Du côté de Biarritz,
le haut de la saison touristique, voitures sur les trottoirs, feu d’artifice, brasier
d’une foule qui reflue vers Hélianthe, vers les parkings en commentant, en
donnant des notes. Au restaurant pilou, le patron donne le lieu où ont été
plantés les cèpes et les truffes. Pied de cochon, poissons de saison, accent de
province, serveuse accorte qui accueille les clients âgés par « un jeune
homme » sonore ». Même ambiance à Hernani. Cidrerie, morue, lomo,
patacharan et manzana. Le tourisme envahissant engloutit les provinces, les
danses basques, les cœurs d’hommes dans les églises, les sports de force, le
fronton et la pelote, et les touristes en demandent et en redemandent. Partout.
Même à Belfast, ils demandent des peintures murales. A Beaurivage, les petits
commerces se sont réunis pour former une galerie commerciale où ne se vendent
que des produits de la région, charcuterie, pain fait boulanger, les fruits et
légumes ont tous des noms. Plus les touristes sont éloignés du terroir, plus le
terroir doit être authentique parce que la majorité vient de grandes villes où
le terroir est englouti dans les galeries commerciales, les grandes marques,
les nourritures rapides, les grandes artères. Dans ces grands ensembles
rutilants, les individus survivent en bricolant leur origine, soit provinciale
(mon Nord et mon Midi), soit lointaine, coloniale. Ils seront intégrés à la
marmite nationale quand ils applaudiront au Parc Mazon les sports traditionnels
basques et les danses folkloriques. Les Parisiens, les Bordelais, seront
intégrés à la marmite locale quand ils se plaindront avec d’autres autochtones
des inconvénients, des nuisances, des vagues estivales et attendront en serrant
les dents le moment béni où ils se retrouveront entre eux.
Les
Parisiens, les Bordelais, devront sacrifier leur origine parisienne et admirer
la côte. Ces mouvements de foule sont bénéfiques, Ils font vivre les
autochtones. Ils sont réprouvés par ceux qui recherchent l’authentique, qui
mobilisent la langue, l’histoire, l’archéologie, pour porter au pouvoir local,
régional, et parfois national, ceux qui sont issus de l’authentique. Et dans
leur recherche de l’authentique, ils condamnent les étrangers qui achètent leur
maison sur la côte et empêchent les pêcheurs et les agriculteurs de subsister.
Les
traditions toutes neuves deviennent objets de résistance à la mondialisation,
au fric bétonneur. La Goutte d'Or authentique est celle des migrations
africaines. Si arrive dans le quartier de nouvelles migrations d’Europe de l’Est,
des nouveaux usagers de drogue qui ne comprennent que le russe, ils sont
chargés de tous les maux, la mafia, les deals, les réseaux de contrefaçons, ce
sont eux, les nouveaux arrivants, d’Afrique noire et d’Europe de l’est. Les Roumains,
les Roms, les enfants mendieurs.
J’ai
passé mon temps à m’intégrer dans le différent. Parents juifs polonais,
j’enviais les familles dont les parents parlaient français sans accent. Le
combat politique fut un puissant agent d’intégration, les ouvriers patriotes et
révolutionnaires accueillaient les bras ouverts les prolétaires de tous les
pays du monde. Manifestant devant les beffrois du Nord comme de Bastille à la
Nation, j’étais partout enfant de la République. Quand la révolution s’écroule,
il faut chercher ailleurs et cet ailleurs suppose que soient niés, ou en tout
cas n’entrent pas en ligne de compte, les variantes du hasard de la naissance,
langue maternelle, couleur de peau, lieu de naissance, classe sociale, pour
être remplacées par des mérites individuels. Travail, dons, intelligence,
mérites. Dans la lutte pour l’excellence et les avantages qu’elle procure, les
individus ne disposaient plus des tanks puissants que sont l’appartenance
religieuse, nationale, ethnique. Ils devaient se battre à mains nues. Quand ils
réussissaient, ils méprisaient plus ou moins ceux qui continuaient à attribuer
des vertus républicaines à des appartenances communautaires.
Pourtant,
orphelins d’engagements collectifs fougueux, aussi puissants qu’une vague de
l’océan pour qui veut nager, ils observaient avec lucidité et envie les autres
engagements nationalistes, religieux, communautaires. Comment en conserver
l’ivresse tout en épluchant leurs masques sanglants ?
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