Les morts de Lampedusa, les expulsions
d’écoliers. L’émotion est forte. Les militants signent des pétitions contre les
expulsions, accompagnent les démarches dans les administrations, parrainent des
écoliers. Les lycéens manifestent. Des cas particuliers seront sans doute
réglés. Il reste un immense sentiment d’impuissance devant la misère qui
s’étale dans nos rues, mendiantes avec les enfants dans les bras. Étalés sur
nos trottoirs la hiérarchie de la pauvreté. Des commerçants modestes, des
biffins et tout en bas de l’échelle, les revendeurs des épiceries sociales.
L’émotion individuelle et collective ne
se discute pas. Les indignations, les pétitions, les manifestations, les aides
ponctuelles, sont précieuses, mais ne fondent pas spontanément pas une
orientation politique. Le travail d’un parti politique est de politiser les
émotions. De les inscrire dans le monde, les frontières, les projets, les
évolutions.
Pendant la révolution industrielle, les
ouvriers dormaient dans des fossés autour de l’usine. Les indigents étaient
regroupés dans des asiles ou des hôpitaux dont la philosophie était
universelle : pour ne pas créer des « assistés », des gens qui
« profitent », il fallait que les conditions de vie dans ces asiles fussent
pires que les pires conditions de vie de ceux qui travaillaient. Chaque
paroisse s’occupait de « ses » pauvres. Si des migrants, on disait
alors des vagabonds, réclamaient de l’aide, on les renvoyait dans leur paroisse
d’origine. Les impôts locaux devaient subvenir aux besoins de la paroisse, pas
aux besoins des indigents de la commune voisine.
Sous la pression conjuguée des mouvements
sociaux, des philanthropes, des églises, un système de protection sociale se
mit en place. Des retraites, des soins, des écoles, des logements. Mais L’État
providence ne fonctionnait que pour les citoyens de cet État. Les papiers d’identité
se répandirent avec les systèmes de sécurité sociale. Ils séparaient ceux qui
avaient droit aux prestations et ceux qui n’y avait pas droit. Pendant des
années, les mineurs belges qui travaillaient dans le nord de la France ne participaient pas
au régime des retraites des mineurs français. Il a fallu du temps pour considérer
tous les citoyens dignes de recevoir partout dans le pays le même traitement
social
Aujourd’hui, l’objectif est non plus un
État providence, mais une Union européenne providence. Cette protection peine à
se mettre en place. Les citoyens européens qui traversent les frontières sont
souvent considérés comme des étrangers. Ils sont pourtant destinataires au même
titre que les autochtones des minimums d’aide sociale et éducative. Salaire
minimum, scolarité obligatoire, logement et soins. Une partie des pauvres qui
arpentent nos rues ne sont pas des étranges, ce sont des européens. Comme vous
et moi.
Il
faut aller plus loin, considérer tous les habitants de cette planète comme
dignes de recevoir une aide sociale, sanitaire, éducative, universelle. Pour
distribuer cette aide, il faut des administrations au niveau de la planète. La
mondialisation des filets de sécurité n’en est pas au point zéro. Dans le
domaine de la santé, de la lutte contre les épidémies, contre le Sida, des
points sont marqués. Les émotions et les actes de solidarité avec les populations
migrantes sont l’indice d’une plus grande aspiration à un monde solidaire. Qui
reste à construire. Qui demande une pédagogie permanente contre les diffuseurs
de haine.
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