J’adore
faire le point. Malmené par les tempêtes, entraîné par les courants, bousculé
par les urgences, englouti dans les évidences, j’émerge, je me traîne jusqu’à la
rive, trempé, vidé, essoré. J’accroche mes vêtements aux branches, ils sèchent
au soleil, je porte ma bouteille d’eau à la bouche, la vide à moitié, je m’essuie
les lèvres et je fais le point. Faire le point, c’est replacer la flèche de
Google Maps dans son environnement universel. Mettre mon village sur la
mappemonde. Chercher dans le musée de systèmes, la bibliothèque de mes
souvenirs, chercher ce qui peut être compris par le facteur de Kiev, le rabbin
de Lublin, l’universitaire de Queen’s, la journaliste de Casablanca, le médecin
de Belgrade, le marin de Llandudno, le maraîcher d’Almeria, l’étudiant du Cap,
le pharmacien de Pondichéry, chercher ce qu’ils peuvent entendre sinon
partager.
Parmi
les idées qu’ils peuvent peut-être entendre, est qu’il vaut mieux pour toutes
ces personnes de vivre dans une région du monde où une économie de marché est
régulée et protégée par une démocratie parlementaire. Là où l’économie de
marché n’est pas régulée par une démocratie parlementaire, le facteur, le
rabbin, l’universitaire, la journaliste, le médecin, le marin, le maraîcher, l’étudiant
et le pharmacien ont en commun de chercher un endroit où s’est développée une
démocratie parlementaire. Là où a été anéantie l’économie de marché, les mêmes
recherchent un endroit où elle s’est développée. Les richesses du Quatar ne se
heurtent jamais à un état de droit et malheur aux étrangers démunis. Le Venezuela
pense qu’on peut fonctionner sans démocratie parlementaire et l’économie s’écroule.
Et Cuba. Et la Russie et a Chine qui cherchent un équilibre entre démocratie et
marché et qui ne l’ont pas trouvé. Et tous ces pays émergents qui sont à la
recherche éperdue d’une rencontre conflictuelle mais urgente entre économie de
marché et démocratie parlementaire.
Je
ne dis surtout pas que nous vivons au paradis, au contraire. Nous vivons dans
des régions du monde où les conflits ne cessent jamais, avec des vainqueurs,
des vaincus, des matches nuls, des catastrophes et des emballements heureux. Des
endroits du monde où personne n’est jamais tranquille, où les malheurs
individuels sont politisés, où les politiques sont individuelles. Des régions
du monde où personne n’est jamais satisfait et cette insatisfaction nourrit les
prophètes et les laboratoires pharmaceutiques.
Dans
ces régions du monde où personne n’est content, ou le mécontentement est le
trait central de l’identité politique, naissent régulièrement des prophètes de
la simplicité. Chassez les étrangers, étranglez les banques, fermez les
aéroports et tous vos problèmes seront résolus. Trump et Mélenchon mènent
campagne ensemble et séparément contre les traités internationaux, contre toute
tentative de réguler l’économie mondiale, contre tout ce qui introduit dans les
relations internationales les régulations conflictuelles qui sont le propre des
démocraties occidentales. à bas le FMI, à bas l’OMC, à bas tous les traités
commerciaux, À bas l’Europe, disent Brian Johnson, Mélenchon, Marine le Pen,
Trump, Farage, Erdogan. Retirons-nous à l’intérieur des murs, disent Trump, Le
Pen, Mélenchon. Protégeons nos frontières sacrées, remplaçons les froides
cartées d’identité par une analyse de sang.
Mes
adversaires sont ainsi clairement désignés. Les champions de la régression sont
mondialement connus. Mais chaque village a les siens. Ils ne veulent pas d’abris
pour les migrants dans leurs murs. Ils veulent des structures administratives
qui correspondent à des définitions ethniques, appellent « peuples frères »
tous ceux qui luttent pour l’enfermement des Corses, des Basques, des Bretons. Ils
portent d’autres noms que Trump, Le Pen, Farage, Erdogan, mais sont portés par
les mêmes torrents de boue.
Bon.
Ça va mieux. Mes vêtements ont séché. Je peux me rhabiller. J’ai fait le point.
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