Chacun recherche une centralité familière. Le vendredi à la mosquée, le
samedi à la synagogue, le dimanche au temple et à l’église, le mercredi au café
philo, le jeudi à la réunion politique, Noël sous le sapin, jour de l’an sous
le gui et le houx. Les amis tous les jours, les enfants éternels, le couple
naturellement, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, vital ou mortel. Dans le
tourbillon toujours plus complexe des libertés et des contraintes, des choix
proposés et des épreuves imposées, il faut pour se tenir debout un socle, une
formation initiale, une base solide et multiforme pour ne pas avoir besoin de
centralité collective. Rejeté par les révolutions répétitives, les croyances
religieuses éclaircies à la toile émeri, les aspirations nationalistes brûlées
au crématoire de l’histoire, il ne reste plus rien. J’observe avec une pointe d’envie
les engouffrements ethniques, les chaleurs collectives sans pouvoir m’y
intégrer car je sais d’expérience que pour s’y intégrer il faut abandonner une
partie de soi-même, une part de réflexion, une part de jugement. Cette part de
jugement qu’il faut jeter par-dessus bord pour s’intégrer à un mouvement collectif
peut se dissoudre dans l’alcool, dans les nombreuses drogues disponibles, dans
les vapeurs d’enthousiasme, dans les chaleurs du corps, la vigueur des
sentiments. À froid, c’est impossible, quelque chose vous retient, un souvenir.
Vous avez appris forcément que l’ami qui vous tend la main vous dénoncera à
Dieu et au diable si le collectif l’exige. Alors, on hésite, on tergiverse, on
fait semblant de sourire, mais au premier faux-pas, vous fuyez le bâton qui
vous redresse.
Donc Juif, non. Communiste, non. Nationaliste, non. Fan de sport, non. L’alcool
et la fête, oui, parce que les effets sont limités, contrôlés, en quantité et dans
le temps. Tu pourrais devenir indifférent, cynique, désabusé. L’idée d’engagement
continue de brûler et d’exiger son tribu. Il reste la grande bataille éternelle
contre toutes les batailles. La mise en garde collective contre tous les mouvements
collectifs. Bataille permanente et envoûtante où la dissolution de l’individu
est impossible puisqu’elle représente précisément l’ennemi à abattre. Comment
se battre ensemble contre l’ensemble ? Dès que s’agglomèrent en grappe des
individus unis par le rejet des envoûtements, des griseries, ce qui les
identifie les sépare. Rien n’est plus éphémère que ces groupes d’anciens alcooliques
unis par la dénonciation des effets de l’ivresse. Plus ou moins vite, dans ce
combat du groupe contre les groupes se produisent des effets de groupe, une exaltation
que les plus lucides dénoncent avec véhémence et le groupe se délite par son
objectif même.
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