Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, sur la
question nationale, le Pays Basque français est monochrome. L’unanimité s’est
réalisée pour la création d’une communauté d’agglomération sur une base
identitaire fondée sur la langue, le territoire, une histoire héroïque. Tous
ensemble, patriotes et républicains honteux, réclament l’amnistie des
prisonniers dits « politiques », négocient le désarmement avec
l’organisation terroriste de l’ETA, officialisent la langue basque. Les voix
dissidentes se fatiguent, elles finissent par se taire. Il y a désormais deux
pays basques : le territoire ancestral et le Pays Basque du tourisme, qui
fait encore partie de la république française. Les deux Pays Basque coexistent
sans se parler. Le Pays Basque français considère le nationalisme basque comme
un aimable folklore qui aide à vendre le pays dans les agences de voyage. Le
Pays Basque patriote considère la République comme un gâteau qui disparaîtra à
force de le grignoter.
Le recours à la terreur armée avait un avantage :
chaque attentat, chaque assassinat, était suivi de discussions passionnées. Les
condamnations ou les justifications clivaient les familles. Ces discussions se
poursuivent au Pays Basque espagnol où le bilan de la terreur occupe le terrain
politique, où les victimes, leur famille, les survivants, contribuent au bilan
des années de plomb. Le roman de Fernando Aramburu, Patria, est un événement littéraire et politique. Des livres, des
études, des monuments bouleversent les consciences, animent les débats. Vidas Rotas, qui recense les victimes de
l’ETA, est un événement capital. Vittoria s’apprête à inaugurer un monument aux
victimes. Du côté français, depuis que l’ETA a cessé le feu en 2011, les partis
politiques, les syndicats, les associations n’en finissent de remercier les
etarras d’avoir déposé les armes. Les élus et les associations négocient avec
les quelques dizaines d’etarras en fuite la restitution des armes rouillées, donnant
ainsi une visibilité et une légitimité surprenantes à une organisation
terroriste. Des manifestations unanimes, patriotes, républicains, marcheurs,
socialistes, verts, syndicats, demandent
le rapprochement des prisonniers, la libération des malades. Cette unanimité se
fait au prix de la disparition des victimes. Elles ne sont pas invitées aux
cérémonies de l’oubli, elles sont à peine évoquées dans cette vague de bons
sentiments. Chaque fois que l’auteur de ces lignes rappelle l’abominable bilan
de l’ETA, on lui reproche de saboter le processus de paix. Qui peut être contre
la paix ? Pas un coup de feu n’a été tiré depuis 2011, mais apparemment, la guerre se poursuivait.
Grâce à la bonne volonté des etarras et des faiseurs de paix, les armes qui ont
tué ont été déterrées. Tout le monde exulte : les etarras et leurs alliés
ou sympathisants qui observent les foules déferlant dans les rues de Bayonne,
les responsables politiques des grands partis républicains qui se présentent
comme des faiseurs de paix dans un pays qui
n’était plus en guerre. Les négociateurs sont célébrés et le sang a
séché. Et si l’on persiste à évoquer les victimes, les « blanchisseurs de
la terreur » répondent qu’il faut penser aux victimes des « deux
côtés ». Terrible expression qui met sur le même plan bourreaux et
victimes.
Une nouvelle communauté d’agglomération du Pays
Basque, créée en janvier 2017, accompagne le mouvement. Son président, le
Lehendakari, participe activement aux négociations, aux délégations, aux
rassemblements festifs et revendicatifs. Il est soutenu par les élus patriotes,
par des républicains et socialistes, par confort (il est fatigant de prendre
position), par calcul (toutes les voix sont bonnes à prendre) et par le silence
des autres. Il n’y a pas de candidat abertzale aux élections sénatoriales du 24
septembre et enbata appelle à voter
en faveur des candidats socialistes ou LR qui ont été « à nos côtés » pour
former la CAPB ou se sont mobilisés pour les presos.
Qui lit la presse locale (Sud-Ouest), les journaux plus engagés (Mediabask et enbata), sera
frappé par l’unanimité des commentaires. Les prisonniers sont
« politiques », les négociateurs sont des « faiseurs de
paix », la présence des élus de tous bords dans les manifestations
nationalistes est aussi naturelle que les fêtes de Bayonne. Aucun son
discordant. Sur la question nationale basque, l’offre journalistique est aussi
variée que la Pravda au temps de la guerre
froide. Si on ne lit que la presse locale, un doux endormissement vous saisit,
une acceptation molle du fait identitaire et si une voix différente se fait
entendre, elle apparaît comme la sonnerie d’un portable pendant l’adagio
d’Albinoni.
Il suffit de lire la presse d’outre Pyrénées pour se
plonger dans le bruit et la fureur de la sortie d’un conflit meurtrier. Mais
qui lit El Pais, El Diario vasco ? Qui sait que Otegi, récemment libéré, le
chef des patriotes radicaux, célèbre les rassemblements « pour la
paix » et salue l’unanimité des élus du Pays Basque français et demande
que l’on suive cet exemple au Pays Basque espagnol ?
Pourquoi ne pas se laisser endormir après tout ?
Comme en Corse ou en Irlande du Nord, les identitaires auront pris le pouvoir,
les agences de tourisme font visiter les peintures murales et les prisons, les
terroristes libérés jouissent de voitures de fonction et les victimes
survivantes rasent les murs où des fresques et des peintures murales célèbrent
leurs bourreaux.
Le danger d’une telle unanimité est connu. Partout où
l’histoire des drames ne se fait pas, les héritiers et les complices les plus
résolus sont portés au pouvoir. Plus généralement, toute société homogène
dépérit, se dessèche. Plus de débat, plus de dialogue, le pouvoir se partage
silencieusement entre clans et familles. Il est possible, tant que le Pays
Basque français reste dans la République, que le Pays Basque soit un lieu où
toutes les cultures sont possibles et aucune n’est obligatoire. Plus il est
unanime, plus il se refermera et perdra sa vitalité actuelle. Il aura gagné des
frontières et aura perdu son âme.
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