Les révolutions sociales ou nationales sont le
produit de divisions et d’inégalités insupportables dont profitent une minorité
de privilégiés. L’aristocratie terrienne et des millions de paysans pauvres, les deux cents familles et des millions de
prolétaires, les peuples colonisés, tous ceux qui n’ont rien à perdre que leurs
chaînes.
Les révolutionnaires d’extrême-gauche vivent dans ce
passé et décrivent une société partagée entre le CAC 40 et le peuple misérable
et exploité. La référence de Mélenchon à Zola est éloquente. Les salariés
seraient dans la même situation que les ouvriers de l’Assommoir, vivant dans des taudis, sans protection sociale, et sans
éducation.
Cette vision est pessimiste et misérabiliste. Elle
est pessimiste parce qu’elle veut nous persuader que le mouvement ouvrier n’a
rien obtenu, n’a rien changé, a laissé les prolétaires en l’état où ils étaient
fin 19ème siècle. Misérabiliste dans la mesure où elle ne veut pas
comprendre que la majorité des hommes et des femmes qui vivent dans les pays
développés ont désormais beaucoup plus à perdre que leurs chaînes. Qu’ils ont obtenu des droits à la santé, à l’éducation,
au logement, à la formation, qu’ils sont souvent propriétaires, qu’ils ont des
aspirations élevées pour leurs enfants.
Les rêves de barricades enflamment l’imagination et
enfument la réflexion. Si les réformes sont si compliquées à mettre
en œuvre, c’est qu’elles touchent toujours des privilèges largement répandus. Les
résistances aux réformes ne viennent pas seulement d’une infime minorité,
chaque strate de la société trouve des avantages et des inconvénients aux politiques
du logement, aux taxations des logements vides, aux réformes des rythmes
scolaires. Dans le domaine de l’éducation, la mixité sociale est difficile à
mettre en place parce que les stratégies d’évitement des écoles ne sont pas
seulement le fait de familles riches, mais sont adoptées massivement par des
salariés modestes. À la Goutte d'Or, les familles descendant de la migration modestement
enrichis par le commerce placent leurs enfants dans des écoles privées. Dans la
santé, les centres de soin ne se partagent plus entre cliniques de luxe et
mouroirs. L’exemple le plus achevé étant le mouvement des femmes, car les
résistances à l’égalité sont aussi fortes au niveau individuel, dans les familles
et les couples, qu’au niveau public.
Les réformes sociales, les réductions des inégalités,
se font nécessairement aux dépens de ces privilèges en cascade. Les chèques
vacances allongent la queue devant les télésièges. L’accès de tous aux soins
les plus avancés augmentent les délais d’attente. Les progrès dans l’égalité
des sexes provoque des rancœurs car sur ce point Marx avait raison : le
plus démuni des prolétaires trouve chez lui une prolétaire encore plus démunie
qu’il peut exploiter.
Dans ces conditions, une réforme qui ne s’accompagne pas de de pédagogie est vouée à l’échec.
Il faut en permanence convaincre qu’il est de l’intérêt de tous de réparer les
dégâts de la vie, d’accueillir les accidentés, de loger les SDF, de réduire les
inégalités. Là où cette politique défaille, la société se divise en ghettos,
construit des murailles qui enferment autant qu’elles excluent. À Paris ou à Biarritz
se mène une bataille pour la mixité sociale de chaque instant, batailles où la
gauche réformiste parvient à entraîner une partie des électeurs de droite sans
lesquels elle serait minoritaire. Et partout, elle combat les mêmes slogans
clivants : la mixité sociale, c’est la guerre fait aux pauvres à la Goutte
d'Or, c’est la guerre faite aux riches à Biarritz.
Il nous revient de chercher parmi les hommes politiques
qui se présentent aux élections les héritiers de ceux qui ont évité le pire à
leur pays, qui ont su construire des réformes en prenant le temps du compromis,
du dialogue, des négociations. Des noms surgissent : Mario Soarès au Portugal
qui a su éviter que son pays ne devienne un autre Cuba, Mendès France, Jospin,
Obama, Mandela. Ils ont su réformer pour mieux vivre ensemble et non pour
aggraver les tensions.
Nous connaissons les noms des Chavez nationaux et
Mélenchon en est un, dont le modèle est le tribun Fidel qui haranguait les
foules rassemblées pendant cinq ou six heures sous le soleil cubain dans une
société en ruines. Nous connaissons les noms des Trump, Erdogan et Poutine
nationaux qui veulent cliver la société entre patriotes et étrangers.
Nous connaissons plus mal les héritiers des Soarès, Palme,
Mendès- France, Mandela, Jospin, Schröder, Obama. Ils n’émergeront qu’au prix d’une dénonciation
permanente des Prophètes de l’Apocalypse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire