Habitant de la Goutte d'Or, militant
socialiste à CGO, je me permets d’intervenir dans la discussion récurrente sur la
saleté et l’insécurité dans les stations de métro Lamarck et Marcadet
Poissonniers, sur la présence des usagers de drogue qui mettent en danger
« la santé de milliers de gens ». Une situation qui « dans
certaines stations de l’ouest parisien ne serait pas tolérée par la RATP plus de vingt-quatre
heures ». Rue des Portes Blanches, les citoyens vivent « dans les
excréments et la prostitution ». La population porte des masques pour ne
pas vomir et ne pas chopper des maladies diverses telles la tuberculose.
« Les habitants de la résidence sont prêts à voter FN ».
Quand un
quartier sombre dans la galère et que les habitants avec un minimum de
ressources l’abandonnent au pire, il ne reste plus personne pour protester. Les
colères contre les différents modes de survie engendrés par la misère extrême sont
précieuses. Elles disent que le quartier veut vivre. Ceux qui sont relativement
intégrés ne supportent pas les incivilités, les délinquances, les bruits, les
saletés. La protestation véhémente contre ces dysfonctionnements est l’indice
d’une volonté citoyenne de s’approprier ou de se réapproprier l’espace auquel
une partie de la population affirme avoir autant droit que dans les quartiers
plus favorisés.
Le phénomène
est bien connu. Des salariés ne veulent pas quitter Paris. Ils cherchent des
quartiers où les loyers sont plus bas. Ce ne sont pas des quartiers huppés. Ils
savent où ils vont quand ils louent ou achètent. Quand j’ai acheté mon
logement, j’ai fait le tour du quartier. J’ai vu les taudis, les habitats
insalubres, les drogues et la prostitution. En vingt ans, les taudis ont été
détruits, les habitats insalubres remplacés par des logements neufs. J’ai vu
construire une médiathèque, un centre de musique. Tout ce qui va mieux nourrit
la colère grandissante contre ce qui va mal. Plus le quartier se transforme,
plus le niveau de tolérance baisse. Mais il faut savoir raison garder. Nous
n’aurons pas tout de suite et peut-être jamais le quartier dont nous rêvons.
La prostitution
et la consommation de drogues ne sont pas des phénomènes qui disparaissent en
soufflant dessus. Même fort. On a soufflé fort dans le quartier Château-Rouge.
Une partie des nuisances s’est reportée sur Marcadet et Lamarck.
Les
« solutions » sont un travail patient, permanent. Sur la réinsertion
des prostituées, le démantèlement des réseaux de prostitution, des réseaux de
deal de marchandises contrefaites, et des drogues. Une salle de consommation,
des lieux de réduction des risques. Tout le monde est au courant. C’est un long
travail. Un travail de Sisyphe. Quand on voit ce travail, on comprend mieux.
Ces lieux sont ouverts aux habitants : allez voir EGO rue Saint-Bruno,
allez voir STEP Boulevard de la Chapelle.
Ils vous expliqueront leur travail.
La politique
consiste à politiser les galères individuelles, et non pas et non pas à
légitimer les peurs, d’alimenter les colères, de les conduire vers les impasses
des solutions simples. De ce point de vue, le classement en Zone de sécurité
prioritaire de la Goutte
d'Or est une catastrophe, car il remplace ce travail patient, continu, par un
déploiement de policiers parfaitement inefficace, qui nourrit rancœur,
impatience, démoralisation. Comme si les principales difficultés du quartier
étaient dues à l’insécurité. On m’a souvent répondu que la Zone de sécurité prioritaire
comprenait aussi un volet insertion et travail social et politique de la ville.
Balivernes. On ne voit que la police. Et quand
un ministre vient visiter le quartier, ce n’est pas François Lamy,
ministre chargé de la ville, mais Manuel Valls ministre de l’intérieur. Et dans
les réunions, c’est le préfet et le commissaire qui parlent et pas les élus
chargés de la politique de la ville.
Il y a en ce
moment une véritable folie apeurée dans un pays qui n’est pas le moins sûr en
Europe et dans le monde. Dans les endroits les plus tranquilles, on demande
caméras de surveillance et patrouilles de police. Ainsi se trouvent dévalorisées
les colères légitimes, les situations vraiment inquiétantes. Mais même là où se
trouvent des urgences, il faut faire de la politique. La « guerre contre
la drogue » a été mondialement un énorme échec. Tous ses principaux
responsables disent aujourd’hui que la seule réponse réside dans la
légalisation qui permet contrôle de la consommation, comme pour l’alcool et le
tabac, drogues dures qui peuvent être combattues parce qu’elles sont en vente
libre. Quand les usagers de drogue trainent dans les quartiers, la seule
réponse réside dans des lieux de consommation à moindre risque, pour les
usagers comme pour les habitants.
Si rien n’est
fait, les habitants vont voter Front national ? Allons-donc. Le vote front
national n’a rien à voir avec l’insécurité, l’insalubrité. Se résigner ?
bien sûr que non. Protester, réfléchir, trouver des solutions, expliquer. Quand
c’est trop dur, on peut partir. Mais dites-moi en quoi la présence d’un
consommateur dans la rue fait-il voter Front national ? En quoi les voyageurs
de Lamarck vont voter à droite parce qu’il y a des drogués dans le métro ?
J’habite la Goutte
d'Or, je traverse quotidiennement des usagers à la dérive et je vote
socialiste. Pourquoi ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire