samedi 16 avril 2016

tous ensemble non


Chacun recherche une centralité familière. Le vendredi à la mosquée, le samedi à la synagogue, le dimanche au temple et à l’église, le mercredi au café philo, le jeudi à la réunion politique, Noël sous le sapin, jour de l’an sous le gui et le houx. Les amis tous les jours, les enfants éternels, le couple naturellement, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, vital ou mortel. Dans le tourbillon toujours plus complexe des libertés et des contraintes, des choix proposés et des épreuves imposées, il faut pour se tenir debout un socle, une formation initiale, une base solide et multiforme pour ne pas avoir besoin de centralité collective. Rejeté par les révolutions répétitives, les croyances religieuses éclaircies à la toile émeri, les aspirations nationalistes brûlées au crématoire de l’histoire, il ne reste plus rien. J’observe avec une pointe d’envie les engouffrements ethniques, les chaleurs collectives sans pouvoir m’y intégrer car je sais d’expérience que pour s’y intégrer il faut abandonner une partie de soi-même, une part de réflexion, une part de jugement. Cette part de jugement qu’il faut jeter par-dessus bord pour s’intégrer à un mouvement collectif peut se dissoudre dans l’alcool, dans les nombreuses drogues disponibles, dans les vapeurs d’enthousiasme, dans les chaleurs du corps, la vigueur des sentiments. À froid, c’est impossible, quelque chose vous retient, un souvenir. Vous avez appris forcément que l’ami qui vous tend la main vous dénoncera à Dieu et au diable si le collectif l’exige. Alors, on hésite, on tergiverse, on fait semblant de sourire, mais au premier faux-pas, vous fuyez le bâton qui vous redresse.

Donc Juif, non. Communiste, non. Nationaliste, non. Fan de sport, non. L’alcool et la fête, oui, parce que les effets sont limités, contrôlés, en quantité et dans le temps. Tu pourrais devenir indifférent, cynique, désabusé. L’idée d’engagement continue de brûler et d’exiger son tribu. Il reste la grande bataille éternelle contre toutes les batailles. La mise en garde collective contre tous les mouvements collectifs. Bataille permanente et envoûtante où la dissolution de l’individu est impossible puisqu’elle représente précisément l’ennemi à abattre. Comment se battre ensemble contre l’ensemble ? Dès que s’agglomèrent en grappe des individus unis par le rejet des envoûtements, des griseries, ce qui les identifie les sépare. Rien n’est plus éphémère que ces groupes d’anciens alcooliques unis par la dénonciation des effets de l’ivresse. Plus ou moins vite, dans ce combat du groupe contre les groupes se produisent des effets de groupe, une exaltation que les plus lucides dénoncent avec véhémence et le groupe se délite par son objectif même.

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