Le Le trou de la sécurité sociale se creuse
chaque jour davantage et sur ce point personne n’a le cœur à rire. La situation
est dramatique, ce n’est rien de le dire. Tout le monde en a conscience et si
vous voulez tuer l’ambiance d’un repas de fête ou d’une soirée anniversaire,
mentionnez à la cantonade l’avenir des retraites ou la chute brutale des
qualités des soins dans les vallées des Cévennes. J’ai essayé de plaisanter sur le sujet, mais
c’est impossible, de même que personne ne risque de se moquer des métastases de
l’oncle Léonard qui n’a plus que quelques mois à vivre. Certains choses sont
taboues, hors d’atteinte des moqueries et de la dérision.
Du trou de la sécu, on ne peut même pas en discuter
sérieusement alors que tout le monde connaît les raisons du déficit et pire
encore, connaît les solutions pour le résorber. Mais personne ne veut en
entendre parler. Le trou de la sécu est creusé
pour l’essentiel par les six premiers mois de la vie et les six derniers. Il
suffirait de supprimer une année de vie par personne, ce n’est quand même pas
la mer à boire, pour rétablir l’équilibre du budget santé et peut-être même des
régimes de retraite, y compris celui des intermittents du spectacle. Or c’est
exactement le contraire qui se passe. Les privilèges des plus dépensiers sont
immenses. Dans les transports publics ou devant les guichets, il suffit d’être
très âgés ou très jeunes pour gagner quelques places ou obtenir le droit de
vous asseoir alors que vous êtes déjà dans une poussette ou un fauteuil
roulant. Tous les hôpitaux, toutes les cliniques, tout le personnel hospitalier
et libéral, sont mobilisés pour les premiers et les derniers mois. Comme si
l’intervalle de temps entre ces deux périodes de la vie n’avait aucune
importance. On consacrera beaucoup plus d’argent pour soigner la diarrhée verte
d’un nourrisson que pour soulager la bronchite chronique de la vedette des Misérables
III dont dépend le succès du film. Chacun connaît le résultat, dramatique. Les salles d’attente et les lits
d’hôpitaux sont encombrés de nouveau-nés que des parents de mauvaise foi
amènent pour un oui ou un non alors qu’ils ne savent pas encore parler. Tandis
que l’acteur qui va jouer Jean Valjean dans les Misérables III patiente
dans un couloir venteux en essayant d’expliquer que chaque heure perdue coûte
des millions d’euros à la production et risque de mettre des centaines de
salariés au chômage. Voilà où nous en sommes et personne n’a le droit de
protester. Bien pire, plus le bébé naît tôt, plus le vieillard meurt tard, et
plus on s’en occupe. Un prématuré déraisonnable qui arrive au monde trois ou
quatre mois avant terme sera bien mieux pris en charge par la collectivité que
le bébé qui attend paisiblement, à l’abri du besoin, les neuf mois
réglementaires. On encouragerait les mômes à la naissance avant terme qu’on ne
s’y prendrait pas autrement. A l’autre bout de la chaîne, ce n’est guère mieux.
Il est vrai qu’il est plus facile de déterminer les six premiers mois de la vie
que les six derniers. Mais le gaspillage n’en est que plus flagrant. Il arrive
souvent qu’on dépense l’argent normalement réservé aux six derniers mois pour
des périodes qui peuvent aller jusqu’à cinq à dix ans. Est-il si difficile de
dire aux patients ainsi privilégiés qu’ils ont dépensé leur crédit de fin de
vie et qu’ils peuvent continuer de vivre s’ils le souhaitent, mais pas aux
dépens des fonds publics ? Il ne s’agit pas d’euthanasie. Mais à partir du
début plus six mois, de la fin moins six mois, les soins deviennent payants. Personne
n’a ce courage et évidemment, le trou se creuse.
Au
début de la vie, on considère comme une catastrophe la perte d’un nouveau-né.
En fin de vie, on encourage les anciens à vivre le plus vieux possible. On
réserve des cabines de luxe aux prématurés. On accorde des récompenses, des
médailles, des légions d’honneur, des gâteaux d’anniversaire, à ceux qui vivent
plus longtemps que d’autres. Être centenaire est plus glorieux que d’obtenir le
prix Nobel. On valorise les soins palliatifs, on criminalise l’euthanasie. Les
maisons de retraite ne suivent plus et croulent sous les demandes. Voilà ce
qu’il se passe quand on respecte le début et la fin plus que le milieu.
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