On se demande « à quoi bon ? » devant
l’inconnu, l’inutile, l’aléatoire. Par exemple, dans le train, j’ai trouvé une
place, je m’installe, je voyage léger, c’est pour moi une question
philosophique. J’ai posé ma valise à
roulettes dans le porte-bagage et j’ouvre le journal. Devant moi, un monsieur
qui a à peu près mon âge, mais dont la philosophie est de voyager lourd tente en soufflant de hisser une énorme valise pleine d’objets inutiles, de cadeaux à
remplir les greniers et les braderies de la Croix Rouge , de
coupures de journaux et il essaye, ce monsieur, une fois, deux fois, de lever
sa valise XXL au niveau du porte-bagage pour qu’il puisse ensuite la pousser et
la ranger mais la valise s’arrête au dessous du niveau requis et elle retombe
et moi, au début, je fais semblant de lire mon journal comme si je ne voyais
rien alors que je l’entends, le monsieur qui n’est pas plus vieux que moi et
donc je ne vois pas la raison pour laquelle je devrais me lever et l’aider à
hisser sa valise d’autant plus que le train est bondé de jeunes sportifs
musclés égoïstes boostés à l’EPO qui font semblant de ne rien voir et à un
moment je craque, je me lève, je pousse d’une main la valise et cette poussée
qui s’ajoute à la poussée des deux mains du voyageur abondant hisse la valise
au niveau du porte-bagage et le voyageur coince sa valise au bon endroit, il me
dit merci et je devrais lui répondre pour ce que vous transportez, des
conneries inutiles, je ne vois pourquoi vous ne laissez pas votre conteneur
dans le sas à bagage où il suffit de déposer sa valise sans emmerder personne
et surtout pas moi et si vous avez peur qu’on vous la pique, votre valise, vous
avez tort, parce qu’étant donné ce que vous transportez, celui qui vous la
piquera, cette valise pleine de rien, sera un bienfaiteur de l’humanité. Là,
voyez-vous, quand je me lève dans ces conditions pour aider un connard à ranger sa malle, oui,
je pose la question « à quoi bon ? ».
Alors que dans la même situation, la même valise
pleine de rien, lourde de souvenirs de La Réunion , gonflée de babioles inutiles et laides,
achetées dans les allées bondées des souks et des supermarchés d’Amérique
latine, le même poids, les mêmes tentatives infructueuses de la hisser au
niveau du porte-bagage et pourquoi ne pas la déposer simplement dans le sas où
il suffit de la lâcher, donc tout pareil, la seule différence c’est que les chaussures
épaisses ont été remplacées par des escarpins à talons, que les pantalons sont
devenus une jupe qui caresse les genoux, que la taille soulève une poitrine
décolletée, et cette seule différence me fait lever et pousser la valise sans
qu’à aucun moment je me pose question « à quoi bon ?.
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