jeudi 21 septembre 2017

monochromie monotonie


Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, sur la question nationale, le Pays Basque français est monochrome. L’unanimité s’est réalisée pour la création d’une communauté d’agglomération sur une base identitaire fondée sur la langue, le territoire, une histoire héroïque. Tous ensemble, patriotes et républicains honteux, réclament l’amnistie des prisonniers dits « politiques », négocient le désarmement avec l’organisation terroriste de l’ETA, officialisent la langue basque. Les voix dissidentes se fatiguent, elles finissent par se taire. Il y a désormais deux pays basques : le territoire ancestral et le Pays Basque du tourisme, qui fait encore partie de la république française. Les deux Pays Basque coexistent sans se parler. Le Pays Basque français considère le nationalisme basque comme un aimable folklore qui aide à vendre le pays dans les agences de voyage. Le Pays Basque patriote considère la République comme un gâteau qui disparaîtra à force de le grignoter.

Le recours à la terreur armée avait un avantage : chaque attentat, chaque assassinat, était suivi de discussions passionnées. Les condamnations ou les justifications clivaient les familles. Ces discussions se poursuivent au Pays Basque espagnol où le bilan de la terreur occupe le terrain politique, où les victimes, leur famille, les survivants, contribuent au bilan des années de plomb. Le roman de Fernando Aramburu, Patria, est un événement littéraire et politique. Des livres, des études, des monuments bouleversent les consciences, animent les débats. Vidas Rotas, qui recense les victimes de l’ETA, est un événement capital. Vittoria s’apprête à inaugurer un monument aux victimes. Du côté français, depuis que l’ETA a cessé le feu en 2011, les partis politiques, les syndicats, les associations n’en finissent de remercier les etarras d’avoir déposé les armes. Les élus et les associations négocient avec les quelques dizaines d’etarras en fuite la restitution des armes rouillées, donnant ainsi une visibilité et une légitimité surprenantes à une organisation terroriste. Des manifestations unanimes, patriotes, républicains, marcheurs, socialistes, verts, syndicats,  demandent le rapprochement des prisonniers, la libération des malades. Cette unanimité se fait au prix de la disparition des victimes. Elles ne sont pas invitées aux cérémonies de l’oubli, elles sont à peine évoquées dans cette vague de bons sentiments. Chaque fois que l’auteur de ces lignes rappelle l’abominable bilan de l’ETA, on lui reproche de saboter le processus de paix. Qui peut être contre la paix ? Pas un coup de feu n’a été tiré depuis 2011,  mais apparemment, la guerre se poursuivait. Grâce à la bonne volonté des etarras et des faiseurs de paix, les armes qui ont tué ont été déterrées. Tout le monde exulte : les etarras et leurs alliés ou sympathisants qui observent les foules déferlant dans les rues de Bayonne, les responsables politiques des grands partis républicains qui se présentent comme des faiseurs de paix dans un pays qui  n’était plus en guerre. Les négociateurs sont célébrés et le sang a séché. Et si l’on persiste à évoquer les victimes, les « blanchisseurs de la terreur » répondent qu’il faut penser aux victimes des « deux côtés ». Terrible expression qui met sur le même plan bourreaux et victimes.

Une nouvelle communauté d’agglomération du Pays Basque, créée en janvier 2017, accompagne le mouvement. Son président, le Lehendakari, participe activement aux négociations, aux délégations, aux rassemblements festifs et revendicatifs. Il est soutenu par les élus patriotes, par des républicains et socialistes, par confort (il est fatigant de prendre position), par calcul (toutes les voix sont bonnes à prendre) et par le silence des autres. Il n’y a pas de candidat abertzale aux élections sénatoriales du 24 septembre et enbata appelle à voter en faveur des candidats socialistes ou LR  qui ont été « à nos côtés » pour former la CAPB ou se sont mobilisés pour les presos.

Qui lit la presse locale (Sud-Ouest), les journaux plus engagés (Mediabask et enbata), sera frappé par l’unanimité des commentaires. Les prisonniers sont « politiques », les négociateurs sont des « faiseurs de paix », la présence des élus de tous bords dans les manifestations nationalistes est aussi naturelle que les fêtes de Bayonne. Aucun son discordant. Sur la question nationale basque, l’offre journalistique est aussi variée que la Pravda au temps de la guerre froide. Si on ne lit que la presse locale, un doux endormissement vous saisit, une acceptation molle du fait identitaire et si une voix différente se fait entendre, elle apparaît comme la sonnerie d’un portable pendant l’adagio d’Albinoni.

Il suffit de lire la presse d’outre Pyrénées pour se plonger dans le bruit et la fureur de la sortie d’un conflit meurtrier. Mais qui lit El Pais, El Diario vasco ? Qui sait que Otegi, récemment libéré, le chef des patriotes radicaux, célèbre les rassemblements « pour la paix » et salue l’unanimité des élus du Pays Basque français et demande que l’on suive cet exemple au Pays Basque espagnol ?

Pourquoi ne pas se laisser endormir après tout ? Comme en Corse ou en Irlande du Nord, les identitaires auront pris le pouvoir, les agences de tourisme font visiter les peintures murales et les prisons, les terroristes libérés jouissent de voitures de fonction et les victimes survivantes rasent les murs où des fresques et des peintures murales célèbrent leurs bourreaux.

Le danger d’une telle unanimité est connu. Partout où l’histoire des drames ne se fait pas, les héritiers et les complices les plus résolus sont portés au pouvoir. Plus généralement, toute société homogène dépérit, se dessèche. Plus de débat, plus de dialogue, le pouvoir se partage silencieusement entre clans et familles. Il est possible, tant que le Pays Basque français reste dans la République, que le Pays Basque soit un lieu où toutes les cultures sont possibles et aucune n’est obligatoire. Plus il est unanime, plus il se refermera et perdra sa vitalité actuelle. Il aura gagné des frontières et aura perdu son âme.






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