Québec,
Irlande, Ecosse, Catalogne, Kosovo, Pays Basque, Corse, Kurdistan…Les
nationalismes sont en première page. Historiquement, le nationalisme est un mouvement
social, politique, culturel, militaire ou pacifique, qui vise à obtenir l’indépendance
et un gouvernement qui correspond à une communauté de langue, d’intérêt. Le nationalisme
se développe quand les citoyens de cette communauté sont exclus des avantages
et des privilèges garantis par l’état où ils vivent. Le cas le plus simple est
celui de l’Irlande. Dans le Royaume-Uni, les catholiques, majoritaires en Irlande,
étaient des citoyens de seconde zone dans tous les domaines, économiques,
électoraux, religieux. L’indépendance était pour eux accéder aux droits déniés.
Les contours de cette communauté construite par l’histoire
peuvent être territoriaux, linguistiques, religieux. L’important n’est pas tant
leur réalité que leur mobilisation par la communauté qui s’estime opprimée et
discriminée. Quand la langue, la religion, la terre, deviennent des facteurs
politiques, peu importe leur réalité. Ils sont vrais parce qu’ils sont reconnus
comme tels par le mouvement national.
De cette liste apparaîtra une différence notoire. L’emploi de
la violence armée ou le recours uniquement à des moyens pacifiques,
manifestations, pétitions, et naturellement, le vote. Le Québec, l’Ecosse, la
Catalogne, n’ont pas eu recours à la lutte armée. L’Irlande, le Pays Basque, la
Corse, ont été marqués par l’émergence d’armées clandestines. En Irlande, aux
premières élections générales à la sortie de la guerre de 14-18, la majorité a
été accordée aux candidats qui s’étaient engagés à ne pas siéger au parlement
de Westminster, à constituer un parlement à Dublin (le Dail), un pouvoir non
reconnu par Londres, mais légitimé par les urnes. Il est résulté une période de
double pouvoir (Londres et le parlement dublinois), et des affrontements qui se
sont développés en guerre anglo-irlandaise, terminée par un accord en 1921. Cet
accord, accepté par la majorité du Dail et par la majorité des électeurs, fut
dénoncé par une partie des républicains mené par De Valera, dont les paroles
célèbres : « le peuple n’a pas le droit d’avoir tort » devinrent
le slogan de toutes les avant-gardes révolutionnaires. Ce désaccord se
transforma en guerre civile qui fit plus de morts que la guerre anglo-irlandaise.
L’objet de ce texte n’est pas de décerner des bons ou des
mauvais points. Il est possible (peut-être nécessaire) de relever que l’émergence
de groupes armés n’était pas dû à l’écrasement d’une volonté majoritaire (comme
en Irlande en 1919), mais d’abord pour remplacer la volonté majoritaire par le
sacrifice d’une minorité. La théorie est la même partout : le peuple souffre,
il est dans les chaînes, mais il ne s’en rend pas compte, il est endormi. Le
sacrifice d’une avant-garde le réveillera. Etarras basques, Républicains
irlandais, nationalistes corses partageaient le même diagnostic. L’idéal d’indépendance
est minoritaire, il faut le rendre irrésistible par le sacrifice d’une
avant-garde combattante. C’est une conception très religieuse de la politique
dont le modèle, avant d’être celui Che Guevara, fut d’abord celui du Christ. Regardez
l’iconographie de Bobby Sands, comme celle de Che Guevara et vous constaterez
la transformation de ces martyrs en figures christiques. « En vérité je
vous le dis » est ridicule dans une enceinte parlementaire, mais devient message
universel quand ces mots sont prononcés sur la Croix ou depuis la geôle.
Ça marche. C’est efficace. Les plus modérés ont tous condamné
le recours à la lutte armée, ils doivent quand même reconnaître que ces
sacrifices ont réveillé consciences. Ces avant-gardes ont partout été battues,
mais elles continuent de fixer les ordres du jour. La question des prisonniers,
leur réinsertion, se joue toujours sur le fond d’une légitimation de leur
combat. Ces rencontres prennent parfois des aspects surprenants. Au Pays Basque,
pour aider les derniers etarras à quitter leur repaire, des hommes de paix
jouent à la clandestinité, ils jouent à
la guerre, déterrent des armes, se font arrêter, crient à l’injustice, ils sont
des combattants d’opérette, n’empêche qu’ils entraînent la société basque
derrière eux en une espèce d’hommage à ceux qui se sont vraiment sacrifiés.
Encore faut-il s’entendre sur le sens du mot « sacrifice ».
Il ne s’agit pas de gens qui se sont immolés par le feu. Ils ont tué, beaucoup,
et il faut effacer leurs victimes pour honorer leur combat.
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