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Décembre
2018. Un groupe de quelques dizaines de milliers de personnes mécontentes d’une
augmentation de la taxe sur le diesel et d’une diminution de la vitesse sur les
routes départementales ont revêtu un gilet de sécurité jaune dont l’obligation
avait failli créer des émeutes en 2008 mais le mouvement avait avorté car les
conducteurs n’étant pas encore obligés de posséder un gilet jaune dans leur
coffre n’avaient pas de gilets jaunes pour manifester et il fallut dix ans pour
que l’obligation du gilet jaune puisse enfin déboucher sur des manifestations
de masse.
Première
observation : les deux premières revendications des gilets jaunes étaient contraires
à l’intérêt général. Les mesures contre lesquelles ils manifestaient étaient
des mesures de sécurité routière et de santé publique. Moins de mort, moins de
carbone. On peut tourner les choses dans tous les sens. Les gilets jaunes ont
manifesté pour plus de carbone et plus de morts sur les routes. Ils n’ont pas
manifesté pour la construction de logements sociaux ni pour l’augmentation du
salaire minimum, ni pour l’augmentation des minimums retraites, ni pour la construction
d’une école, ni pour la paix au Moyen Orient.
A
ce sujet d’ailleurs, je demande immédiatement que les deux cent trente
personnes qui sont vivantes aujourd’hui alors qu’elles seraient mortes sans la
diminution de la vitesse, se manifestent auprès des mairies et des préfectures
afin de se faire enregistrer comme « survivants ». Les préfectures
leur délivreront un badge de « survivant » qu’elles auront le droit
de porter. Elles auront également le droit de donner des cours de sécurité routière
dans les auto-écoles et dans les maternelles. Je demande également que les quatre-vingt-trois
personnes qui ont évité le cancer du poumon grâce à la diminution du carbone reçoivent
elles aussi un badge de « miraculés » qui devra être homologué par
une commission de médecins, les mêmes qui homologuent les guérisons de Lourdes.
A
ces premières revendications s’ajoutèrent d’autres demandes diverses, la
réduction des impôts et la démission du président de la République. Un ensemble
hétéroclite qui fut soutenu par les partis d’opposition. Les Insoumis, les LR,
les RN, qui naviguaient péniblement par calme plat ont tendu la drisse pour que
cette brise inattendue gonflent leurs voiles en berne.
Les
gilets jaunes ont été rejoints par des manifestants rouges et bruns qui ont
introduit dans le sabbat social une violence extrême. Barricades, pillages,
incendies. Sans compter les agressions contre les forces de l’ordre et les
journalistes. Ici se place un épisode assez curieux. Des syndicats, des
économistes réformistes, des chercheurs progressistes, avaient mis en garde le gouvernement
Macron contre un certain déséquilibre de sa politique. Ils ne furent pas
écoutés. Alors que des gilets jaunes vrillèrent les tampons des responsables en
cassant. Encore une fois, on peut retourner les choses dans tous les sens. Si
les gilets jaunes avaient manifesté aussi pacifiquement que les syndicats, les associations
écologistes, les mouvements féministes, rien n’aurait bougé. Ce qui a fait
bouger les lignes fut la violence extrême et la transgression des lois
républicaines. Actes soutenus par près de la moitié de la population. Si l’on
avait proposé il y trois mois les mesures du plan d’urgence, on nous aurait
expliqué doctement que ces mesures étaient impossibles.
Aujourd’hui
le gouvernement tente de reprendre la main avec le « grand débat »
qui a l’immense avantage de remettre au centre à la fois les gilets jaunes qui devront
clarifier leurs revendications et les mettre en regard d’autres urgences. Et
les citoyens engagés qui étaient repoussés dans l’ombre par un tsunami médiatique.
Espérons
que ça va marcher. Participons aux débats, comme les marcheurs du comité de Biarritz
de la REM, heureux de pouvoir discuter dans un climat de liberté.
Mais
reconnaissons que la difficulté est grande. Trente personnes qui discutent
pendant trois heures des solutions souhaitables, dans une grande salle du
centre de Pays Basque, les journalistes invités ne se sont pas déplacés. Si les
mêmes trente personnes avaient mis un gilet jaune, cassé un distributeur de
banque et scandé « Macron démission », les caméras et les micros
seraient accourus.
Ceci
est une donnée qu’on ne peut pas effacer. Inutile de se lamenter. Elle ne
disparaîtra pas. Elle signifie seulement qu’il faut des efforts incessants, des
initiatives répétées, pour que les
réformistes républicains se fassent entendre. Il leur faut dix fois plus d’effort,
efforts intellectuels, efforts de communication, efforts d’explication, qu’un
groupe de casseurs orangés. Ces efforts, ces réflexions, sont vitaux, car elles
visent d’abord à dissiper le soutien gazeux dont disposent des émeutiers.
L’étape
actuelle est pleine de dangers. Rappelons-nous. Au lendemain de la Première
guerre mondiale, les années de crise eurent des issues diverses. La Révolution
d’octobre en Russie, puis dans les pays capitalistes développés, le New Deal
aux Etats-Unis, le Front populaire en France, l’état providence au Royaume-Uni
et le fascisme en Italie et en Allemagne. Les différences entre ces diverses
issues sont de nature politique. Les peuples sont intervenus dans un sens ou l’autre,
pour renforcer telle ou telle option. Aujourd’hui, le choix nous appartient.
Entre une issue genre Brexit, ou Italie, ou Orban, ou Bolsonaro, ou Pologne. Ou
un New Deal, un Etat providence à la française. Telle est l’ombre portée sous
laquelle se mène le grande débat.
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