Le
monde libre
La Seconde Guerre mondiale réunit les
démocraties contre le fascisme, les Alliés contre les « puissances de
l’Axe ». Nous savions tous où était le monde libre. Parmi les cinq grandes
puissances du Conseil de Sécurité, deux, la Chine et l’URSS, n’étaient pas vraiment
des démocraties. Mais elles avaient contribué à la défaite du fascisme, elles
étaient donc dans le bon camp. La guerre froide cliva le monde différemment.
Désormais, « le monde libre » s’opposerait aux dictatures
communistes. Encore une fois, les lignes de fracture réunissaient des
démocraties réellement existantes et des pays dictatoriaux, en Amérique latine,
en Europe avec l’Espagne franquiste, en Afrique, avec des puissances
colonialistes en guerre contre la libération des peuples. Pourvu qu’ils
prennent position contre les ennemis du monde libre. D’où une confusion
persistante. Les partisans d’un camp disposaient d’arguments importants contre
les partisans de l’autre camp et chacun avait sa besace de propagandistes pleine
de prisons, de camps et de massacres.
Le temps n’est-il pas venu où
l’expression désuète pourrait reprendre tout son sens, sans ambiguïté, sans confusion ?
Les conditions fixées par l’Union européenne pour qu’un pays puisse envisager
son adhésion en définissent les contours. Une économie de marché, un système
politique fondé sur des élections libres, libertés collectives et
individuelles, respect des choix individuels de croyance, de comportements
sexuels. Interdiction de la torture et de la peine de mort.
Pour les extrémismes de gauche et de
droite, ces libertés sont formelles, elles permettent d’exploiter les hommes et
les peuples, elles sont au service des classes dominantes et de leurs
laquais : intellectuels et journalistes.
La reprise de cette expression ne vise
pas à nous donner bonne conscience, à célébrer bruyamment notre appartenance au
« monde libre ». Elle permet de poser quelques questions à
contretemps.
Aux pourfendeurs du capitalisme et de sa
variante démocratique, qui défendent les couches populaires, les pauvres et les
opprimés, peut-on faire remarquer que les gens qu’ils défendent s’empressent de
quitter, quand ils le peuvent, les pays où ces « libertés formelles »
sont absentes pour se diriger vers les pays où le marché et ses serviteurs sont
au pouvoir. Il n’y a guère de mouvement migratoire vers la Corée du Nord, Cuba,
la Russie de Poutine, ni vers les pays arabes. Les pays qui attirent le plus
les pauvres et les opprimés sont les Etats-Unis du grand capital, la Grande-Bretagne
de Cameron, l’Europe de Barroso. Est-ce une remarque pertinente ?
Autre question gênante. Dans cette
définition, Israël fait partie du monde libre et ses adversaires n’en font pas
partie. Les mouvements de population à nouveau en témoignent. Les Africains qui
cherchent à émigrer ne choisissent pas les Etats arabes, ni la Cisjordanie. Ils
sont plutôt attirés par Israël. Et les Arabes qui vivent en Israël ne cherchent
pas à émigrer vers la Palestine ou d’autres pays arabes.
Encore une question
gênante : les manifestations de solidarité à l’égard des Palestiniens
n’ont lieu que dans le monde libre. Il n’y en a pas dans les pays arabes, ni en
Corée du Nord ni à Cuba. Il y en a même en Israël. Mais pas en Russie. Pas en Chine. Il y a des manifestations de
solidarité à Londres, Madrid, Rome, Berlin, Stockholm, Dublin, Amsterdam,
Tel-Aviv. Pas beaucoup à Budapest ou à Téhéran. Ou Alger, ou Caracas. On
pourrait donner alors cette définition du monde libre : celui où se
produisent des manifestations de solidarité à l’égard des Palestiniens.
Faudrait-il alors tout accepter
au nom de la défense du monde libre ? Au contraire. Défendre le monde
libre, c’est constamment manifester pour qu’il reste libre. Pour qu’il
n’utilise pas dans la lutte contre le monde non libre des méthodes propres aux
dictatures. Exécutions sommaires, écoutes des journalistes, répressions hors
mesure avec les nécessités de la défense de la démocratie. Pour qu’Israël reste
dans le monde libre, il faut que les Israéliens se demandent pourquoi les
manifestations les plus importantes de solidarité avec les Palestiniens ont
lieu dans le monde libre. Pour accéder au monde libre, les Palestiniens
pourraient se poser la même question.
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