Vous voyez
la scène. Vous l’imaginez. Je sais ce que beaucoup pensent. Nous ne sommes pas
très nombreux. Mais prenez les choses à l’envers. Imaginez que ces pas très
nombreux soient restés devant la cafetière, ou sur une terrasse à lire un
journal. Ou encore qu’une gastrite les aient cloués au lit. Bref, pour des
raisons diverses, ces pas nombreux n’auraient pas protesté contre la sculpture
de la hache, n’aient pas posé de question nulle part, n’aient pas levé la main,
imaginez le paysage sans ces pas nombreux. Imaginez la désespérante unanimité
d’un ciel tout de drapeau basque revêtu, sans une éclaircie. Tous ensembles
derrière les héritiers de l’ETA.
Vous
imaginez l’ennui, la désolation ? Le notaire ouvre le testament : l’ETA
défunte a distribué ses oripeaux : je lègue mes armes à Jean-René
Etchegaray, je lègue mes camarades prisonniers à Txetx, je lègue mes bombes
incendiaires à Vincent Bru, je lègue ma hache à Max Brisson. Et tous les
présents auraient pris leur part de l’héritage respectueusement. Au nom de la
société basque française toute entière, ils auraient remercié ETA pour sa
générosité. Il suffit qu’un héritier refuse l’héritage, un seul, qu’un héritier
se lève furieux et crie, je n’en veux pas de vos armes, de vos bombes, de vos prisonniers,
je veux qu’ETA disparaisse en silence, en demandant pardon de m’avoir terrifié,
moi, mes enfants, mes voisins, pendant toute une génération. Fichez-moi la
paix. Et cela suffirait pour que la sinistre acceptation soit révélée pour ce
qu’elle est : un acte de faiblesse pour les uns, un acte de complicité
pour les autres.
Devant le
casino Bellevue, des garde-chiourmes gardent la porte. Ils empêchent les
victimes et leur famille de poser des questions. Ils me disent que Fernando
Aramburu est un mauvais écrivain, d’ailleurs, il a passé la majeure partie de
sa vie en dehors du Pays Basque. Bernardo Ayxaga aussi était un traître à son
pays. Les fous de la nation en Irlande parlaient ainsi de leurs écrivains
majeurs, W.B.Yeats, Synge, O’Casey, James Joyce, des traitres à la nation. Et j’entends
les mêmes mots dans la bouche des censeurs qui gardent la porte, qui enchaînent
le Pays Basque, qui veulent le purifier ethniquement et politiquement.
Comme j’insiste,
les blanchisseurs vont chercher leur arme de dissuasion massive : le maire
de la ville. Michel Veunac. Il vient me voir me demande ce que je fais là, je n’ai
pas le droit, c’est une conférence de presse. Je ne suis pas journaliste. Il
regarde mon tee-shirt où se détachent les chiffres 8, 2, 9. Ça fait 829. Il
regarde et me dit : je le connais, c’est un extrémiste. Je ne sais pas s’il
parle de moi ou du chiffre. Il a entièrement raison. 829, c’est un chiffre extrême.
Il n’y aurait eu que trois ou quatre, ce n’eût pas été extrémiste. Mais 829,
pour une population de deux millions, ça ferait vingt-cinq mille pour la population
française, c’est effectivement un chiffre extrême et ceux qui révèlent ce
chiffre ne peuvent être que des extrémistes.
Et comme je
répète que je porte la voix des victimes d’ETA, le maire me révèle une nouvelle
stupéfiante : le 7 juin prochain, il va recevoir les victimes. Je suis
stupéfait. Frappé par la foudre. Par cet acte de courage. Depuis le début de la
terreur d’ETA, personne n’allait discuter avec les victimes ou leur famille au Pays
Basque espagnol. Personne n’allait participer aux manifestations de Basta !
Et maintenant, Huit ans après l’arrêt des combats, huit années de paix, le
maire de Biarritz va recevoir les victimes.
C’est comme
si le Général de Gaulle avait lancé son appel de Londres le 18 juin 1945.
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