Elle
est nonagénaire. Elle vit en résidence, parle difficilement. Quand sa famille
va la voir, elle sourit, ses yeux brillent, mais elle ne bouge pas, les paroles
sortent hachées. Parfois, elle en a marre, elle est fatiguée, épuisée.
Au cours de ses rencontres avec la
psychologue de la résidence, elle
raconte sa vie passée et présente. De ses rencontres est né un Journal de la vieillesse bouleversant de
lucidité, de tendresse. Des pages saisissantes. Sa vie passée et surtout sa vie
présente. Elle rend hommage à sa famille, qui vient quand elle peut, mais ils
ont leur vie, leur travail, leurs relations, ils ne peuvent pas être tout le temps
là, elle ne leur en veut pas, surtout ne
pas les culpabiliser.
Finalement, dit-elle, elle passe tout
son temps avec le personnel de la résidence, les soignantes, les infirmières, les
animatrices, les kinés. Ce sont eux dit-elle, qui deviennent peu à peu sa vraie
famille. Elle leur rend hommage : leur travail est dévalorisé, alors qu’il demande dévouement, intelligence, compétence,
générosité.
Elle demande que les pages de son
journal qui sont consacrées au personnel soient affichées dans le salon. L’ensemble
est imprimé, agrafé, et donné aux proches. Les conversations continuent avec la
psy.
Cette personne épuisée, en fin de
course, donne parfois l’impression d’avoir déjà coupé les fils la reliant au
monde. D’être déjà partie ailleurs. Et voici qu’elle a dicté des pages d’une
grande intelligente. En les lisant, les visiteurs la considèrent autrement. Ils
voient une tête où bouillonne les idées, les images, les raisonnements. Le
regard devient différent. Le visiteur a lu et lui a dit cela. La vieille dame
le regarde et lui dit « je bois du petit lait ».
Le travail éducatif, le travail social,
doivent d’abord aider à percevoir chez
ceux qui vivent les situations les plus dures une lumière qui ne cesse de briller.
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