Le
vote a commencé. Contrairement aux élections familières qui ont toutes lieu le
même jour et dans un seul pays, selon les règles des tragédies antiques, le
vote s’étale sur trois mois. Comme si les électeurs connaissaient le résultat
des votes de leurs voisins avant de voter. Non seulement le vote est ainsi
étalé sur plusieurs semaines, mais il a été procédé à un vote indicatif le
trimestre précédent. La plupart du temps, ce vote a lieu à main levé, il est
précédé pour les conseillers qui le souhaitent d’une explication de vote. Chacun
connaît les opinions de chacun, ceux qui sont engagés, ceux qui hésitent, ceux
qui se taisent. La campagne se mène à coup de réunions contradictoires, de
caravanes essentialistes, de publicités dans la presse locale, de conférences
de presse.
Les
républicains montrent qu’un territoire gouverné par l’essentialisme est
ingouvernable. Que la politique, qui consiste à concilier des intérêts
divergents, est ici au contraire dominée par les duels à mort. Qui est contre
les ancêtres est contre moi, il doit être éliminé. Exclu. Extradé. Interdit de
vote. On lui impose des règles qui ne permettront jamais de revenir sur une
majorité sanctifié par les siècles. Parce qu’on ne peut pas voter contre le
sacré. On ne peut pas mettre les martyrs en minorité. Imagine-t-on un
référendum pour ou contre Jeanne d’Arc ? On demande aux conseillers u pays
Basque de voter pour ou contre le pays Basque. Tu votes contre ta mère, tu
votes contre ton père, contre tes frères, contre le lait maternel, le lait de
brebis, contre le piment d’Espelette ?
Ceux
qui votent contre l’entreprise d’ethnicisation et la crispation identitaire voudraient se
défendre d’une quelconque trahison à l’égard de la mère-patrie. Ils aiment leur
mère, leur frères, leur langue, le fromage de brebis, ils doublent les panneaux,
financent les écoles. Ça ne suffit pas. Il faut accompagner l’essence
martyrisée, les générations brutalisées, les résistances et les drapeaux et les
traduire par le monument suprême, le seul monument aux morts qui vaille :
la frontière. Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, vous n’aurez pas la
Soule, le Labourd et la Basse Navarre. Vous avez pu franciser la côte, mais
notre cœur est resté basque.
Ceux qui s’opposent à la
réforme du travail, au tiers-payant, aux réformes scolaires, sont des
adversaires. Ceux qui s’opposent à la patrie sont des traîtres. Ils sont
menacés. Tu sais, disent les colporteurs de substantialisme, ton avenir dépend
de nous, si tu ne votes avec nous, nous nous souviendrons. Et nos enfants se
souviendront. Et les enfants de nos enfants. Ta carrière est fichue. Pas d’indemnité
de patriotisme. Pas de délégation d’identité.
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