mercredi 3 août 2016

Strasbourg 2016


Strasbourg 2016


 

Le permis d'oublier permet d'oublier le permis. Il paraît qu'il est très important d'oublier. Mais comment peut-on oublier sans permis? Comment peut-on oublier son permis sans permis d'oublier?  Louer une voiture sans permis n'est pas permis. IL n'y a pas de double au permis. Pas d’ersatz. Elle tend une photocopie, un mail un fax. Vous ne pouvez oublier votre permis que si vous avez votre permis d'oublier. Sans permis d'oublier, vous ne pouvez pas oublier votre permis et si vous oublier votre permis sans permis, c'est tant pis pour vous. Vous n'aurez pas le permis de conduire. Vous savez ce que c'est un permis de conduire? Ça permet de conduire. Sans permis de conduire, vous ne pouvez pas conduire. Sans permis d'oublier, vous ne pouvez pas oublier. 

Il faut, nous dit l’agence de location de Strasbourg, que notre agence de Biarritz constate de visu la matérialité de votre permis de conduire et nous faxe, mail, courielle, transfère, cette constatation à l’agence de Strasbourg.  Savez-vous que de nombreux terroristes louent des voitures en nous présentant des permis de conduire photocopiés et depuis nous sommes très attentifs ensemble.

Heureusement, la fille d’elle trouve le permis, le porte à l’agence de la gare qui est fermée, le reporte à l’agence de l’aéroport, qui est ouvert, qui faxe à Strasbourg la constatation. Pendant ces opérations, elle et moi déjeunons à l’aéroport de Strasbourg d’une paire de saucisses éponymes, déjà la nostalgie. Le temps de commander, de préparer, d’ingérer, de boire un café et de dire à quel point les saucisses frites font partie de ma jeunesse étudiante désargentée, saucisses frites après frites, saucisses de Strasbourg, ont construit mon avenir, ce temps passé, nous revenons au comptoir où l’employée nous tend le permis, les clés, les instructions, les assurances, les compléments pour essence ou diesel, les compléments pour GPS. L’adresse de la voiture, les recommandations qui prennent une dizaine de pages et nous n’allons pas passer nos vacances à lire des modes d’emploi et des recommandations et les assurances dont seuls les paragraphes en tout petit disent l’essentiel, que de toute manière, ce n’est pas bon pour vous. La belle histoire. Le voilà votre permis, votre clé, vos instructions, vos assurances. La voiture avec GPS. 

Si le GPS vous dit de tourner à droite, et qu'à droite la rue est piétonne, alors inlassablement, le GPS vous faite tourner en rond jusqu'à ce qu'un être humain vous montre que vous pouvez emprunter la rue piétonne sur une centaine de mètres et ça vous permet d'arriver à l'hôtel. Mais il faut encore trouver une machine à payer le garage. Vingt-huit euros le quart d'heure, je comprends pourquoi les cyclistes nous dépassent en se marrant. La première machine ne fonctionne pas et une autre machine avale de quoi nourrir une famille du Rwanda pendant six mois.

L'hôtel nous a réservé une chambre de bonne au quinzième étage sans ascenseur un escalier de service qui tournicote et au troisième étage, je dis non, je ne prends pas la chambre, trouvez-moi une chambre avec ascenseur, un lit matrimonial une douche. Fouettés par ma véhémence, ils trouvent.

L'hôtel a un parking rue du Jeu des Enfants. Avec un ticket de l'hôtel on a une réduction qui permet d'inscrire l'aîné à un semestre de l'université de Columbia. Le prix du parking, au quatrième étage, avec un haut-parleur qui diffuse la 9éme de Beethoven en grésillant, permet de passer trois nuits à l'hôtel du Palais, mais avec la réduction, on pourra envoyer les quatre petits enfants au ski à Courchevel.

En attendant la chambre, nous posons l'estomac sur un fauteuil et lisons le menu. Dans le menu, se trouvent bien évidemment des saucisses de Strasbourg. Chez Roger la Frite, Boulevard Saint-Germain, les saucisses de Strasbourg frites étaient le plat le moins cher. Ici c'est la même chose. Je commande le plat que me commande la nostalgie. Saucisses de Strasbourg avec les potes étudiants. Saucisse de Strasbourg le vendredi soir avant de prendre le train pour Saint-Quentin et retrouver les potes du samedi.  Nostalgie encore le soir quand je commande des galettes de pomme de terre râpées, croustillantes, qu'on appelait chez moi latkes, et ici des rösties, avec du jambon fumé et du fromage blanc. 

J'oubliais le principal : la Cathédrale de Strasbourg, qui permet d'oublier tous nos soucis de voyage. Les touristes se prennent en photo devant la façade, japonais, chinois, néerlandais. Une jeune femme fardée, jupe écourtée, yeux énamourés séduit un cadre EDF qui vient de divorcer et hésité à repiquer, mais on sent qu'il est attiré par la dame. Nous sommes face à la cathédrale, devant un demi de bière et un demi panaché parce que Madame n'a pas voulu commander une Radler, elle en mourait d'envie, mais elle dit que Radler c'est allemand et on ne commande pas une Radler en France. Nous admirons les sculptures de la Cathédrale, la jeune dame tourne le dos aux sculptures et admire le visage du cadre EDF. Nous pénétrons dans la cathédrale dont vous pouvez admirer les photos sur la toile, vous aurez une idée de notre émerveillement. Avec l’état d’urgence, dès le mois d’août, l’entrée se fera par une seule porte et les touristes tourneront en rond, dans un seul sens, les sacs à dos seront interdits. Retour à pied. Les jeunes avec chien et anneaux dans le nez s'installent place Kléber, avec les bouteilles pleines. La police municipale barre l'accès à la cathédrale avec deux voitures en angle, les terroristes peuvent aller se brosser.

La Petite France, d'après la bande sonore du petit train qui démarre de la cathédrale pour faire le tour de la ville est un quartier qui tient son nom de la syphilis apportée par des soldats français en garnison. La maladie s'appelait la petite française. La Petite France est le quartier touristique de Strasbourg et le chauffeur du petit train nous conseille d’éviter les restaurants de la Petite France, tout est industriel, dit-il. Effectivement, nous confirmons. La bande sonore, indique aux passagers, en dix-huit langues, la maison où Rouget de l'Isle à composé la chanson d'un régiment que Kléber a ensuite transporté à Marseille. Cette chanson un peu vieillotte a retrouvé une nouvelle vie depuis que le sang impur des terroristes et le sang pur de leurs victimes coulent dans nos sillons. Kleber a une place ainsi que Gutenberg. Il fallut quatre cents ans pour construire la cathédrale et encore maintenant, elle est en travaux. Les portes n'ouvrent qu'à treize heures trente et la foule s’engouffre par bandes organisées ou en famille, tais-toi, c'est une église, on ne fait pas de bruit dans une église et encore moins dans une cathédrale. Ou par individu. Certains prient. Des femmes voilées accompagnent leur mari. À partir du 1 août, les touristes devront tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

Strasbourg  a accueilli les églises persécutées et le nombre de temples réformés est impressionnant, ainsi que les séminaires, les écoles, les formations, les écoles du dimanche. Sans compter l’École Nationale d’Administration, (ENA), qui s’est exilée à Strasbourg parce que tous les responsables politiques dénonçaient les élites qui sortaient de cette école et du coup,  les élites insultées, persécutées, furent bannies et contraintes d’aller étudier à Strasbourg.  Dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, une page complète renseigne sur les lieux et les horaires des différents cultes:  catholiques, catholiques traditionnels, Mgr Lefebvre, protestants , anglicans, évangélistes, juifs, musulmans et les visites de l’ENA. Les adresses, les heures des services, toute une page complète. Dans les rues, beaucoup  de femmes voilées, et même une fois, une burqa, un hijab.  Les hommes  ont un estomac proéminent et les femmes  sont voilées. Les musulmans en goguette n'ont pas l'air inquiet et les touristes, à part moi, ne les regardent même pas. La braderie de Strasbourg sera maintenue, les fêtes de Bayonne seront maintenues, la braderie de Lille sera maintenue. Toutes les braderies seront maintenues et la rentrée des classes se fera à la date prévue.

Le GPS continue de nous faire tourner en bourrique, dès que le centre-ville est réservé aux piétons, à Ribeauvillé par exemple.  Le mont saint-Odile est un ancien couvent ou désormais le nombre de restaurants est supérieur aux nombre de résidentes. Les bonnes sœurs au nombre de quatre reçoivent des pèlerins, des collègues bonnes sœurs du monde entier, Inde, Afrique, Ukraine, partout où il y a des guerres et de la misère. Comme il y a moins de guerre et de misère en Alsace, le nombre de bonnes sœurs au mont saint Odile, d'où la vue est superbe, est réduit à quatre. Il y a des chapelles, des toilettes payantes, un buffet est dressé pour recevoir des bonnes sœurs indiennes qui boivent du vin. Des cartes gravées montrent les lieux qui le méritent. L’endroit où un avion s’est crashé n’est pas indiqué sur ces cartes et les touristes voudraient savoir et demandent, à moi. Je réponds que je ne suis pas d’ici et qu’ils s’adressent à la Mère supérieure car leur ordre est familier des catastrophes.

Puis la route du mont saint Odile rejoint l'autoroute à cause du GPS et nous amène à Ribeauvillé où nous avons du mal à nous garer, car d’après la boulangère, le boucher de la Grand Rue n'aime pas qu'une voiture stationne en permanence devant sa vitrine. Dans la ville nous nous laissons guider par les flèches urbaines. Des pancartes pointent les lieux à visiter, les hôtels, les « quartiers pittoresques ». Comment résister à une telle invitation ? Seuls ou en groupe, nous obéissons. Nous ne sommes pas déçus. Des toits colorés, des maisons anciennes avec poutres apparentes, des encorbellements et des cours intérieures. Les familles se promènent, parfois avec un parapluie. Le soir à nouveau des galettes râpées me rappellent les latkes. Le commissaire Maigret reconnaît le coupable parmi une poignée de suspects. Le vin rouge à été remplacé par du sylvaner que Brigitte semble apprécier. Puisqu'elle en recommande un pichet, mais quelle importance, nous rentrons à pied. Par la Grande Rue, devant la vitrine de la boucherie que nous avons libérée. 

En route pour le Haut Koenigsbourg.  Un paysage à couper le souffle. Le haut Koenigsbourg est un château fort en haut d'une montagne qui a tour à tour appartenu aux Germains, aux Francs, aux Suédois. En 1870 après la défaite, l'Alsace devint allemande et la ville de Selestat, un peu fayote, fit cadeau du château à l'empereur Guillaume II. Qui le fit refaire par un architecte entiché du Moyen Age. Mais ce fut malgré tout Guillaume II qui décida et le résultat est une restauration selon l'idée que se faisait l'empereur du Moyen Age. Les restaurations indiquent les goûts contemporains et sont rarement authentiques. Les cavernes troglodytes, peut-être...

La restauration se fit au début du 20ème et le château du Haut Koenigsbourg fut le symbole de la puissance affirmée de l'Allemagne. Des scènes du film de Renoir, la Grande illusion, y furent tournéees, avec Éric Von Stroheim. Après la défaite allemande et la victoire des Alliés de 1945, le château redevint français et c'est un des monuments les plus visités du pays. Pour faire face à cet afflux de touristes allemands, belges, Ukrainiens, italiens, français, on redessina la route d'accès pour que les voitures puissent se garer avant l'entrée. Le parking se déroule ainsi pendant deux ou trois kilomètres avant la première muraille. Il faut marcher donc entre un ou deux kilomètres selon la saison. En hiver, on marche moins, mais la route est glissante et souvent enneigée. Après ces quelques kilomètres de montée, il faut payer l'entrée et en tout, il y a trois cents marchés qui relient les casemates, les mâchicoulis, les chemins de route, les cuisines et les latrines. Au moins une heure de marche dans des escaliers glissants à force d'avoir été usées par les soldats suédois, et les touristes italiens. Des marches hautes, des colimaçons. 

Que faisaient les seigneurs lestés de nombreux péchés qui voulaient se faire pardonner avant le grand saut? Le pélerinage de Saint Jacques. Ils voulaient se faire pardonner, laver de tout péché après une longue vie de pillage et de stupre. Incapables de se déplacer. Comme ils en avaient les moyens à force d'avoir pillé les autres châteaux, ils payaient un serviteur pour faire le chemin à leur place, il paraît que ça marchait du feu de dieu. Avec l'augmentation du niveau de vie depuis le moyen âge, le nombre de pécheurs qui peuvent se permettre le pélerinage à Saint-Jacques par procuration a été multiplié, et depuis les trente glorieuses, le chemin de Compostelle est envahi par des demi-soldes, des retraités catégorie D, des chômeurs longue durée ou des étudiants qui se font de l'argent de poche pendant les congés. Pendant que leur mandant se prélasse au soleil ou fait la sieste sur un bateau-mouche sur la Seine. C'est en pensant à cette solution que j'ai demandé à une aimable autochtone de grimper le Haut Koenigsbourg à ma place, les kilomètres de route, les trois cents marchés difficiles, les machicoulis, les colimaçons. Elle a volontiers accepté ma proposition en échange d'une promesse d'apéritif à Selestat. Elle a pris de nombreuses photos, m'a expliqué tout ce qu'il fallait retenir de cette visite pendant l'apéro, du riesling de la région.  Pendant qu’elle montait les marches, je restais assis devant la boutique de souvenirs dont les parents sortaient avec des armures, des épées, des haumes. Selestat est parsemé de cathédrales, d’une bibliothèque humaniste et de maisons décorées. Retour à Ribeauvillé où nous attendaient des spratzle au munster. 

Riquewihr est un village musée. Des maisons décorées. De Riquewihr à Colmar, le GPS nous emporte et nous dépose devant Mercure. D'abord se débarrasser du retable de Grunwald, l’un des hauts lieux de notre voyage avec le Haut Koenigsbourg et la cathédrale de Strasbourg. Le musée Unterlinden nous tend les bras, nous vend des billets réduits pour cause de pension et nous enfilons des oreillettes pour écouter les explications du chemin de croix, Marie, Marie Madeleine, toutes ces mamans souffrantes qui reçoivent l'ordre de procréer sans plaisir, dans la douleur. 

Il faut vite se débarrasser du retable de Grunwald comme à Paris le touriste doit vite se débarrasser du Louvres et de la Tour Eiffel. Comme il faut se débarrasser de la Cathédrale de Strasbourg, de la statue d’Adam Smith à Édinbourg. Comme il faut se débarrasser de Bartholdi à Colmar, celui qui a sculpté la state de la liberté à New York. Il est partout à Colmar, il a sculpté tous les généraux napoléoniens, Kleber, Rapp. Un musée, des rues des lycées, des restaurants portent son nom. Il faut aussi se débarrasser de la Petite France à Strasbourg, à cause de la syphilis. Se débarrasser de la Petite Venise à Colmar à cause des cours d’eau. Les touristes dans des petits trains, dans des barques à moteur sillonnent la Petite Venise et la Petite France pour s’en débarrasser le plus vite possible.

Les lieux dont il faut se débarrasser sont clairement définis. Ce sont les lieux qui provoqueront des exclamations réprobatrices et condamnatrices si vous dites au retour que vous ne les avez pas visités. Comment, tu n’as pas vu le retable, la petite France, la cathédrale. On vous regardera avec mépris. Il faut absolument commencer par ces lieux pour être tranquilles, comme on fait ses devoirs de vacances début juillet pour profiter ensuite tranquillement des plages.

Le retour s'annonce. Les questions  politiques reprennent leur place. Bien sûr, on visite le musée d'art moderne de Strasbourg, bien sûr on regarde les menus des restaurants, mais le cœur n’y est plus. Nous écoutons les informations, nous regardons les titres des journaux, le curé égorgé de Saint Etienne de Rouvray avait trois ans de plus que moi. Des familles dont le père est barbu et la femme voilée se promènent tranquillement et si elles sont inquiètes, ne le montrent pas. Une voiture de police parcourt la rue piétonne.

Je passe un groupe, deux familles ou une seule, avec deux femmes en noir total. Le corps et le visage noircis. Deux cercueils féminins où le menuisier a taillé une fente pour les yeux. J'ai envie de leur dire ce que je pense, ce que j'ai dit il n'y a pas longtemps à un prêtre à Biarritz  qui portait une soutane boutonnée du cou aux semelles de chaussures épaisses: vous portez un costume qui vous isole de la société où vous vivez. Je ne leur ai rien dit alors que j'ai parlé au curé intégriste de l'évêque de Bayonne. Je leur aurai dit qu'elles s'isolaient de la société où elles vivent, que je leur souhaite la bienvenue, mais que je me sentais agressé par cette volonté de s'isoler comme si la société que nous partagions était diabolique. Je ne leur ai rien dit. Il faut rentrer.

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