Seuleune explication globale peut transformer des colères, des émeutes, des
révoltes, en mouvement social. En Europe, ces explications globales portaient
deux noms : le nationalisme et le socialisme. Le nationalisme
disait : tu es exploité et misérable parce que ton pays n’est pas libre.
La libération donnera le pouvoir au peuple. Le socialisme disait : tu es
exploité et misérable parce que le capitalisme t’enferme dans ton destin. La
suppression du capitalisme te donnera dignité. Les intellectuels organiques
mettaient en musique les colères et les frustrations. Chansons, poèmes,
littérature, loisirs. Ces mouvements portaient l’espoir : ils agissaient
comme de puissants levier de promotion, ils étaient les grandes écoles de ceux
qui étaient éliminés par les Grandes Écoles.
Ces grandes écoles du peuple ont disparu. Ne restent plus comme ascenseurs
que les voies classiques : la réussite scolaire, le sport, les activités artistiques,
l’armée. Les mouvements sociaux étant asséchés, il reste des individus.
Travaille bien à l’école si tu veux réussir. Sinon, tu auras des emplois sans
perspective. Des voies individuelles. Le petit commerce, légal ou illégal, des
voies où ceux qui les empruntent se heurtent précisément à la concurrence des
sans état, des sans-papiers, des nouveaux immigrés.
Des hommes politiques exploitent les rancœurs, dessinent les boucs
émissaires de ces assignations, sonnent le tocsin des églises abandonnées, ressortent
les blouses grises qui s’inclinaient devant le châtelain. Ces ressorts cassés
peuvent encore agir parce qu’ils réveillent les blessures quotidiennes, les
concurrences âpres que se livrent les plus modestes dans les queues des
services sociaux, des agences pour l’emploi, dans les salles d’attente des
hôpitaux ou des médecins dans les quartiers populaires, dans les cohues des
transports en commun.
Les solutions offertes agissent généralement par le bas : réfection
des logements sociaux, écoles maternelles et premières classes du primaire.
Solutions pas inutiles pour éviter les assignations sociales ou géographiques.
Mais il manque l’essentiel.
L’essentiel, à mon avis, est ce qui se passe en haut. En haut, les grands,
ceux qui gagnent beaucoup d’argent, qui occupent les postes prestigieux sont
généralement recrutés très jeunes en étant nés au bon endroit, dans la bonne
famille. En exagérant à peine, on peut repérer les futurs dirigeants politiques
et économiques dans les écoles maternelles des bons quartiers. Dans les
familles où l’échec n’existe pas. Un chemin se ferme, un autre s’ouvrira. Il
n’y a pas de relégation à vie. C’est un milieu où règnent les passerelles, les
réseaux, les rattrapages, les formations permanentes réellement formations et
réellement permanentes. Pour la masse des autres, le premier échec décide
de l’avenir, pas de rattrapage. D’où
cette course éperdue vers les bonnes filières, les bons établissements, les
cours privés, les voyages linguistiques. Tout cela a été décrit mille fois,
avec rigueur et avec talent.
Tout le monde s’en rend compte. En regardant la liste des dirigeants, des
élites diverses, on voit bien que malgré de brillantes exceptions, tout le
monde sort du même moule. Députés, ministres, hauts fonctionnaires, les
origines sont les mêmes. Classes préparatoires, Grandes écoles, ENA. Quand
apparaît un facteur, un métallo, une employée de banque, c’est un événement.
Les responsables politiques et les dirigeants économiques se sont rendu
compte que la discrimination à l’égard des femmes ne pouvait plus durer.
D’abord sous les coups de boutoir du mouvement féministe. Désormais, la parité
est un objectif, des lois se mettent en place, des sanctions sont prises contre
les discriminations. La situation n’est pas encore bonne, mais des progrès réels
ont été accomplis, des progrès qui se voient sur les estrades, dans les sièges
des assemblées, dans les photos de conseil d’administration ou de conseil des
ministres.
En revanche, les discriminations sociales sont largement acceptées. Un
menuisier, une infirmière, un soudeur, n’ont pas leur place dans les sphères du
pouvoir. Leur présence requiert une politique volontariste, un observatoire des
promotions sociales, dans les partis, les assemblées, les conseils
d’administration. Des instituts de formation permanente pour les militants
salariés. Des bourses qui leur permettent d’accéder à des formations de haut
niveau.
Ce n’est pas la révolution, ce n’est pas le grand soir. Mais il n’est pas
interdit de penser que l’accession de salariés au personnel politique pourrait
diminuer la rupture entre les élites et « le peuple ».
Deuxièmement : Que les formateurs, les enseignants, les cadres, tous
ceux qui sont chargés de la sélection des meilleurs par la promotion de tous (Paul
Langevin) soient du personnel de qualité, reconnus et payés. Actuellement, les
profs les mieux payés enseignent dans les préparatoires aux GE. Les filières
les plus discriminatoires. Quand Benoît Hamon critique les propositions d’autonomie
de EM (les meilleurs iront pour les meilleurs), il n’oublie qu’un détail :
c’est déjà le cas.
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