprimé aucun regret sur le choix tragique de la violence armée.
L’affaire Jean Conville le confirme. Si certains assassinats sont
particulièrement abominables, c’est parce que la plupart des exécutions ne l’étaient
pas.
Maurice
Goldring professeur en études irlandaises. Auteur de l’Irlande, histoire, société, culture, éditions La découverte.
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