dimanche 17 août 2014

traditions

Du côté de Biarritz, le haut de la saison touristique, voitures sur les trottoirs, feu d’artifice, brasier d’une foule qui reflue vers Hélianthe, vers les parkings en commentant, en donnant des notes. Au restaurant pilou, le patron donne le lieu où ont été plantés les cèpes et les truffes. Pied de cochon, poissons de saison, accent de province, serveuse accorte qui accueille les clients âgés par « un jeune homme » sonore ». Même ambiance à Hernani. Cidrerie, morue, lomo, patacharan et manzana. Le tourisme envahissant engloutit les provinces, les danses basques, les cœurs d’hommes dans les églises, les sports de force, le fronton et la pelote, et les touristes en demandent et en redemandent. Partout. Même à Belfast, ils demandent des peintures murales. A Beaurivage, les petits commerces se sont réunis pour former une galerie commerciale où ne se vendent que des produits de la région, charcuterie, pain fait boulanger, les fruits et légumes ont tous des noms. Plus les touristes sont éloignés du terroir, plus le terroir doit être authentique parce que la majorité vient de grandes villes où le terroir est englouti dans les galeries commerciales, les grandes marques, les nourritures rapides, les grandes artères. Dans ces grands ensembles rutilants, les individus survivent en bricolant leur origine, soit provinciale (mon Nord et mon Midi), soit lointaine, coloniale. Ils seront intégrés à la marmite nationale quand ils applaudiront au Parc Mazon les sports traditionnels basques et les danses folkloriques. Les Parisiens, les Bordelais, seront intégrés à la marmite locale quand ils se plaindront avec d’autres autochtones des inconvénients, des nuisances, des vagues estivales et attendront en serrant les dents le moment béni où ils se retrouveront entre eux.

            Les Parisiens, les Bordelais, devront sacrifier leur origine parisienne et admirer la côte. Ces mouvements de foule sont bénéfiques, Ils font vivre les autochtones. Ils sont réprouvés par ceux qui recherchent l’authentique, qui mobilisent la langue, l’histoire, l’archéologie, pour porter au pouvoir local, régional, et parfois national, ceux qui sont issus de l’authentique. Et dans leur recherche de l’authentique, ils condamnent les étrangers qui achètent leur maison sur la côte et empêchent les pêcheurs et les agriculteurs de subsister.

            Les traditions toutes neuves deviennent objets de résistance à la mondialisation, au fric bétonneur. La Goutte d'Or authentique est celle des migrations africaines. Si arrive dans le quartier de nouvelles migrations d’Europe de l’Est, des nouveaux usagers de drogue qui ne comprennent que le russe, ils sont chargés de tous les maux, la mafia, les deals, les réseaux de contrefaçons, ce sont eux, les nouveaux arrivants, d’Afrique noire et d’Europe de l’est. Les Roumains, les Roms, les enfants mendieurs.

            J’ai passé mon temps à m’intégrer dans le différent. Parents juifs polonais, j’enviais les familles dont les parents parlaient français sans accent. Le combat politique fut un puissant agent d’intégration, les ouvriers patriotes et révolutionnaires accueillaient les bras ouverts les prolétaires de tous les pays du monde. Manifestant devant les beffrois du Nord comme de Bastille à la Nation, j’étais partout enfant de la République. Quand la révolution s’écroule, il faut chercher ailleurs et cet ailleurs suppose que soient niés, ou en tout cas n’entrent pas en ligne de compte, les variantes du hasard de la naissance, langue maternelle, couleur de peau, lieu de naissance, classe sociale, pour être remplacées par des mérites individuels. Travail, dons, intelligence, mérites. Dans la lutte pour l’excellence et les avantages qu’elle procure, les individus ne disposaient plus des tanks puissants que sont l’appartenance religieuse, nationale, ethnique. Ils devaient se battre à mains nues. Quand ils réussissaient, ils méprisaient plus ou moins ceux qui continuaient à attribuer des vertus républicaines à des appartenances communautaires.

            Pourtant, orphelins d’engagements collectifs fougueux, aussi puissants qu’une vague de l’océan pour qui veut nager, ils observaient avec lucidité et envie les autres engagements nationalistes, religieux, communautaires. Comment en conserver l’ivresse tout en épluchant leurs masques sanglants ?

            C’est ainsi que je me suis retrouvé en pays irlandais à chanter l’universel contre les militaires des frontières, et au Pays basque à dénoncer les transformations du patrimoine en jeux guerriers. Ici et là-bas, ceux qui réagissaient à mes diatribes me dénonçaient comme étranger, comme inapte à comprendre, comme jaloux d’une camaraderie qui désormais m’échappait. Ils ne comprenaient pas, ils ne comprennent toujours pas, que la chance de survie de leur langue, de leur folklore, de leur chanson, serait de s’ouvrir largement aux étrangers, à leur langue, leurs habitudes, leurs mœurs, comme les marchands de la Renaissance accueillaient les épices et les soieries d’orient. Des influences étrangères qui pimentent les vies. Les nationalistes irlandais authentiques, selon mon cœur, étaient ceux qui réclamaient la publication d’œuvres érotiques en langue gaélique et les nationalistes basques authentiques, selon mon cœur, étaient ceux qui mariaient des individus du même sexe dans leurs églises où résonnaient les chants du pays. Qu’un mouvement pour les libertés de toutes les orientations sexuelles se nomme « les Bascos », voilà qui est réjouissant. Que hurlent les intégristes du monde entier. 

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