J’ai beau
commencer mes discours par « en vérité, je vous le dis », je ne
provoque pas la même adhésion que les apôtres, que les prophètes, que Jésus Christ,
qui pouvait raconter de belles histoires et les faire accepter par des fidèles
uniquement parce qu’il commençait par la même phrase : « en vérité,
je vous le dis ». J’ai essayé. Je monte sur un fauteuil de square ou un
banc public, je figure un haut-parleur en entourant ma bouche ouverte de mes
deux mains écartées et je crie « en vérité, je vous le dis, n’écoutez pas
les faux prophètes, ne suivez pas les avant-gardes incendiaires ». Deux ou
trois personnes s’arrêtent, sourient, s’attardent, repartent, je vois dans leur
regard sans méchanceté un rejet total de mon message. On me connaît, un peu.
Les gens à qui je m’adresse savent que
j’ai appartenu à un monstrueux système d’asservissement et de massacre des
peuples et que j’ai soutenu ce système. Si je me suis trompé à ce point, si souvent,
si mal, si obstinément, si aveuglement, si longtemps, pourquoi pourrait-on
aujourd’hui me faire confiance ? Ils ont entièrement raison de se méfier.
Beaucoup me supplient, ou m’ordonnent, de me taire. De me faire oublier. Comme
Lord Jim. Un officier de marine qui abandonne un bateau en détresse a beau
expliquer devant les juges les circonstances de son crime. Personne ne
l’écoute. Il s’enfuit, prend un pseudonyme, dès qu’on le reconnaît, il s’enfuit
encore, s’enfonce dans la jungle. Disparaît. Voilà un exemple exemplaire. Tu
t’es trompé, au moins pendant trente ans. Disparais. Cache-toi. Bon. Mais
rappelez-vous la règle de la tabagie. Si vous avez fumé pendant trente ans, il
faut trente ans pour retrouver des poumons propres. J’ai fumé du communisme de
1945 à 1975. J’ai arrêté en 1975, plus trente, ça nous mène à 2010. Depuis
2010, je peux dire que j’ai le cerveau décrassé. Je peux recommencer à penser,
et les gens peuvent recommencer à m’écouter.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire