Que faites-vous en fait
Au sein de cette grande époque où nous
vivons ?
Je dis « grande » en effet, car
toujours une époque
Me semble grande, où l’individu pour finir,
N’ayant plus d’autre point d’appui que ses
deux pieds,
Et acculé par l’esprit du temps aux abois,
Doit…penser. (Peter Gan, 1935)
Une enquête sur
les agressions subies par les enseignants. Le résultat est terrifiant. La
moitié d’entre eux ont subi des insultes et des agressions. D’autres chercheurs
vérifient l’enquête et en pointent les faiblesses méthodologiques. Trop tard.
Les gros titres portent sur la grande peur des chefs d’établissement,
l’angoisse des professeurs. Les remarques de chercheurs qui mettent en doute
les résultats seront rangées dans un coin, près des mots croisés. Pendant
quarante-huit heures, les monstrueuses conclusions ont épouvanté les
administrations scolaires, les parents d’élèves, les élèves.
Les exemples sont
multiples.
Un sondage international
mesure régulièrement le pessimisme des peuples. La France est l’un des pays les
plus pessimistes du monde, plus pessimiste que l’Afghanistan et le Kosovo.
Quand on examine ces résultats, on peut se poser des questions sur le sens, la
qualité d’un tel sondage. Mais la question est là : pensez-vous que demain
sera mieux qu’aujourd’hui ? En France, les réponses pessimistes dominent
plus que partout ailleurs : demain sera pire qu’aujourd’hui et aujourd’hui
ça ne va pas très fort. Donc, la vente des tranquillisants est plus forte en
France que partout ailleurs.
Que les gens aient eu très peur en 1935 peut
se comprendre compte tenu de ce que nous avons depuis appris. Que des gens
pètent de trouille en Syrie, au Soudan, en Ukraine, dans des lieux du monde
sans État, sans justice, où les voyous font la loi, Mais chez nous ?
Les postures révolutionnaires n’ont pas
disparu et jouent un rôle dans les comportements excessifs. Pour la gauche
révolutionnaire, rien ne peut aller mieux. Pour la droite conservatrice, tout
progrès social est ruine de l’économie. Pour la gauche révolutionnaire, toute
arrestation d’un jeune est signe d’un État policier. Pour la droite
conservatrice, tout voleur de truffes doit être condamné à mort. Ces lambeaux
de guerre civile continuent à peser sur les comportements parce qu’ils sont
excessifs, donc à la fois simples et spectaculaires.
Plus ça va mal dans les ondes, mieux ça va la
maison. La maison est le lieu où l’on évite les incendies, les inondations, les
élections truquées, les conflits meurtriers, les épidémies, les tremblements de
terre, les tsunamis, les faillites. Plus ça va mal pour les peuples, mieux ça va
pour les individus.
La politique est le point de
rencontre entre une volonté individuelle de se rendre visible socialement par
des comportements simples : élections, discussions, manifestations,
pétitions, et des pouvoirs abstraits, des idées générales qui permettent à des
millions d’hommes de clamer ensemble les mêmes mots alors qu’ils ne se sont
jamais rencontrés.
Nous le savons.
Nous nous en plaignons, en groupe, en cercle. En désintoxication. Mais tout
semble vain. La bêtise triomphante. Ne pas se plaindre. Ne pas déplorer.
Respirer, réfléchir. Travailler.
Le pire,
sous nos yeux, est le fait de nationalistes cagoulés, avec des fusils brandis,
des matraques agitées, des drapeaux au vent. Pourquoi faut-il que partout les
nationalistes extrêmes, militarisés, qui veulent en découdre, qui veulent se
sacrifier pour la patrie, grande comme la Russie, ou une patrie comme la
Transilvania, ou Transnistrie, pourquoi faut-ils qu’ils portent des cagoules,
qu’ils soient des hommes cagoulés que des femmes applaudissent parfois ou
nourrissent de sandwichs et de bortsch chaud ? Pourquoi doivent-ils
retrouver les cagoules qui ont servi aux républicains irlandais de Belfast, aux
etarras du Pays basque, aux soldats de l’ombre à Bastia ? Quel que soit le
climat, les belliqueux portent cagoule. En Afrique, les mêmes aimeraient porter
des cagoules signes de la connerie militarisée, mais il fait vraiment trop chaud.
Ils portent des treillis au lieu de cagoules.
Entre les
populismes et les nationalismes le point commun est la préférence nationale. La
préférence nationale n’est pas seulement une politique restrictive de
répartition des richesses. Elle est beaucoup plus. Elle dit au dernier des
derniers, aux plus démunis, culturellement, matériellement, aux plus à la
dérive, aux plus galériens, à tous ceux que les nantis appellent le peuple pour
le glorifier ou le mépriser, elle leur dit : vous n’êtes rien, mais avec
nous vous serez tout. Des étrangers vous ont dépouillé, vous maintiennent dans
la sujétion, dans le chômage. Parce que vous appartenez à la nationalité
moldave, vous qui êtes les derniers, vous serez les premiers.
Pendant une bonne
partie du vingtième siècle, le socialisme et le communisme avaient joué ce
rôle, en concurrence avec les nationalismes. Ils disaient aussi que les riches,
les nantis, les patrons, maintenaient le peuple dans la misère, et qu’en se
débarrassant des exploiteurs, le peuple accéderait au pouvoir et serait heureux. Les socialistes et les communistes ne portaient pas de cagoules car
ils attribuaient le rôle moteur à des mouvements de masse et non pas à des
comploteurs armés dont ils se méfiaient. Ils agissaient donc au grand jour.
Même quand ils arrivèrent au pouvoir et arrêtèrent et torturèrent des millions,
ils agissaient à visage découvert, leurs victimes les reconnaissaient dans la
rue quand elles étaient parfois libérées.
Dans les pays où
ils n’étaient pas au pouvoir, le socialisme militant était le grand espoir des
classes populaires. Il était l’école, l’université, le centre de formation, de
ceux qui n’allaient ni à l’école ni à l’université. Le nationalisme leur
offrait parfois des accès à la langue, la littérature, les chansons militantes
et des cagoules qui leur permettaient d’échapper à leur destin.
Pour combattre ces
dérives qui sont de réelles menaces, il ne faut rien céder, pas un pouce, dans
le combat des idées. Contre les national-populismes de droite et de gauche.
Contre l’idée que l’identité pourrait être de gauche et qu’il faut même
l’arracher à la droite. Ces mouvements s’adressent et mûrissent sur les rumeurs, les simplifications, les contre-vérités, les évidences de bazar. Ils
s’adressent à ceux qui sont les moins bien armés intellectuellement,
politiquement, culturellement, pour résister aux discours de haine.
Etre en colère.
Quand Alain Finkelkraut, qui a fait toute sa carrière à l’Ecole Polytechnique,
une école qui pendant des siècles a fermé sa porte à la moitié de l’humanité,
et continue de filtrer socialement ses élèves, n’a jamais eu un mot pour
dénoncer ce communautarisme-là, se met à trembler quand il aperçoit un voile
dans le couloir d’une université.
Résister, c’est
d’abord dire, inlassablement, que la situation des sociétés que nous
connaissons a évolué vers le mieux. Sorties de pauvreté, niveau de vie,
espérance de vie, éducation, santé, le monde va mieux et parce qu’il va mieux,
résiste et résistera toujours plus aux discours de haine préférentielle.
Résister, c’est
refuser de prendre au sérieux les élans qui s’appuient sur les ignorances, les
bêtises qu’ils soient Mélanchonistes, communistes, islamistes,
frontnationalistes.
C’est
inlassablement demander que le parti socialiste (et les autres partis)
ressemblent à la société qu’ils ont l’ambition de conduire. Et de gouverner.
Contre le cumul des mandats. Contre les évitements, les replis, les entre soi. Qu’un
syndicaliste candidat pour les élections ne soit plus un événement.
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