Hier vendredi, nous sommes allés voir Carmen
au théâtre du Quintaou, à Anglet, en langue des signes. La salle était
majoritairement faite de malentendants. Une soprano chantait les airs les plus
connus de l’opéra de Bizet, les acteurs, tous malentendants, communiquaient en
langue des signes, parfois des traductions étaient projetées sur le rideau du
fond. L’ensemble construisait un superbe spectacle pour tous, entendants et
malentendants. La différence avec le basque était flagrante. Les malentendants
apprennent la langue des signes parce que c’est leur seule façon de
communiquer. Pas pour construire une communauté, une ethnie, une nation, parce
qu’ils sont obligés. De même que dans certaines mairies, des employés
apprennent des rudiments de langue des signes pour pouvoir indiquer aux
malentendants que le bureau des élections est au premier étage, par exemple. La
demande est là. J’étais dans la salle et je savourais le spectacle. Je ne me
sentais pas exclu, au contraire, j’avais le sentiment d’une troupe qui faisait
des efforts extraordinaires pour s’approprier l’opéra d’abord pour eux-mêmes,
qui sont si loin des opéras dans la vie courante, et ensuite partager cet
effort avec d’autres malentendants et dans une troisième étape, aboutir à un
spectacle universel, pour tous, handicapés ou non. Quand je fréquente les
spectacles de Talila, qui chante un répertoire en yiddish, j’ai le même
sentiment. Je ne comprends pas le yiddish. Je reconnais des mots et des airs. Talila
s’adresse à moi, elle explique, elle traduit et le spectacle devient un
spectacle universel, pour tous. J’ai trop souvent le sentiment, quand j’assiste
à un spectacle en langue basque, concert, conférence, théâtre, danse, que rien
n’est fait pour m’inclure dans leur monde, pas de traduction (ils demandent la
traduction du français en basque, mais l’inverse ne leur apparaît pas comme une
nécessité, c’est aux autres de faire l’effort d’apprendre). La langue est la
construction d’une communauté fermée, la construction d’une nation dont les
citoyens seront enfermés dans des règles strictes. Le basque est austère. Pas n’importe
qui peut s’intégrer dans sa communauté. La langue n’est pas une joie de vivre,
c’est un examen d’entrée.
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