Apprécions
le moment. Mes amis (il y a quelques années, on disait mes lecteurs) savent que
je mène un combat farouche contre la phrase révolutionnaire, contre les
radicalismes qui ruinent les économies et la démocratie. Ce combat prend la
forme, au Pays Basque, d’une incessante critique contre une alliance baroque
entre le front régional dit abertzale
et une insoumission bigarrée.
Quand la
médiathèque de Biarritz programme un film sur Cuba dont le titre est « l’espoir
est un métier », je me précipite et je constate, en rentrant dans la salle
de projection, que la salle est remplie de cette alliance : des abertzale et des insoumis unis dans la même
admiration pour le seul pays au monde qui après avoir réalisé une révolution
nationale et sociale continue d’attirer des touristes et des sympathies. Même le
Venezuela prend l’eau. Mais Cuba, quand même, cette magnifique résistance à l’impérialisme
yankee, les enfants scolarisés et bien soignés…
Je m’apprêtais
donc à regarder un film œcuménique flattant les croyances mêlées. Erreur
totale. Les réalisateurs ont interviewé une dizaine de personnes et toutes sans
exception ont tissé les louanges à une économie de marché sans entraves. Le
boulanger veut devenir une grande entreprise et souhaite la fin de l’intervention
étatique dans l’approvisionnement en farine. La coiffeuse, la styliste, le
chanteur, l’architecte (qui découvre ce qu’est un client, il ne savait pas), l’économiste,
chantent tous la même chanson : les choses vont mieux depuis que l’état
permet une économie de marché, permet aux entrepreneurs d’entreprendre, il faut
aller encore plus loin, abolir plus de réglementation.
À mesure que
les paroles et les images défilaient, je sentais physiquement les abertzale
insoumis se décomposer. Un silence qui n’était pas de l’ordre de l’attention ou
de l’intérêt, mais un silence de déroute. Le film s’arrête. Les questions tardent
à venir. Je dis quelques mots sur la déception que ce film doit être pour les sympathisants
d’un pays patriote et socialiste. Des intervenants tentent de corriger. Les
Cubains entreprennent, disent-ils mais pour le progrès social. Une autre dit qu’il
s’agit d’une économie sociale et solidaire. Les mots progrès social et économie
solidaire n’ont pas une seule fois été prononcés, mais il faut bien se
raccrocher à des branches imaginaires plutôt que de sombrer.
Je sors dans
Biarritz pluvieux et pénètre dans le pays réel : un grand magasin achalandé,
la foule des clients et à la porte, des sans-abri qui font la manche.
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