dimanche 16 mars 2014

à quoi bon?

       On se demande « à quoi bon ? » devant l’inconnu, l’inutile, l’aléatoire. Par exemple, dans le train, j’ai trouvé une place, je m’installe, je voyage léger, c’est pour moi une question philosophique. J’ai posé ma valise à roulettes dans le porte-bagage et j’ouvre le journal. Devant moi, un monsieur qui a à peu près mon âge, mais dont la philosophie est de voyager lourd tente en soufflant de hisser une énorme valise  pleine d’objets inutiles, de cadeaux à remplir les greniers et les braderies de la Croix Rouge, de coupures de journaux et il essaye, ce monsieur, une fois, deux fois, de lever sa valise XXL au niveau du porte-bagage pour qu’il puisse ensuite la pousser et la ranger mais la valise s’arrête au dessous du niveau requis et elle retombe et moi, au début, je fais semblant de lire mon journal comme si je ne voyais rien alors que je l’entends, le monsieur qui n’est pas plus vieux que moi et donc je ne vois pas la raison pour laquelle je devrais me lever et l’aider à hisser sa valise d’autant plus que le train est bondé de jeunes sportifs musclés égoïstes boostés à l’EPO qui font semblant de ne rien voir et à un moment je craque, je me lève, je pousse d’une main la valise et cette poussée qui s’ajoute à la poussée des deux mains du voyageur abondant hisse la valise au niveau du porte-bagage et le voyageur coince sa valise au bon endroit, il me dit merci et je devrais lui répondre pour ce que vous transportez, des conneries inutiles, je ne vois pourquoi vous ne laissez pas votre conteneur dans le sas à bagage où il suffit de déposer sa valise sans emmerder personne et surtout pas moi et si vous avez peur qu’on vous la pique, votre valise, vous avez tort, parce qu’étant donné ce que vous transportez, celui qui vous la piquera, cette valise pleine de rien, sera un bienfaiteur de l’humanité. Là, voyez-vous, quand je me lève dans ces conditions  pour aider un connard à ranger sa malle, oui, je pose la question « à quoi bon ? ».


    Alors que dans la même situation, la même valise pleine de rien, lourde de souvenirs de La Réunion, gonflée de babioles inutiles et laides, achetées dans les allées bondées des souks et des supermarchés d’Amérique latine, le même poids, les mêmes tentatives infructueuses de la hisser au niveau du porte-bagage et pourquoi ne pas la déposer simplement dans le sas où il suffit de la lâcher, donc tout pareil, la seule différence c’est que les chaussures épaisses ont été remplacées par des escarpins à talons, que les pantalons sont devenus une jupe qui caresse les genoux, que la taille soulève une poitrine décolletée, et cette seule différence me fait lever et pousser la valise sans qu’à aucun moment je me pose question « à quoi bon ?.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire