J’aime
bien ?
Tu aimes bien ton statut de seul contre
tous ? J’aime bien ? Pendant la guerre, je n’ai pas souvenir d’avoir
aimé me distinguer des autres voyageurs dans le métro parisien. Ensuite,
militant communiste, j’ai sans doute bien aimé être à l’avant-garde solitaire
dans des milieux hostiles, un lycée de bourgeois de province. Ensuite, je
fouille dans mes souvenirs, je me rappelle une certaine ivresse de la
dissidence, au sein des communistes qui me regardaient avec haine. Je me
rappelle avoir aimé inviter Conor Cruise O’Brien, un adversaire farouche de l’IRA,
à l’université de Vincennes, au milieu d’un comité de solidarité avec les
assassins républicains. Il y avait Conor Cruise O’Brien et moi qui présidait et
des manifestants qui hurlaient agents de l’impérialisme anglais. Et puis
ensuite au Pays Basque, où je ne me résignais pas à être touriste, mais où je voulais
intervenir, alors, on m’a insulté salement. J’étais un agent stipendié par l’état
français (ce qui était strictement vrai, puisque j’étais payé par l’état
français comme prof de fac), puis pour le responsable Batera Jean Esterle, j’étais
un gros facho, agent du Parti populaire
parce que j’osais dire que les prisonniers politiques étaient en fait des
terroristes condamnés pour activités terroristes en bande organisée. Puis je me
suis fait jeter d’un cours de basque d’AEK parce que je disais Euskadi Frances au lieu d’Iparralde. Puis
Peyo Claverie, l’élu patriote qui ne voulait pas « serrer la main à un
étranger ». C’était une plaisanterie, paraît-il. Tout ça dans une certaine
indifférence, mes amis pensaient que je l’avais bien cherché, que je
provoquais.
Est-ce que j’aime ces insultes, ces agressions,
ce harcèlement répétitif ? Je vais vous confier un secret. Non, je n’aime
pas. Quand on me demande si j’aime ça, je pense aux femmes à qui on dit les mêmes
mots : finalement, les comportements agressifs, les agressions, vous aimez
un peu ça, non ? Ceux qui ne savaient pas ont découvert récemment qu’elles
n’aiment pas.
Moi non plus.
Les femmes qui sont insultées ont
conscience de se battre pour l’ensemble de la société ? Elles sont le
terrain d’expérience d’une société brutale envers toutes les minorités. De la même
manière, la façon dont sont insultés et agressés ceux qui ne se taisent pas devant
la vague nationaliste est un indicateur précieux sur le type de société que
pourrait devenir la société basque si nous ne réagissons pas. Combien de gens
connaissez-vous qui n’osent pas parler dans les dîners en ville parce qu’ils ont
peur des réactions des abertzale ?
Combien d’élus craignent d’exprimer une
opinion différente sur la question basque parce que c’est trop difficile, trop
conflictuel ?
Quand je subis des insultes, je n’ai pas
trop de mal à résister parce que les haineux ne me visent pas personnellement. C’est
toute la société basque qu’ils veulent enchaîner dans leurs certitudes
identitaires.
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