Si
je parle d’actualité, je répète ce qui se dit mille fois partout. Si je parle
de l’inactualité, je risque de me répéter.
La
solution, s’il en existe une, est de parler de l’inactualité de l’actualité. Et
là, on peut en parler tous les jours, de l’inactualité de l’actualité. Par
exemple, tout le monde parle de cravate absente. Les adversaires des insoumis
se moquent de ce geste d’insoumission. Ils ont tort. L’insoumission n’est telle
que dans ses traces, dans son héritage. « Nous sommes ici par la volonté des
gens, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes » en est un
exemple célèbre. En attendant le verdict des historiens, l’insoumission est d’abord
un état d’esprit. Si les insoumis estiment que refuser de porter une cravate
est l’équivalent moderne de « nous sommes ici par la volonté des gens »,
personne ne peut leur enlever ce droit. Ils sont insoumis parce qu’ils l’ont
décidé. Ils pensent que le port d’une non-cravate est un acte d’insoumission,
alors que le port d’une cravate est un acte de soumission. Il ne faut pas se
moquer. C’est leur droit absolu. Ils sont insoumis parce qu’ils ont décidé d’être
insoumis.
Je
les comprends parce que moi aussi, je suis un insoumis, un rebelle. Ainsi, à l’époque
lointaine où la cravate était obligatoire à l’université, j’arrivais au cours,
dans les jurys, dans les séminaires, sans cravate et les chaussures non cirées.
On disait de moi « ça ne m’étonne pas, c’est un insoumis ». Je
portais aussi des cheveux longs. Après 1968, où le port de la non-cravate était
obligatoire, où les cheveux devaient s’allonger parfois jusqu’aux épaules, j’ai
coupé mes cheveux court, une coupe quasi militaire, et j’ai sorti mes cravates
du placard et je vernissais mes chaussures. Tous les jours, je mettais une
cravate. J’arrivais aux cours, dans les amphis, aux séminaires, avec une
cravate, les cheveux courts et les chaussures cirées et on disait de moi, « ça
ne m’étonne pas, c’est un insoumis ».
Personne
ne se moquait. Personne ne persiflait. Personne ne raillait « tu parles d’une
insoumission ». J’étais insoumis parce que je l’avais décidé. J’étais
insoumis dans ma tête.
Sur
un point je me permettrai une remarque, une nuance, une critique peut-être :
c’est le caractère sexiste de l’insoumission cravatière. Si être insoumis, c’est
porter une non-cravate, comme les femmes peuvent-elle manifester leur
insoumission ?
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