Regardez le monde. Étalez les
cartes. Observez les territoires où l’on enterre des victimes, où l’on crie
vengeance, où faire de la politique, c’est choisir dans quel camp on va mourir
ou tuer. Des territoires où le pouvoir est au bout du fusil, où une cartouche
vaut mille bulletins de vote.
Ailleurs, le pouvoir est décidé
par des élections, il y a des lois et des prisons, des acquittements, des
policiers poursuivis, des prisonniers libérés, des avocats, des journalistes
qui ont le droit de dire ce qu’ils pensent sans risquer leur vie, des couples
mixtes, hétéros, trans, qui se promènent dans les rues. Des injustices, de la
précarité, des solidarités, Des luttes, des manifestations, des débats. Partout
des débats. Et dans les assemblées, dans les réunions, on entend plus
facilement ceux qui veulent nous convaincre que nous vivons toujours plus mal
dans la pire partie du monde.
On voudra bien excuser ma
préférence pour le second modèle. Je n’en vois aucun autre qui m’attire autant.
Et qui attire autant les peuples qui en sont privés, qui attire autant les chimères
des migrants et les rêves de ceux qui restent.
A l’intérieur de ce modèle, les
différences sont fortes, mais il ne faut jamais oublier le socle pas si solide
que ça qui tient la société, qui relie les citoyens les uns aux autres.
Ce modèle est menacé, d’abord
par les forces politiques qui souhaitent un état pour une partie seulement des
citoyens. Qui ont si peu confiance dans leur propre pays que toute ouverture
est monde est pour eux mortelle. D’autres forces, beaucoup moins présentes
aujourd’hui, qui considèrent que le système démocratique n’est qu’une variante
de la dictature du grand capital.
Les partis républicains, qu’on
appelle gauche ou droite, progressistes ou conservateurs, républicains ou
démocrates, acceptent les règles du système et s’affrontent sur les questions
d’égalité, de justice redistributive, sur les questions de société. Questions
importantes, mais qui parfois s’estompent au point où les uns et les autres
peuvent partager le pouvoir comme en Allemagne. C’est pourquoi les différences
apparaissent moins clairement. Allons-nous regretter le temps où la politique
était guerre civile, où les enjeux étaient clairs et les sociétés sombres ?
Les différences étant moins
distinctes, il faut dramatiser des enjeux pour mobiliser l’électorat. Par
facilité, par paresse, les politiques continuent de jouer à la guerre. Certains
vont même jouer sur la peur, emprunter les craintes des extrêmes. Les uns et
les autres font comme si les différences étaient fondamentales. La droite
reprend à son compte les craintes devant les mouvements migratoires, confondent
égalité des chances et procréation médicalement assistée. La gauche veut
étrangler le grand capital, dénonce les organisations mondialisées. Pour le
théâtre de la vie politique, chaque sujet doit ressembler à la dernière
bataille, à un déchirement de la société, mettre en jeu l’avenir de l’humanité.
Plus la société se lisse, plus il faut des agressivités théâtrales. Le succès
des séries noires, des barbaries sur les écrans, est d’abord dû à leur exotisme :
le nombre de victimes de violences diminue régulièrement et la pacification des
sociétés doit se compenser par un surcroît
de tragédies. Le nombre des sujets qui clivent la société est en baisse
constante, il faut donc dans les discours retrouver les cliquetis des armes pour
attirer le chaland.
La crise du politique n’est pas
due aux erreurs des uns et des autres, elle est constitutive de la période que
nous traversons, et il faut espérer qu’elle durera longtemps, que le brouillage
se poursuivra, car revenir aux clartés d’antan serait un retour à l’enfer.
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